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Intégration régionale euro-méditerranéenne: «Évolutions positives mais les résultats sont lents»

par R. N.

Dans son premier rapport sur l'intégration régionale dans la zone euro-méditerranéenne, l'Union pour la Méditerranée (UPM) estime que «les évolutions ont été positives mais les résultats sont lents». Ses rédacteurs s'abstiennent de faire cas des retombées désastreuses de la colonisation israélienne sur cette zone.

Le communiqué de presse rendu public fin mai dernier à l'issue d'une réunion qui s'est déroulée à Barcelone fait savoir qu'analystes et experts ont été chargés d'examiner cinq secteurs de l'intégration régionale, à savoir le commerce, les finances, les infrastructures, la circulation des personnes et la recherche et l'enseignement supérieur. Il en ressort que «l'intégration a progressé de manière inégale à travers et au sein des sous-régions de l'UPM dans tous les domaines politiques». Il est noté qu' «en matière de commerce, par exemple, les pays des sous-régions des Balkans occidentaux et d'Afrique du Nord se sont intégrés plus étroitement au reste de la région de l'UPM, tandis que le Liban, Palestine, Jordanie et Israël sont restés bien en deçà de leur potentiel». Les raisons en sont «l'insuffisance des infrastructures de transport et de connectivité énergétique et l'absence de vision commune sur la mobilité humaine en tant que moteur de l'innovation et de la croissance dans la région».

Le rapport fait état de 30 principaux résultats collectés dans divers domaines. Le commerce en est un, «il représente en 2018 une part importante de l'économie de la région, soit 35% du PIB». Le commerce des services (qui), lit-on dans le communiqué «représente aujourd'hui 25% des flux commerciaux mondiaux et pourrait être un moteur clé du développement économique», ne bénéficie pourtant pas «de réglementation ambitieuse à l'exception des accords d'association de l'Union européenne (UE) avec les Balkans occidentaux». Les analystes retiennent qu' «avec plus de 20% du commerce mondial de marchandises en 2018, le marché intra-régional de l'UPM est l'un des marchés mondiaux les plus importants». A savoir que «la répartition du marché intra-régional est concentrée sur la rive nord de la Méditerranée».

«Seulement 8% des PME de la région MENA sur le web»

Et que «l'UE est responsable de plus de 95% des exportations intérieures des marchandises et de 93% des exportations externes». Il est affirmé que «la sous-région de l'Afrique du Nord est le quatrième partenaire principal pour l'exportation de marchandises, notamment en raison de l'importance du secteur des hydrocarbures en Algérie et du secteur manufacturier en pleine croissance du Maroc».

Les finances affichent que «dans la région de l'UPM, les pays de l'UE sont les principaux émetteurs et récepteurs d'investissements étrangers directs (IDE). En moyenne «68% du stock d'investissement dans une économie de l'UPM proviennent d'un autre État membre de l'UPM. Compte tenu des liens étroits entre les États de l'UE, ils ont la part la plus élevée d'investissements intra-UPM».

En raison de la pandémie de Covid-19, les paiements numériques devraient continuer d'augmenter dans toute la région en 2021 et après, ce qui force non seulement des pays à développer l'arsenal juridique, mais également à renforcer le cadre réglementaire des fournisseurs de services pour permettre l'innovation dans ce domaine». En 2017, est-il affirmé, «des études ont indiqué que seulement 8% des PME de la région MENA étaient présentes sur le web (contre 80% aux États-Unis) et uniquement 1,5% des commerçants de la région».

Les infrastructures de transport et d'énergie dans la région euro-méditerranéenne, en particulier au sud et à l'est de la Méditerranée, ont «une connectivité encore limitée». Dans une de ses notes d'appréciation, la Banque mondiale a estimé en 2020, rapporte le communiqué «qu'au cours des cinq à dix prochaines années, la région MENA devra investir plus de 7% de son PIB régional annuel dans l'entretien et la création d'infrastructures (...). Le trafic de fret entre les pays de la région MENA ne représente que 5% du trafic total de fret en Méditerranée, tandis que le trafic entre les ports européens est de 70% et entre l'Europe et l'Afrique du Nord de 15%». Autre remarque : «la consommation totale finale d'énergie dans le sud de la Méditerranée pourrait augmenter de 37% d'ici 2040, la moitié étant due à une augmentation de la consommation d'électricité (...).

