Malgré
les nouvelles bâtisses en verre qui font leur apparition çà et là, les tours
qui en imposent aux taudis environnants, l'habillage des façades des magasins,
les enseignes qui sont relookées et tutti quanti, quasiment toutes nos villes
sont bidon. En dépit des quelques maigres espaces difficilement arrachés au
béton et au bitume, la verdure ne pousse que là où elle n'est pas la bienvenue,
au bas des murs et dans leurs nombreuses lézardes, mais aussi sur les trottoirs
et entre les pavés mal ficelés des minuscules placettes. Les placettes
justement et les grandes places urbaines que toute ville se fait un devoir
d'ériger pour servir de repère géographique, culturel et identitaire pour la
cité et les citoyens, manquent terriblement en dépit des velléités récentes
d'édifier quelques-unes ou restaurer d'autres, mais qui sont souvent
expropriées par les marginaux qui sont, bien entendu, inclus dans les photos et
les cartes postales que les rares touristes locaux se font un plaisir de
prendre. Les touristes de passage à Pékin ne sauraient omettre de fouler Tian'anmen, la place Rouge à Moscou, la place de Libération
(Tahrir) au Caire, la place Taksim en Turquie pour ne
citer que quelques-unes des innombrables esplanades qui font la fierté des
villes et pays où elles se dressent et font œuvre de témoins historiques. Nos
places urbaines, nos squares et placettes quand elles existent ne font, elles,
plus recette et sont contaminées par la désolation qui s'est emparée des
alentours. Des alentours faits de chaussées vraisemblablement trouées par des
cratères et des trottoirs échancrés, de crevasses et nids-de-poule se
multipliant comme des verrues, des eaux usées qui narguent les restaurants et
les cafétérias qui exhibent pourtant des façades clinquantes, des bâtiments
finis à la hâte ou pas du tout crépis laissant voir des briques décolorées par
les eaux pluviales, et des maisons coloniales menaçant ruine et refusant de
céder la place au neuf faute de consensus entre héritiers. Les nouveaux
quartiers et nouvelles villes ne sont que des villes-dortoirs
que la bonne volonté de quelques résidents ne parvient pas à soustraire à la
bidonvilisation qui ceinture la ville et s'insinue en son sein comme le désert
qui avance à pas sûrs en direction de la minuscule ceinture verte que les
constructions tous azimuts ont fini par transformer en villes bidon en dépit de
la brillance des maquettes et la solennité de l'inauguration. Les parkings, les
bazars aux toits métalliques que les incendies dévorent, les braderies pérennes
et les centres commerciaux dédaliques ont eu raison des villes en les annexant
aux bidonvilles qui foisonnent et poussent comme de l'herbe sauvage. Nos
grandes villes n'ont de grand que le nom avec des rues piétonnières qui ne le
sont plus, des grandes rues gâtées par des trémies et des quais pas du tout aux
fleurs et ni les tramways ni les téléphériques n'y changent quoi que ce soit.
Les petites villes, les bourgades et les chefs-lieux des municipalités ne sont
que de semblants de villes où les interminables files de voitures garées des
deux côtés laissent paraître une vie citadine. Le relief accidenté et l'égoïsme
des riverains empêchent ces villes de décoller, et même là où le relief se
prête, la ville reste à ras de terre comme ces grandes terres au pied des
montagnes et dans le Grand Sud qui ne demandent qu'à être bien bâties pour
devenir de grands pôles touristiques.