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En
passant récemment par le plus grand des hasards devant la librairie Alili a Tlemcen, je découvre
l'ouvrage de Abderrahmane Moussaoui,
édité courant avril 2021 par Chihab Editions.
Inutile de dire que je l'ai acheté sur le coup sans même en feuilleter les pages, et ce pour deux raisons : la première tient au fait que j'ai travaillé sur le sujet au cours des années 70. La seconde est liée à l'auteur, que je connais depuis le début de ma carrière d'enseignant au sein de l'université d'Oran. Abderrahmane avait participé alors aux missions que je menais dans le Sud. A l'époque, les étudiants en sciences sociales n'étaient pas nombreux et pouvaient à peine remplir l'autocar de l'ONAT loué pour la circonstance. C'était l'époque où les cours théoriques donnés dans les amphis se devaient d'être confrontés au terrain. L'enquête prenait en effet une grande importance et les étudiants étaient très motivés par ce qu'ils pouvaient recueillir non seulement de l'observation du milieu oasien , mais aussi des interviews libres auprès de la communauté locale. Depuis, de l'eau a coulé sous les «ponts de la Saoura«....Abderrahmane, comme une bonne partie des étudiants de sa promotion, a mené une carrière brillante à l'étranger, à un moment où l'enseignement en langue française était de moins en moins usité dans nos universités, suite aux réformes dédiées à l'arabisation. Abderrahmane , désormais professeur titulaire en anthropologie au sein de l'université de Lyon 2, est connu mondialement pour ses nombreuses publications , touchant à des aspects divers de la discipline dont il avait la charge. L'ouvrage objet de cet article ressemble à un retour « aux premieres amours «. Non pas que le thème traité ici soit nouveau dans son palmarès publicationnel, mais il vient de prendre l'écosystème oasien à bras le corps, si je puis dire. S'y trouvent revisitées non seulement les études monographiques léguées par la littérature orientaliste , mais certaines thèses théoriques auxquelles elles ont donné lieu à une période plus récente. Abderrahmane en a fait une recension quasi-exhaustive, ne négligeant ni les aspects techniques, tels que la géo-morphologie, l'écologie, voire la paléo-écologie , ou que l'histoire, l'hagiologie, l'économie, et pour couronner le tout l'anthropologie sociale et culturelle. C'est une somme à la fois monographique et critique ( critique théorique s'entend ) qui fait de cet ouvrage une nouveauté par rapport à ce qui a été écrit sur les réalités oasiennes d'hier et d'aujourd'hui. A ce titre, Abderrahmane n'a négligé aucune référence documentaire, s'attelant à une «somme bibliographique « au-delà de ce qui a pu être écrit à ce jour sur l'espace oasien. Ayant moi-meme publié un ouvrage sur le sujet ( Lecture de l'espace oasien, Sindbad, 1980 ), j'avoue n'avoir pas eu la l'opportunité de consulter les innombrables travaux de nos prédécesseurs, et reconnais ne pas avoir cerné tous les aspects , notamment le fonctionnement du système hydraulique , sa genèse présumée , l'histoire locale , sachant que durant la rédaction de ma thèse d'Etat soutenue en février 1977 sous la direction de feu le professeur Georges Balandier , l'outil numérique n'existant pas, la quête documentaire dans les bibliothèques était un parcours du combattant. D'autre part , « Lecture de l'espace oasien» ne constitue qu'un des chapitres de la thèse qui portait sur une typologie de l'espace rural algérien (le milieu touareg, le milieu oasien, le milieu agro-pastoral des Plateaux, enfin le Tell aux prises avec la Revolution Agraire). Pour en revenir au domaine oasien, et plus précisément sur l'écosystème hydraulique, l'oeuvre salutaire de Abderrahmane éclaire sous un jour nouveau certaines réalités, tout en considérant. - humilité oblige - que certains pans de ces réalités doivent encore être creusées . Il s'agit entre autres de l'origine (ethnique ou démographique) des anciennes couches serviles appelées H'ratin-s, de la genèse du système foggarien, à propos duquel l'hypothèse diffusionniste (origine iranienne , locale ou d'essence syncrétique ) reste sans réponse . A ce propos, j'ai eu l'occasion de formaliser le concept d'écosystème , dans des travaux récents (cf. Programme de tele-enseignement en anthropologie cognitive, séance 17 et 18, https//: nadirmarouf. univ-tlemcen.dz ) dans lequel il est montré que dans le contexte paléotechnique, les solutions de survie peuvent être, sinon convergentes , du moins proches, sans avoir à recourir obligatoirement à une origine allogène . Un exemple concret permet d'y voir clair : près d'une palmeraie de Oulad Said ( Gourara ), je constatais ( enquête en 1973) l'existence de grosses pierres déposées au pied d'une dune , déposées tout au long de celle-ci. Interrogeant un paysan sur l'utilité de ces pierres, il m'expliqua que, compte tenu du vent dominant, celui-ci fait tournoyer le sable autour de ces pierres, permettant ainsi à la dune de s'allonger latéralement au lieu d'avancer .Cela a pour effet de préserver la palmeraie de l'envahissement arénacé , du moins à retarder l'échéance de son impact. Quelques années plus pard, lors d'un séminaire organisé par l'ex - CRAPE (actuellement CNRPAH ) sur la paléoécologie saharienne, Monique Mainguet, chercheure au CNRS, m'informa que dans le désert de Gobie, les routes secondaires étaient protégées de l'ensablement au moyen de murets espacés de 2 à 3 mètres et disposés sur un angle approprié aux abords de ces routes. Ces murets provoquaient une forte turbulence éolienne grâce à laquelle le sable était propulsé de l'autre côté de la voie de communication. Provoquer artificiellement de la turbulence est le trait commun de l'ingéniosité humaine, qu'elle que soit la distance géographique et culturelle des acteurs concernés . La modalité diffère, mais le principe est le même. On peut donner de multiples exemples du genre pour trouver du sens à des pratiques observées à des milliers de kilomètres. C'est là une hypothèse parmi d'autres, mais qui exclue la thèse diffusionniste comme étant exclusive. Le travail de Abderrahmane Moussaoui invite le chercheur lambda a creuser encore et à confronter les hypothèses, grâce à de minutieuses observations confortées par l'approche comparative. Pour finir, ce travail doit inspirer nos jeunes doctorants pour donner à l'expérience du terrain toute sa place . C'est à cette condition que la réflexion théorique trouve sa raison d'être. Aujourd'hui, le terrain est absent dans nos facultés des sciences humaines. Il est tant de remuer le cocotier. Abderrahmane vient, par ce livre magnifique, nous le rappeler. *Professeur Émérite des Universités |
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