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Après
qu'il eut pris des décisions spectaculaires, le président tunisien est attendu
ces jours-ci pour nommer un gouvernement et programmer la révision de la
Constitution. «La Tunisie est sur le bon chemin», a rassuré Kaïs
Saïed.
«Nous respirons la liberté», était ce cri de joie poussé par des intellectuels tunisiens, le dimanche 25 juillet, suite aux décisions que le président tunisien Kaïs Saïed avait annoncées lors d'une réunion qu'il a tenue avec de hauts responsables civils et militaires. Ce jour-là, les services de la présidence de la République tunisienne ont rendu public un communiqué pour faire savoir qu'«après avoir consulté le chef du gouvernement et le président de l'Assemblée des représentants du peuple, et conformément à l'article 80 de la Constitution, le président de la République Kaïs Saïed a pris des mesures pour préserver l'entité de la patrie ainsi que sa sécurité et son indépendance et pour assurer le fonctionnement normal des rouages de l'Etat». Saïed avait décidé le gel du Parlement et de toutes ses activités ainsi que le limogeage du chef du gouvernement. Il avait en même temps procédé à la levée de l'immunité des députés de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). «En cas de péril imminent menaçant la nation ou la sécurité ou l'indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures requises par ces circonstances exceptionnelles après consultation du chef du gouvernement, du président de l'Assemblée des représentants du peuple et information du président de la Cour constitutionnelle. Il adresse à ce sujet un message au peuple. Ces mesures garantissent, dans les plus brefs délais, un retour à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. L'Assemblée des représentants du peuple est considérée, durant cette période, en état de réunion permanente. Dans ce cas, le président de la République ne peut dissoudre l'Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure à l'encontre du gouvernement. Trente jours après l'entrée en vigueur de ces mesures et à tout moment passé ce délai, le président de l'Assemblée des représentants du peuple ou les deux tiers de ses membres, peuvent saisir la Cour constitutionnelle en vue de vérifier si les circonstances exceptionnelles perdurent. Les travers du régime parlementaire tunisien La décision de la Cour constitutionnelle est adoptée publiquement dans un délai ne dépassant pas quinze jours. Ces mesures cessent d'avoir effet dès lors que les circonstances qui les ont engendrées prennent fin. Le président de la République adresse un message au peuple à ce sujet. Le président de l'ARP a démenti avoir été consulté et a jugé ces décisions «anticonstitutionnelles». Bien qu'il ait annoncé que l'ARP était, depuis son gel, en session ouverte «en ligne», Al Ghannouchi se retrouve sans voie de recours pour rouvrir les portes du Parlement. Pour cause, la Cour constitutionnelle citée dans l'article 80 de la Constitution n'a pas été créée à ce jour. Evoluant sous un régime monocaméral, précisément parlementaire, la Tunisie s'est retrouvée depuis 2014, date de la promulgation de la Constitution, sous le règne de la mouvance islamiste incarnée par le mouvement Ennahdha. Le gouvernement de Hichem Mechichi travaillait sous les instructions de l'ARP. Contactée hier par nos soins, l'éditorialiste du quotidien Essabah estime qu' «à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles» et que le coup de force du président tunisien pour prendre le pouvoir devait avoir lieu, selon elle, pour éviter le pire au pays. «Il fallait qu'il fasse quelque chose, qu'il réagisse à ce qui se passait sinon ils auraient, eux, agi contre lui», nous a dit Essia Atrous. Le «péril imminent» dont s'est prévalu le président tunisien vise en évidence la mouvance islamiste, qui régissait l'ARP jusque-là en maître et ce, depuis la promulgation de la Constitution le 27 janvier 2014. Essia Atrous dresse un tableau noir de la situation en Tunisie. «Institutions dévoyées de ses missions, corruption, règlements de comptes, arrestations arbitraires, mercenariat, limogeages, marginalisation, le pays allait à la dérive, il devenait urgent de mettre un terme à tout ce gâchis», note-t-elle. L'éditorialiste rappelle que «Al Ghannouchi avait proposé en février dernier de décharger le président de la République de ses prérogatives, le peu qu'il en a constitutionnellement, pour qu'il s'intronise seul et unique dirigeant de la Tunisie; Hichem Mechichi, le chef du gouvernement, n'était qu'un pion, il n'était pas l'homme de la situation, il n'avait aucun pouvoir face à