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«Aucun
Algérien ne peut, à lui seul, porter, à bout de bras, l'Algérie. Le fardeau est
trop lourd.
Il arrivera que le chef de l'Etat, qui est en même temps chef de gouvernement, ne puisse tout faire. Il se déchargera fatalement sur son entourage d'une partie de ses responsabilités. Des hommes non mandatés par le peuple, qui ne manqueront pas d'expérimenter, au détriment de l'intérêt national, les théories les plus fantaisistes. Un tel régime finira par engendrer des activités subversives, des coups d'Etat et des complots». (Ferhat Abbas - 1963) Il nous a quitté , celui qui refusait avec véhémence d'être un « Président au trois quarts », celui qui prétendra incarner « l'Algérie toute entière » , celui qui bravera cette caste militaire indéboulonnable prête à le « bouffer tout entier », celui qui a failli nous abandonner à notre « médiocrité » si nous avions commis l'impudence de faire le mauvais choix. Sommes-nous moins médiocres aujourd'hui ? Ce qui subsistera après son règne est pire : Un chaos moral inédit. La violence, la haine, la défiance, la fourberie et le divorce entre le citoyen et ses institutions. «la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté.» (1) Extirpé de sa disgrâce par les cardinaux de la manigance ( selon les us et coutumes autochtones en matière de passation de consignes ou de restauration de régime . De conciliabules en conciliabules au niveau des cabinets noirs , nos conclaves finissent toujours d'un commun accord par désigner ou exhumer d'un passé lointain le candidat le plus flexible à qui on confiera une mission qui exige avant tout une certaine docilité qui permettra dans l'intérêt de tous les protagonistes la pérennisation d'un système politique obscur , vicieux et interlope. ) Bouteflika s'acquittera de sa tâche mais avec des méthodes inusitées qui surprendront tout le monde. Il refaçonnera l'Etat et fera de celui-ci le sanctuaire de tous les pactes faustiens. Désormais la Cour d'El-Mouradia laissera s'infiltrer des Ministres voleurs et trafiquants en tout genre. Des Députés larbins , des promoteurs immobiliers et des Importateurs véreux , des rabatteurs, des escrocs , des prostitués. Lui qui , à ses débuts , plein d'enthousiasme et de vigueur, prétendait chercher des Hommes d'Etat pour son projet national titanesque , il sera réduit à recruter la vermine la plus ignoble qui s'adonnera dans l'impunité la plus totale aux plus grands forfaits et rapts de l'histoire. L'ex-ministre Abdelaziz RAHABI, en évoquant l'affaire Khalifa, la B.C.I.A, Le B.R.C, estime que ces scandales qui ont secoué la scène politique sont comme «les plus gros depuis la main basse de l'armée de l'occupation de Napoléon III sur le trésor de la régence d'Alger...» (2) Monsieur Rahabi ne fera qu'entrevoir la partie visible de l'iceberg. Les dommages ne s'évaluent pas seulement à l'aune des fortunes et bien mal acquis que le Tribunal de Sidi M'hamed à Alger, encore sous le choc , peine à recenser. C'est l'âme d'une Nation toute entière qui sera souillée et pervertie pour les décennies à venir. « Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent l'ensemble des secteurs public et privé, la corruption s'étant socialisée, relatés chaque jour par la presse nationale et internationale discréditant l'image de l'Algérie, dépassent souvent l'entendement humain du fait de leur ampleur...Ces scandales jouent comme facteur à la fois de démobilisation des citoyens par une névrose collective du fait que ces montants détournés sont la propriété de toute la collectivité nationale» (3) Le 22 Février 2019, tout le peuple algérien sortira dans la rue pour maudire le règne mégalomaniaque , désastreux et concupiscent que ce président a édifié ou laisser édifier. Aujourd'hui , le Président gît dans le carré des martyrs. On refusera de dissocier ce personnage mystérieux de l'épopée révolutionnaire Pré et Post indépendance dont il a fait partie. Ainsi , parmi nos preux et immaculés chevaliers de la révolution , nous avons certes inhumé un Président mais aussi et surtout l'une idée d'une certaine Algérie utopique, le symbole d'une époque glorieuse , nos espoirs déçus , le mystère insondable de l'exercice d'un pouvoir calamiteux aux antipodes de l'âme de la révolution algérienne. Bref ! Nous avons pratiqué un exorcisme à titre posthume en la personne de son excellence. On commence déjà à regretter son époque comme on l'a déjà fait avec son mentor le président Boumediene et comme on l'a fait par la suite avec le président Chadli. On retiendra de son règne cette embellie financière ( El-Bahbouha El-Malia ). Les Algériens miséreux que nous fûmes lui doivent un toit sur la tête, un salaire, des voies de communications. De miraculeux bienfaits qui n'auraient pourtant jamais été possibles sans cette richesse nationale qui appartient au peuple , ce maudit pétrole qui