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De l'unité de la solidarité et de la résilience nationales

par Abdelkader Khelil*

Qu'ils soient naturels ou provoquées par l'homme en raison de sa mauvaise gouvernance ou son manque de civisme, les feux de forêts laissent le plus souvent de lourdes séquelles psychologiques non seulement chez les populations victimes de ces fléaux, mais aussi, chez tous leurs compatriotes des autres régions du pays.

C'est dire que le cri de ralliement « khawa-khawa » dans l'imaginaire algérien et de la mémoire collective depuis la nuit des temps n'est pas un vain mot. Cet élan magistral de solidarité n'est sans doute pas pour plaire à ceux qui cherchent à diviser un peuple uni depuis les résistances à tous les envahisseurs...

Nonobstant de nombreux brûlés à différents degrés, le forfait accompli par une minorité de traîtres, pyromanes haineux antipatriotiques et partisans de la « fitna », aura fortement marqué par le deuil, 69 familles pour la seule Wilaya de Tizi-Ouzou dont 26 jeunes militaires originaires de diverses régions d'Algérie qui ont lutté aux côtés des sapeurs pompiers et des citoyens avec courage, pour éteindre les brasiers et porter secours à 110 citoyens hommes, femmes et enfants, cernées par le feu dans leurs habitations et/ou vergers. Ces valeureux martyrs du devoir ne peuvent être que la grande fierté se notre peuple.

En vaillants humanistes, ils ont tracé et indiqué la voie à suivre pour porter secours à leurs frères et sœurs au péril de leurs vies, consolidant ainsi, l'esprit de l'unité nationale et du patriotisme au sein de notre Nation si riche et si diverse. Gloire à vous martyrs ! Je me dois de dire qu'une stèle grandiose reste à ériger à vos mémoires au cœur du Djurdjura, ce sanctuaire de Lalla Khedjidja, ce bastion de la résistance et symbole de la femme Algérienne résistante à l'occupant, Lala N'Soumer, afin que nulle personne n'oublie que la Nation algérienne est une et indivisible à jamais.

Bien évidemment, cette catastrophe s'est accompagnée par des pertes colossales évaluées par imagerie satellitaire à une superficie de plus de 23.000 hectares calcinés, soit un préjudice énorme causé au patrimoine forestier, à la biodiversité, à la faune et à la flore.

Ces incendies et destructions n'ont d'égales que celles vécues par les bombardements au napalm des Aurès, de la Kabylie, de l'Ouarsenis, de Télagh, de Fellaoucène... de l'aviation française durant la nuit coloniale, hypothèquent sérieusement les intérêts des générations futures. C'est dire que notre territoire défiguré trainera pendant longtemps les stigmates qui nous rappelleront, l'ampleur de ce cataclysme jamais égalé.

Il a aussi affecté directement les populations riveraines des forêts qui ont perdu leurs oliveraies millénaires et une part non négligeable de leur mémoire liée à ce patrimoine oléicole qui symbolise pour eux, l'attachement charnel au terroir. La perte de vergers, de ruchers, de cheptel, d'infrastructures socio-éducatives, d'habitations... doivent être et seront bien sûr compensées en totalité ou en partie. Mais ce qui est le plus dur à vivre, ce sont les ressentiments d'incompréhension, de doute, de nostalgie, voire de colère ou de résignation. Les impacts psychologiques sont déjà très importants chez ceux qui ont perdu des proches, des amis ou des connaissances. En fait, chaque personne réagit différemment face à cette tragédie. Ce phénomène est lié à la personnalité de l'individu bien sûr, mais il sera plus ou moins important selon l'implication personnelle de ce dernier, face à la catastrophe et les réactions peuvent se manifester après le drame. Les victimes et les témoins peuvent ressentir : un stress aïgu, une peur intense, un sentiment d'impuissance, une forme de dépersonnalisation, une forte colère, de l'irritabilité, de l'insomnie, des troubles psychiques et une perte de confiance en l'avenir.

