Encore
heureux que, comme le bon vieux roseau, le pays bougrement résistant, est
capable de plier sans jamais se casser un traître osselet. Un peu comme si on
voulait laisser le passé dans l'oubli et l'avenir à la providence, la marche du
pays s'apparente à cet homme qui, arrivé au milieu du tunnel, avance vers le
faisceau de lumière le plus proche de son centre de gravité. L'on savait aussi
que le peuple, vachement «poreux» et héroïque jusqu'à se faire harakiri, a
depuis longtemps reçu le sérum le prémunissant contre la douleur des coups,
plus bas que la ceinture, et autres coups de Jarnac, portés dans son dos,
transformé en une véritable passoire. C'est l'histoire de ce nomade à la
dignité portée en bandoulière et l'adversité affichée comme le revers d'une
médaille? de mérite. A se souvenir de l'histoire de cet homme qui, pour
traverser l'océan désertique du sud vers le nord, fit porter sur son camélidé
sa tente mobile, sa chèvre à traire, son chien de campagne, avant de placer au
sommet de la bosse du pauvre animal toute sa smala. Quelques encablures plus
loin, la chamelle se fatigua et expulsa un liquide bizarre de ses narines,
saignées aux quatre veines. Inquiet pour sa pauvre bête, le nomade déchargea
d'abord la chèvre à traire, puis le chien de garde. Poursuivant sa route vers
le monde «habité », le nomade se rendit compte, quelques mètres plus loin, que
sa chamelle est encore en très mauvais état. Dégageant un liquide rougeâtre de
ses oreilles, le nomade lui administra un breuvage miraculeux avant de la
décharger du poids accablant de sa femme et de ses huit enfants. Arrivé à
mi-chemin entre son destin confisqué et son rêve castré, le nomade se résigna à
l'idée que la bête n'arrivera jamais à bon port avec le poids insupportable
qu'elle porte sur son dos arqué.
Il laissa
sur le carreau sa chèvre à traire, son chien battu, sa tente mobile, sa femme
éplorée et ses huit enfants en bas âge. La bête poursuivit toute seule la route
jusqu'au point kilométrique numéro 47 où on l'emmena dans un abattoir
fraîchement repeint avec une couleur sans tain. Avec sa viande fraîche, l'on organisa
un giga-couscous avec un méchoui grandeur nature, un festin épique auquel on
invita le nomade qui sauta de joie à l'idée que sa pauvre bête se sacrifia pour
donner à manger à un peuple preux, mais au ventre creux. A la mémoire de la
chamelle sacrifiée, l'on fera tatouer sur le front dégarni du nomade, avec du
henné multicolore, une citation peu intelligible à la race des humains : «Pour
protéger un pays contre tous les chocs, rien de mieux qu'un vaillant peuple
pour se dresser en bouclier». Pour se défendre contre tout et tous... Aussi
vrai que la civilisation n'est pas un entassement, mais une construction, une
architecture.