satisfera dans l'immédiat nos besoins les plus basiques et alimentera en permanence des tares politiques qui maintiendront le pays dans un sous-développement économique endémique. On doit aussi au Président ou à son staff l'art d'avoir bricolé énormément de projets économiques foireux dissimulés sous un faste et une esbroufe diaboliques. Le Président n'aura pas le temps d'écrire ses mémoires, de se justifier, se disculper ou expliquer au monde les ressorts de cette malédiction politique qui fera de son règne l'un des plus toxiques et des plus mystérieux au monde. En dépit de quelques truismes énoncés à son sujet, on connaissait si peu de choses à propos de cet illustre personnage énigmatique. Il emportera dans sa crypte tellement de secrets. Ceux qui chercheront à le disculper doivent se ressaisir et se rappeler que cette Corruption qu'il stigmatisera au début avec une ferveur religieuse reprendra de plus belle dès son investiture. En 1999, le président Bouteflika, en faisant le bilan du Pouvoir qui l'avait précédé, dira ceci : «Depuis que je suis au pouvoir, je suis arrivé à la conclusion que l'Etat algérien était bien pourri...Je ne connais pas de pays au monde où la crise morale a débouché sur un si grand nombre de perversités et où l'Etat national a, à ce point, vacillé... la violence se confond dans un magma de brigandage, de mafiosi, de gens véreux». 4 Aujourd'hui, à voir la concupiscence abyssale dans laquelle sera noyé le pays sous « son haut patronage », on en arrive souvent à se demander si ses invectives étaient adressées au Pouvoir qui l'avait précédé ou si c'était son crédo pour les années à venir. Car il n'y aura non seulement aucun changement mais nous assisterons nous tous, (complices et compromis jusqu'au cou , certains impassibles spectateurs dans l'attente d'une opportunité , d'autres évoluant au gré des circonstances et désormais résolument engagés dans la voie de l'illégalité et du crime, le reste gigotant désespérément anonyme dans une misère et exclusion ignominieuses) à l'un des systèmes politiques le plus démoniaque. Doit-on accepter comme seules explications à cette tragédie nationale l'attrait du pouvoir et cette maudite rente intarissable ? Est-ce suffisant pour inhiber toutes vertus et lucidité chez des hommes qui paraissaient sains d'esprit ? Voilà plus d'un demi-siècle que nous avons chassé l'oppresseur. Nous avions en tête les rêves les plus fous qui finiront par s'évaporer et ne laisser hélas subsister que folies compulsives et cupidités dévorantes. Dès son investiture, le Président fera à son peuple des promesses pourtant très faciles à tenir si les bonnes résolutions et des hommes vertueux étaient au rendez-vous. Il réussira, dans la foulée d'initiatives antérieures, et au prix de tractations dont nous ignorons tout , à amadouer les assassins et les pyromanes de l'époque. Tout le monde lui doit cette paix si précaire que nous essayons aujourd'hui de rafistoler. «J'éteindrai les feux de la discorde, je m'engage à relancer l'économie nationale, je rendrai à l'Algérien sa dignité et à l'Algérie sa place dans le concert des nations», martèlera-t-il dès le début de son règne, avec force, vigueur et assurance. Le peuple exulte et se rassure. La paix revient et dans son sillage des charognards patients et déterminés, car il y a toujours des proies, des festins, quelque chose à dépecer. Les vingt années de son règne généreront un saccage tellement profond (pernicieux et imperceptible peut-être ) au niveau de toutes les institutions et de la société qu'il faudrait des efforts , des vertus et une volonté inébranlable que la Nation toute entière doit déployer pour réparer des décennies d'aberrations politiques. La Concorde Civile et la Réconciliation Nationale demeurent toujours fragiles car de nouvelles menaces s'amoncellent et se profilent à l'horizon. Le président sera absous de toute la démence politique qui caractérisera son règne. Juger le président c'est juger l'Algérie toute entière , car il prendra le soin de corrompre tout le monde , suscitant en chacun les désirs , les ambitions , les pulsions les plus malsaines. « Et quand tout sera accompli, le Diable dira: « Certes, Allah vous avait fait une promesse de vérité; tandis que moi, je vous ai fait une promesse que je n'ai pas tenue. Je n'avais aucune autorité sur vous si ce n'est que je vous ai appelés, et que vous m'avez répondu. Ne me faites donc pas de reproches; mais faites-en à vous-mêmes. Je ne vous suis d'aucun secours et vous ne m'êtes d'aucun secours. Je vous renie de m'avoir jadis associé [à Allah]. » Certes, un châtiment douloureux attend les injustes» (5) Le tyran n'est extérieur ni l'autre. Il est en chacun sous la forme du désir qui nous promet, si nous le faisions Roi, de faire de nous son ministre favori. La corruption fera sourdre dans le cœur de chaque citoyen beaucoup de ressentiment, ferment d'un genre