Les personnes âgées quant à elles, sont plus soumises à la fatigue et au stress. En plus des impacts ressentis, elles éprouvent des difficultés à rassembler leurs idées, à vivre la perte de leurs biens ou de leurs souvenirs matériels, à subvenir à leurs familles, à accepter un hébergement temporaire, voire à déménager, à contrôler leur anxiété, à retrouver un état de santé physique et mentale comparable à celui qu'elles avaient avant la catastrophe.

Oui ! C'était là l'objectif recherché par les forces du mal. Ces commanditaires de la « guerre psychologique » dite de « quatrième génération » qui nous est livrée par procuration, voulaient à travers des actions subversives de sabotage et de crimes économiques, porter atteinte à notre moral et plonger notre population, dans une atmosphère de doute et d'incertitudes quant à son attachement à son unité nationale. Il s'agit en fait, d'affaiblir sa capacité de résilience. Mais aujourd'hui comme hier durant la décennie noire, nos compatriotes auront malgré tout, le désir de reconstruire leurs vies même péniblement. C'est dire que les souffrances que nous avons en commun sont plus fortes que les joies, comme le souligne pleinement ce formidable élan de solidarité manifesté par toutes les wilayas du pays en direction de notre Kabylie martyre prise en otage par une bande de criminels à la solde de leurs mentors. Même le lynchage à mort de Djamel Bensmail, ce jeune bénévole, n'a pas réussi à faire fléchir le peuple algérien qui a su désamorcer le piège de la division à haut risque. Mieux encore ! Le père de la victime, ce citoyen exemplaire de Miliana de Sidi Ahmed Benyoucef a trouvé en lui, le courage pour s'exprimer publiquement et sans larmes versées devant les caméras des médias. Plaçant l'intérêt suprême du pays au-dessus de tout, ce Monsieur au grand cœur, visiblement « zaouali » par son paraître et par le ton de ses propos, a axé son laïus sur la nécessité de préserver l'unité nationale, car à ses yeux, cela vaut plus que la perte de son fils. Il a aussi dénoncé cette femme « M'khaznia » qui a voulu jeter l'huile sur le feu en se faisant passer pour la sœur de la victime, ce qui est faux nous a-t-il-dit. Lui emboitant le pas, les comités de villages de Larbaa Nath Irathen ont condamné fermement ce crime qu'ils qualifient d'ignoble et d'abject, tout en présentant leurs condoléances à la famille du défunt. Ils ont aussi, appelé à ce que justice soit faite. Ces gestes de sagesse et de noblesse de cœurs pourtant meurtris, font référence à ce qui est communément appelé : « l'amour de la patrie ». N'est-ce pas que si l'on pose la question à chaque Algérien de savoir s'il aime son pays, la grande majorité répondra oui sans hésitation ? Mais hélas, cela ne s'applique pas à la totalité d'entre nous.

Aimer son pays c'est ressentir de la fierté de lui appartenir et d'admettre qu'il est merveilleux d'Est en Ouest et du Nord au Sud dans sa diversité plurielle, dans sa palette de paysages grandioses et époustouflants. C'est l'aimer comme on aime sa famille et chercher à lui procurer du bien nécessaire pour améliorer ses conditions de vie et de travail et pour assurer correctement son développement et son fonctionnement. C'est montrer de la bienveillance à l'égard de tous ses compatriotes et se sentir un membre conscient appartenant à un peuple uni et solidaire composé de compagnons et d'amis.

En amour, on donne en espérant en retour, mais l'amour de la patrie c'est donner sans compter et sans contrepartie car c'est exprimer ce que nous sommes et agir en accord avec cela. Alors, oui ! Cette catastrophe est cette grande épreuve qui doit nous permettre de tirer les leçons pour mieux se préparer collectivement et individuellement, confronter et surmonter de prochaines, car à s'y méprendre, il y en aura d'autres dans cette guerre psychologique qui nous est sournoisement déclarée.