l'ARP». «On rejette toute idée de vengeance» Essia Atrous revient 10 ans en arrière pour rappeler qu'après la chute du président Zine El Abidine Ben Ali en 2011, la Tunisie s'est dotée d'une Assemblée constituante qui avait planché pendant deux ans sur l'élaboration de la Constitution de 2014. «Les membres de l'Assemblée constituante ont refusé de s'appuyer sur la Constitution de 1959 qu'il fallait corriger et adapter aux exigences des changements intervenus; ils ont tenu à ce qu'ils commencent à réfléchir à une toute nouvelle Constitution avec une feuille blanche, le résultat est désastreux, ils l'ont élaborée à leur juste mesure, les Tunisiens ont eu droit à une Constitution minée». L'éditorialiste d'Essabah fait partie des intellectuels qui attendent du président tunisien la nomination d'un nouveau gouvernement «dans les plus brefs délais». Elle estime que «comme la nature a horreur du vide, le président doit faire vite pour nommer un gouvernement de guerre, restreint, pour une période bien déterminée, le temps que les choses soient reprises en main et d'engager au plus vite la révision de la Constitution et la loi électorale pour sortir le pays de l'impasse». Durant les 30 jours qu'il s'est accordé pour revenir à l'ordre constitutionnel, le président tunisien devrait en principe nommer un nouveau chef de gouvernement, de nouveaux ministres pour en présider le Conseil. Tout de suite après la levée de l'immunité des députés sur instruction de Kaïs Saïed, le parquet a très vite enrôlé des affaires inculpant des présumés députés notamment de faits de corruption. Des procès sont ouverts particulièrement contre des députés du parti Ennahdha. «On refuse qu'il y ait un quelconque sentiment de vengeance, on rejette toute idée de ce genre, mais celui qui a commis des erreurs graves doit payer, il y a des faits de corruption, le système de l'éducation a été complètement disloqué, le pays plombé, c'est le chaos sur tous les plans, politique, économique, social (?)», affirme notre interlocutrice. Après avoir demandé des élections anticipées, Al Ghannouchi a fait savoir, selon elle, qu' «il se dit prêt à dialoguer et à faire des concessions». Face à la mouvance islamiste, la Tunisie ne compte pas, selon Essia Atrous, de grands partis capables de renverser les équilibres, excepté peut-être, dit-elle, le Parti destourien libre, héritier de l'historique Destour créé en 1920? La Tunisie revient au point zéro Fortement soutenu par l'armée et les services de sécurité, le président tunisien a agi en dehors de toutes les lois de la république et a changé l'ordre des pouvoirs en s'intronisant premier dirigeant du pays. «La révision de la Constitution est un impératif pour instaurer un régime présidentiel et corriger toutes les dérives politiques commises jusque-là par le régime parlementaire qui sévit depuis plus de 6 ans sous la présidence d'Ennahdha», nous dit Essia Atrous. Dix ans après ce qui a été appelé «révolution du jasmin» que les puissants de ce monde ont qualifiée de «première démocratie dans la région», la Tunisie semble revenir au point zéro. Elle se (re)trouve avec des institutions défaites, une économie à plat et une société fragilisée, ébranlée jusque dans ses fondements sous les effets de longues années d'errance, d'égarements et d'erreurs politiques. Les décisions prises par Kaïs Saïed, en dehors de l'ordre constitutionnel sans pour autant geler la Constitution en vigueur, interviennent, faut-il le souligner, dans une conjoncture marquée par une dislocation flagrante du monde arabe et musulman et de fortes tentatives de déstabilisation des pays de l'Afrique du Nord. Interrogée sur le risque de voir l'armée prendre les commandes du pays, décréter l'état d'exception et faire démissionner Kaïs Saïed, l'éditorialiste d'Essabah refuse d'y penser en soutenant que «la Tunisie est sous état d'urgence depuis longtemps, l'armée tunisienne est une armée républicaine qui a toujours œuvré pour éviter le chaos au pays». Elle tient à rappeler dans ce sens que «Rached Al Ghannouchi voulait forcer la porte d'entrée du Parlement bloquée par un char et des éléments de l'armée en faction parce que, a-t-il dit : «On a prêté serment pour le respect de la Constitution» mais un des éléments de l'armée lui a répondu : «Nous, nous avons prêté serment pour la protection de la patrie»? Lors d'un appel téléphonique qu'il a reçu samedi du président Tebboune, Kaïs Saïed a déclaré que «la Tunisie est sur le bon chemin pour consacrer la démocratie et le pluralisme» et a promis qu'«il y aura prochainement des décisions importantes». |
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