Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Séjour en enfer

par H. Youcef

Les prophéties de fin du monde pullulent sur les réseaux sociaux et redoublent de férocité en prenant appui sur les inondations vues ça et là, l'indomptable Covid-19 et les canicules qui sont toujours accompagnées d'incendies. Un avant-goût de l'apocalypse s'est justement imposé à travers les nombreux incendies qui se sont déclarés simultanément aux quatre coins de la Kabylie, menaçant d'asphyxier la population et la priver de l'oxygène qu'elle s'était acharnée des semaines durant à mettre à la portée des nombreux patients de l'apocalyptique Covid-19. Ce dernier a vu sa cote dégringoler momentanément et se faire voler la vedette par les feux dont l'étendue et la simultanéité ont laissé perplexe plus d'un. Plus de quinze incendies le premier jour et davantage les heures suivantes ont fait craindre le pire à tous. Et le pire ne tarde pas à se présenter et en l'espace de quelques heures, les vies humaines perdues se comptent en dizaines. La verdure laisse place à cette couleur cendre qui s'accommode mal avec le vert. Le paradis se mue en enfer et les villageois se retrouvent obligés de fuir des maisons qu'ils se sont échinés à bâtir en s'adaptant au relief rugueux vers le chef-lieu de la willaya pour sauver leur peau. La peau cramée de moutons et les brûlures sur la tête dégarnie d'un vieillard sont parmi les images les plus choquantes que partagent les internautes.       

D'autres images glaçantes parviennent instantanément et lénifient même les plus coriaces. Ici, un homme fuyant les flammes avec une vieille femme sur son dos; là, une fillette sortant de la fenêtre de la voiture, qui fuit à toute allure, un visage ébahi d'où l'innocence semble à tout jamais partie. Les animaux ne sont pas en reste et le visage de cette vache au regard éberlué par la découverte de son petit calciné ou encore ces moutons brûlés vifs, peuvent fondre le cœur des pyromanes mêmes. La chaleur des incendies et celle du soleil menacent de faire exploser le thermomètre et diminuer encore plus le taux d'oxygène. La fumée rougeâtre semble monter des tréfonds de la demeure des damnés et entache les nuages qui sont visiblement intimidés.

La nuit craint pour son obscurité car les flammes éteintes font voir l'image terrifiante d'un volcan faisant répandre sa lave sur des vergers. Les flammes non encore vaincues et qui arpentent la montagne à l'assaut du fort pour y laisser des victimes sont, elles, plus imposantes et sont vraisemblablement venues tout droit de l'enfer qui s'est invité en ce mois d'août au pays aux maisons ancestrales que les bombardements coloniaux avaient malencontreusement épargnées. Grâce à la solidarité et par fidélité au châtiment de Sisyphe, les maisons seront reconstruites, d'autres oliviers seront greffés ou plantés et la population en sortira plus aguerrie, mais nul n'oubliera de sitôt ce séjour en enfer.