de « Fitna » qui est pire que toutes les autres formes de menaces extérieures, cette subversion détruira par un processus d'implosion tout ce qui concourt à faire l'armature d'un peuple, d'une société, d'une nation. Une démission, une lassitude et un désintéressement profond à l'égard du bien public habitent depuis longtemps chaque citoyen. «Le caractère endémique de la corruption qui mine l'Algérie est devenue un obstacle au développement politique et économique du pays. - Le fait que ses causes les plus évidentes soient situées au sommet de l'Etat ne favorise pas non plus un comportement citoyen.» (6) En septembre 2006, la Présidente de Transparency International, Mme Huguette LABELLE invitée aux Débats d'El-Watan sur la Corruption , rappelle au sujet de ce fléau ce que tout le monde savait déjà :«Ce fléau alimente la pauvreté et la violence, détruit la fibre nationale de la société et transforme les valeurs saines en valeurs immorales. Son coût est tellement élevé qu'il est impossible de le quantifier.» Le Président ne se privera pas de vouer aux gémonies ses prédécesseurs mais il restera terriblement silencieux et impassible face aux scandales financiers qui gangrénaient la Nation pendant qu'il incarnait l'Algérie toute entière. En 2012 , lors de son passage à Sétif , le président Abdelaziz Bouteflika clamera haut et fort «Tab djnanna , nous avons du mal à suivre le rythme», insinuant par là que la gestion des affaires du pays devait désormais échoir à une nouvelle génération, conseillant par là à la famille révolutionnaire de songer à lâcher prise. Il reprochera à certains d'avoir fait de la « Révolution » un fond de commerce. Il raillera l'économie de bazar qui régnait avant son investiture. « Kéch Bakhta ouéFnadjél Mériem », disait-il çà et là . Malheureusement et mystérieusement, son règne sera plus loufoque. Ses promesses grandiloquentes ne seront jamais réalisées. L'Algérie survit toujours misérablement grâce à la politique du « Tout Container » et de « l'Import/Import. » Parmi ceux qui l'ont adulé ou berné , tout le monde essayera aujourd'hui ou plus tard de se racheter une virginité ,de pointer du doigt les boucs émissaires de son choix , de s'inventer les justificatifs qui permettent à chacun de continuer à vivre en paix avec sa conscience. Il a été l'instigateur de sa propre déchéance et de la déchéance de tout un pays. La tragédie ne commencera pas en 2013, lors de son accident vasculaire cérébral, il a enclenché le compte à rebours dès son investiture. Un règne contaminé par un narcissisme effarant, un esprit vindicatif et un étrange désarroi que rien ne pouvait guérir. Il laissera comme héritage un « Hirak » à la fois désabusé et irréductible qui squattera indéfiniment l'Agora, convaincu qu'aucun gouvernement ne pourra désormais être crédible , que tous les élus sont suspects , que derrière chaque visage , chaque tribun, chaque discours , se dissimulent la tartufferie et la traitrise. Ce que Ferhat Abbas prophétisait en 1963 finira par arriver : A défaut de créer un Etat fort qui se suffit à lui-même, émanation d'une volonté populaire (un Etat qui ne peut ni ne doit disparaître avec la disparition des hommes, selon le vœu du président Houari Boumediene). On sera amené à confier l'Etat, à le sous-traiter, à le louer à des oligarchies périphériques. Notre défunt président Abdelaziz Bouteflika n'aura été que le produit d'un passé tourmenté, une véritable jungle où tous les coups sont permis. En 1964, seulement quelques années après l'indépendance, Mostefa Lacheraf faisait un tableau assez sombre et inquiétant de la « nature du régime ou du pouvoir » qui présentait déjà des signes avancés de déliquescence : «Objectivement, nous n'avons fait aucun effort sur nous-mêmes pour conjurer les risques et les malheurs dont notre pays a souffert... Peut-on décemment parler d'esprit révolutionnaire, de garants de la Révolution, en évoquant des hommes qui ne savent même pas se retenir sur la pente facile des tentations matérielles, de la soif frénétique de s'enrichir et de s'embourgeoiser ?» (7) *Universitaire Ce qui adviendra par la suite n'est qu'un formidable « Bug politique » qui a immobilisé toute la nation depuis l'indépendance. Notes 1- Spinoza, Traité théologico-politique, chapitre XX, GF Flammarion, 1965, p.329. 2- Abdelaziz RAHABI « La corruption absolue produit du pouvoir absolu » , El-Watan du Jeudi 21/01/2010 3- Abderrahmane MEBTOUL « Le gouvernement algérien a-t-il tiré les leçons du scandale de Khalifa ? », Journal Liberté du 19/12/2013 4- Discours du président Abdelaziz Bouteflika 1999. 5- Le Coran ? Sourate Abraham - Verset 22 6- Cécile JOLLY,Les cercles vicieux de la corruption en Algérie. Revue internationale et Stratégique.2001/3, N°4 7- Mostefa Lacheraf, « L'Algérie, Nation et société » , Casbah Editions, Alger 2006, P.270 |
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