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![]() ![]() ![]() Le flux des populations en vitesse numérique instantanée
par Sid Lakhdar Boumédiene* ![]() Une
simple observation sur la plage espagnole, cet été, nous montre la forte
présence de familles musulmanes, beaucoup d'entre elles identifiables par le Burkini. Que s'est-il passé ? Ne pas se méprendre, mon
analyse ne porte pas sur cet aspect vestimentaire mais sur le nombre inhabituel
qu'il faut analyser.
Le phénomène n'est absolument pas identique à celui du flux migratoire des arrivées illégales. Il s'agit cette fois de touristes en famille, tout à fait légitimement sur le territoire ibérique pour un repos bien mérité après une année de travail dans les pays voisins et dont la majorité ayant une origine Nord-africaine. À l'évidence, une population francophone venue de Belgique ou de France. La réponse à la question qui se pose est assez simple, ces populations n'ont pas pu rejoindre les pays d'origine. Rien d'étonnant mais une autre question est soulevée, comment réagissent les habitants locaux après les événements de cet hiver ? Il faut savoir que le flux de clandestins se dirigeant vers l'Espagne a déjà atteint un seuil considérable lors de cette année. L'image des centaines de bateaux accostant illégalement sur les côtes des îles Canaries, multipliant le nombre qui accostaient sur les côtes Ibériques est encore dans les mémoires des Espagnols qui peinent à dire leur sentiment profond. Nous avons pu voir, plus récemment, des milliers de jeunes marocains traverser la frontière de Ceuta Déjà, ce pays compte une forte proportion de citoyens tentés par le discours de Vox, le parti nationaliste espagnol, néo franquiste et raciste. La voilà aujourd'hui confrontée à une arrivée massive d'une population qui ne vient pas d'Afrique mais qui avait l'habitude de s'y rendre pour les vacances estivales. L'Espagne se trouve donc dans le goulet d'étranglement de deux flux migratoires qui l'inquiètent au plus haut point même s'ils n'ont pas la même nature ni le même intérêt. L'un, est tout à fait illégal, l'autre est composé de touristes, participant à l'économie du pays mais néanmoins pouvant susciter des pensées équivoques, notamment par le burkini qui n'est évidemment pas un signe de discrétion et de normalité habituelle. Le souci est que même en considérant son état minoritaire dans le flux global des millions de touristes, le burkini donne une visibilité certaine. Aucune loi n'interdit le choix d'un habit mais aucune loi n'interdit l'attirance de l'œil et l'émergence d'une pensée. Les regards sont expressifs et il faudrait faire un gros effort pour ne pas les interpréter. Des flux à la vitesse numérique Mais au-delà de cette affirmation, c'est une analyse plus détachée que nous pouvons faire. Ce phénomène ne fait que confirmer, dans les chiffres comme dans la perception visuelle, l'extrême sensibilité des flux humains aux événements dans tel ou tel territoire, qu'ils soient politiques, économiques, climatiques ou le résultat d'une catastrophe sanitaire. Pour le flux de touristes, les déplacements humains ont, durant ces dernières années, été corrélés à des percées technologiques (aviation à bas coût), à l'expansion des revenus des classes moyennes, à la relative baisse des contraintes de visas et ainsi de suite. L'arrivée d'Internet et des réservations numériques, donc des annulations, a fait exploser la réactivité de ces population qui se retrouvent toutes avec la même décision de changement d'itinéraire, de destination. Or, quelle est l'étape la plus conforme aux désirs de ces populations se rendant dans leurs pays d'origine ? C'est prioritairement l'Espagne. Les autres, restant culturellement et financièrement plus éloignées pour un report massif. Il faut ajouter à cela le nombre majoritaire de francophones d'origine marocaine qui ont, pour cette destination, soit une habitude de trajet soit des attaches familiales et, souvent, les deux. La dernière fois que nous avions pu constater ce phénomène de modification des flux était à une époque où les populations de touristes avaient détourné leur projet d'un départ vers la Tunisie, frappée d'un regain de terrorisme. Un sentiment qui pointe son nez ? Voilà ce qui qu'écrivait le Journal Le Point en juillet 2016 : « Majorque en a ras le bol des touristes. Les vacanciers boudent le Maghreb et la Turquie et prennent d'assaut l'Espagne et le Portugal. Au grand dam des locaux, qui ont du mal à gérer un tel afflux de touristes ». Mais il faut reconnaître deux points qui peuvent relativiser la pertinence de la comparaison. C'était à une époque où Barcelone ainsi que les Îles Baléares connaissaient une montée vive de protestations contre l'arrivée massive de jeunes européens venus faire la « fête », ce qui occasionnait de gigantesque nuisances. Le second point de différence est que, d'une part, l'arrivée des boat-poeple ne concernait pas encore l'Espagne et que la fièvre de la poussée du parti nationaliste était encore très marginale dans les urnes. On peut imaginer, même si cela représente une grande entrée financière pour ce pays frappée durement par la baisse du nombre de touristes en cette période de pandémie, ce que la vue des burkinis sur les plages, en nombre important, peut susciter dans des esprits déjà orientés vers le rejet de toute population étrangère. Le monde voit donc basculer ses flux de population (en émigration ou en touristes) d'une manière aussi rapide qu'un clic sur un ordinateur. Toute notre conception des bouleversements des flux est remise en question. Il n'y a aucun événement local qui ne puisse avoir une répercussion sur les flux internationaux, presque instantanément. Sur les plages espagnoles, peut-être ne reverrons-nous pas l'année prochaine les mêmes images. Ainsi va le monde, d'un événement à un clic. Et, à l'inverse, l'année prochaine, nous reverrions sans doute les plaques d'immatriculation algériennes dans les parkings des centres commerciaux espagnols. Nous reprendrions avec plaisir, mon épouse et moi, ce jeu de rivalité sympathique « Tiens, un 16, une belle voiture, normal, c'est Alger ». Et moi, de lui répondre « Plus elle est grosse, plus elle brille au soleil de sa prétention ». Il faut dire que je n'insiste pas car on pourrait me rappeler que le 31 n'est pas plus discret à se montrer dans sa parure. Mais avec un sourire qui a de la peine à dissimuler notre tendresse et l'espérance de les revoir de nouveau. *Enseignant |
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