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La confiance
américaine est brisée. Après la dernière année de mandat de Trump-une
année marquée par la crise du Covid-19, les manifestations « Black Lives Matter », et le putschisme
carnavalesque du 6 janvier-tous sont plus au moins d'accord : les États-Unis
vont mal. Dans ce nouveau paysage politique, le récit national, jadis si
confiant, est désancré de ces certitudes et se trouve en flux. Partout on
ressent un scepticisme flou, parfois même le sentiment d'avoir été dupé. Pour
certains, ce sentiment est lié à la redécouverte d'une histoire effacée (il y a
deux semaines, lors du centenaire de l'événement, Joe Biden
devient le premier président à reconnaître le massacre de noirs américains dans
un quartier prospère de la ville de Tulsa, en Oklahoma, en 1921). D'autres,
déçus, voient la déception dans l'idée d'un complot qui aurait « volé » la
victoire électorale de Trump (une idée promue bien
évidemment par Trump lui-même ainsi que par des
parlementaires américains du parti Républicain).
Si l'esprit du temps est en pleine métamorphose, beaucoup d'Américains continuent pourtant à penser leur réalité, leur vie quotidienne, à travers le prisme d'une conscience nationale. Nous, les premiers consommateurs de ce « American way of life » qui terrifie ou inspire à travers le monde, nous sommes les premiers à nous effacer au service du mythe de la réussite individuelle. On serait donc tenté de croire que les États-Unis sont les mêmes partout. Le road trip que je mène avec mes deux amis à travers le territoire américain pendant ces prochaines semaines, de la Floride à l'extrême sud-est jusqu'à l'état de Washington au nord-ouest, se fait avec la conviction que ce n'est pas le cas, que dans ces États-Unis qui peuvent sembler si homogénéisés, le local est encore vivant. Pendant ces prochaines semaines, j'essaierai de communiquer au lecteur algérien quelque chose des pans Amériques profondes, ainsi que des transformations qu'elles traversent. À St Augustine, ville sur la côte atlantique de la Florida, où notre voyage commence, le paysage politique s'annonce rapidement. Une des maisons qui se trouvent sur la voie touristique en bord-de-mer annonce ses avis politiques ouvertement. Un drapeau américain à côté d'un drapeau Trump et quatre affiches : « LES DEMOCRATES L'ONT VOLÉ », « LE LIBERALISME EST UNE MALADIE MENTALE », « MASQUONS LES LIBERAUX DE FAÇON PERMANENTE », « LA LOGIQUE LIBÉRALE: ID VACCINATION, OUI ; ID POUR VOTER, NON ». Nous sommes, en effet, dans un pôle touristique dans l'orbite trumpiste, où les démocrates/libéraux sont calomniés ; où le masque est vu comme un empiètement sur la liberté personnelle ; où, si nous sommes à croire cette dernière affiche, on est en faveur de ces mesures que les législateurs dans des états sous contrôle des républicains sont en train de mettre en place, afin de limiter la participation des Noirs et d'autres minorités dans les élections, ce qui, selon leur calculs démographiques, les aidera à garder le pouvoir. L'histoire politique de la ville de St Augustine est pourtant beaucoup plus profonde que les vagues tumultueuses du moment. C'est une ville fondée par les espagnols en 1565, dans leur province de la Florida, la fleurée. Le fort espagnol, avec ses tourelles rondes, rappelle les ports antillais comme La Havane, et la vieille église catholique en témoigne de son héritage. Héritage réel, mais aujourd'hui fortement commercialisé. Des touristes en shorts font des « pirate tours », et visitent le musée des bizarreries (du type serpent-à-deux-têtes), avant de prendre des bières dans le pub de style irlandais. En fait, cette commercialisation est elle-même assez vieille : la « Villa Zorayda » est un bâtiment en béton et coquilles bâti en 1883, dans la forme miniature de l'Alhambra de Grenade. Elle est au départ une résidence privée, avant de devenir un club de société, et finalement un musée. Au centre de la cacophonie architecturale de la ville se trouve une place dotée d'un simple pavillon, quelques petites marches, quatre poutres, et un toit : l'ancien marché des esclaves noirs. Bien que nombreux aux alentours, peu de touristes passent sur ses bancs ; ce jour-ci, trois personnes droguées sont assises sur ses marches. Le lendemain, comme pour échapper à la saturation de St. Augustine, nous passons l'après-midi dans le fleuve de l'Ichetucknee, lent et frais, qui coule d'une des nombreuses sources qui se trouvent à l'intérieur de la péninsule floridienne. Chacun dans son tube en gomme, loué dans le kiosque qui sert aussi de stand de hotdog à l'entrée. Pendant une heure et demie, on flotte lentement sous les arbres aux branches recouvertes de mousse espagnole, en croisant des tortues lézardant au soleil sur des troncs tombés, des écureuils, l'aigrette occasionnelle, recherchant des petits insectes sur les bancs. Une heure et demie plus tard, nous sortons avec les autres touristes venus ce jour ci pour monter dans l'espèce de trolley qui nous ramènera au parking. Aujourd'hui on partira pour l'Alabama. |
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