Pour l'heure, la vigilance se doit d'être de mise et l'impératif est d'améliorer la résilience de notre pays dans tous les domaines. Les périls sont nombreux, dont certains imminents si l'on néglige la protection de tous les points névralgiques. Il faut se dire que nous sommes en guerre et il faut apprendre à anticiper les événements plutôt que d'avoir à les subir pour être à la hauteur des défis qui nous sont lancés. Il faut faire preuve d'imagination et de créativité en prenant option pour une communication intelligente en informant correctement les citoyens sur les évènements qui les touchent en premier lieu. Dos au mur, et au-delà de l'initiation d'un plan multisectoriel d'urgence à l'effet d'atténuer les souffrances des populations victimes, les pouvoirs publics doivent sortir des sentiers battus en optant pour une authentique gouvernance de crise véritable qui tend à fédérer et à mutualiser les efforts de tous les acteurs institutionnels, sociaux et économiques. La rigueur, le sérieux, la rationalité, l'écoute des propositions de la population et la réactivité doivent être au rendez-vous.

Il s'agit d'écarter les approches bricolées, non planifiées et de court-terme jusque-là usitées qui, bien qu'ayant fait la preuve de leur stérilité et de leur non productivité, continuent d'être utilisées par incompétence routinière, sinon par impéritie. Le temps n'est pas aux pleureuses de la déploration et au fatalisme stérile et paralysant, mais à l'action maturée et réfléchie en mettant à contribution toutes les compétences dont dispose le pays et particulièrement, au niveau local où tout doit se faire dans la transparence, l'implication citoyenne et des élites locales qui se morfondent dans la solitude de leurs retraites alors qu'ils ont encore bien des choses à transmettre aux jeunes commis de l'État.

Dans ce cas de figure, l'objectif est la mobilisation rapide de nouvelles ressources pour parer aux dépenses vitales qui consolident la résilience nationale. Pas besoin de chercher à s'endetter ! Il s'agira tout d'abord, réduire impérativement le train de vie des institutions étatiques et des collectivités locales excessivement budgétivores pour s'inscrire dans une véritable « économie de guerre », car lourde sera la dépense publique et impartial sera le jugement de nos concitoyens à l'égard des gouvernants qui auront failli à leurs devoirs. Point de place pour la médiocratie dans une société qui aspire au progrès.

Dans l'immédiat, il s'agira : d'entreprendre la densification des pistes forestières, l'assainissement des tranchées pare feu, le maillage approprié en points d'eau, le reboisement à très grande échelle des bassins versants, notamment du barrage de Taksebt qui alimente plusieurs Wilayas afin d'anticiper sur son envasement rapide, la rénovation et l'extension des oliveraies, la densification des postes vigie, l'acquisition de nouveaux équipements de lutte contre les incendies.

Il faut aussi, songer à valoriser le métier de garde forestier qui doit disposer de tous les moyens pour l'exercice de sa fonction d'agent assermenté chargé de la prévention, la sensibilisation et la répression dans le stricte respect de la réglementation en vigueur...

De la sorte, des milliers d'emplois de proximité peuvent être créés pour les populations riveraines des forêts qui doivent faire l'objet d'un minutieux recensement, afin que les pouvoirs publics puissent mieux sécuriser ces espaces ouverts qui requièrent une surveillance accrue, particulièrement à l'approche de l'été. Ce programme colossal qui tend à ramener de l'espoir auprès de nos concitoyens, ne saurait être du seul ressort du secteur des forêts qui a montré ses limites. Dans ce contexte dominé par l'aspect sécuritaire, la réhabilitation de la garde communale pourrait être d'une grande utilité au regard de sa connaissance du terrain ... Une place importance pourrait aussi être réservée au volontariat et à la planification inter-wilayas pour ancrer et consolider dans la durée la dynamique d'entraide et de solidarité, ces liants si indispensables à la consolidation de l'unité nationale afin d'assurer le développement équitable et le progrès de tout le pays...

*Professeur