Déséquilibre du marché du travail en Europe

Les relations énergétiques entre l'Afrique du Nord et l'Europe reposent toujours sur le pétrole et le gaz avec plus de 60% des exportations de l'Afrique du Nord dans ce secteur.

Au sujet de la circulation des personnes, le rapport établit que «la région de l'UPM fait partie des destinations touristiques les plus importantes au monde. Alors que la plupart des flux touristiques restent dirigés vers les pays méditerranéens européens (71%), (...), les arrivées dans les destinations MENA ont augmenté de 10% entre 2017 et 2018, pour atteindre 87 millions, principalement en provenance d'Europe et d'autres pays de la région MENA. Ce renouveau a été particulièrement ressenti en Egypte, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie».

Autre constat, «le marché du travail au sein de l'UE connaît un déséquilibre avec la croissance des retraités dépassant celle des personnes en âge de travailler, (...)». En revanche, «au sud de la Méditerranée, le nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail continue d'augmenter chaque année. L'UNICEF estime qu'au rythme actuel, 39 millions de jeunes arriveront sur le marché du travail d'ici 2030. En tant que deuxième région la plus jeune du monde, le sud de la Méditerranée est confronté à des défis pour offrir des opportunités d'emploi de qualité à sa jeunesse en particulier les femmes».

Le rapport recommande que «la recherche et l'enseignement supérieur doivent être liés aux industries nationales, y compris l'industrie manufacturière et les services».

Il est indiqué que «la coopération scientifique dans la région euro-méditerranéenne se caractérise davantage par des interactions Nord-Sud que par une collaboration Sud-Sud, même s'il existe des exceptions (par exemple, Maroc-Israël)». L'Algérie est citée ainsi que l'Egypte et Israël comme pays qui ont augmenté leurs investissements en R&D au cours de la dernière décennie. Le rapport dit que «les données de l'UNESCO montrent que l'Albanie envoie la plupart de ses étudiants en Italie, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie en France et la Turquie en Allemagne.

Les appréhensions de l'Algérie

Pour rappel, l'UPM est née sur une suggestion insistante de Nicolas Sarkozy alors président de la République française après s'être inspiré d'une idée d'un programme de partenariat lancée par des intellectuels et universitaires français en 2006, au lendemain de la guerre entre le Hizballah du leader libanais Nasrallah et Israël. Leur objectif était de convaincre les pays du Moyen-Orient de discuter avec Israël dans le but d'en faire un partenaire politique, économique et commercial. En 2007, Sarkozy revient à la charge et affine sa suggestion «pour un nouveau partenariat afin d'établir une dynamique politique hors UE (...)». Ce qui a emballé l'Egypte, le Maroc et la Tunisie. Sarkozy veut avoir plus d'adeptes et appelle en 2008 «tout le monde» à une conférence à Paris où étaient présentes les organisations régionales et sous-régionales et d'autres internationales.

L'acte de naissance de l'UPM est signé le 13 juillet 2008 par 43 pays (27 de l'Union européenne et 15 du sud dont l'Algérie et de l'est de la Méditerranée). L'UPM venait alors de se substituer au Processus de Barcelone lancé en 95 entre l'UE et les 6 Etats du sud de la Méditerranée (Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte, Jordanie, Turquie) en plus de l'Autorité palestinienne et Israël. L'Algérie restera quelque peu sceptique vis-à-vis de la présence et du rôle d'Israël dans cette Union «craignant ouvertement que ce nouveau cadre ne serve de prétexte à une normalisation rampante (...)». Retenue comme observateur, la Libye sous Maamar El Kadafi a jugé la guerre menée en 2009 par l'entité sioniste contre Ghaza comme «un coup porté à l'UPM». Le colonel libyen a alors recommandé à l'UE de ne se contenter que des Etats d'Afrique du Nord et du sud de l'Europe occidentale. Le projet bloque mais en 2010, l'Egypte convainc les pays arabes de le relancer. L'UPM se met en place avec comme premiers co-présidents Sarkozy et Moubarak, un duo qui fera grincer des dents des deux côtés de la Méditerranée. Le siège d'un secrétariat général basé en Tunisie et un Marocain comme SG ne sera pas du goût de l'Algérie et d'autres pays arabes et même européens.

En 2018, l'UPM a marqué son 10ème anniversaire après avoir répertorié 51 projets de coopération régionale, créé 12 plateformes politiques et organisé plus de 300 rencontres d'experts.