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Villes bidon, bidonvilles

par H. Youcef

Malgré les nouvelles bâtisses en verre qui font leur apparition çà et là, les tours qui en imposent aux taudis environnants, l'habillage des façades des magasins, les enseignes qui sont relookées et tutti quanti, quasiment toutes nos villes sont bidon. En dépit des quelques maigres espaces difficilement arrachés au béton et au bitume, la verdure ne pousse que là où elle n'est pas la bienvenue, au bas des murs et dans leurs nombreuses lézardes, mais aussi sur les trottoirs et entre les pavés mal ficelés des minuscules placettes. Les placettes justement et les grandes places urbaines que toute ville se fait un devoir d'ériger pour servir de repère géographique, culturel et identitaire pour la cité et les citoyens, manquent terriblement en dépit des velléités récentes d'édifier quelques-unes ou restaurer d'autres, mais qui sont souvent expropriées par les marginaux qui sont, bien entendu, inclus dans les photos et les cartes postales que les rares touristes locaux se font un plaisir de prendre. Les touristes de passage à Pékin ne sauraient omettre de fouler Tian'anmen, la place Rouge à Moscou, la place de Libération (Tahrir) au Caire, la place Taksim en Turquie pour ne citer que quelques-unes des innombrables esplanades qui font la fierté des villes et pays où elles se dressent et font œuvre de témoins historiques. Nos places urbaines, nos squares et placettes quand elles existent ne font, elles, plus recette et sont contaminées par la désolation qui s'est emparée des alentours. Des alentours faits de chaussées vraisemblablement trouées par des cratères et des trottoirs échancrés, de crevasses et nids-de-poule se multipliant comme des verrues, des eaux usées qui narguent les restaurants et les cafétérias qui exhibent pourtant des façades clinquantes, des bâtiments finis à la hâte ou pas du tout crépis laissant voir des briques décolorées par les eaux pluviales, et des maisons coloniales menaçant ruine et refusant de céder la place au neuf faute de consensus entre héritiers. Les nouveaux quartiers et nouvelles villes ne sont que des villes-dortoirs que la bonne volonté de quelques résidents ne parvient pas à soustraire à la bidonvilisation qui ceinture la ville et s'insinue en son sein comme le désert qui avance à pas sûrs en direction de la minuscule ceinture verte que les constructions tous azimuts ont fini par transformer en villes bidon en dépit de la brillance des maquettes et la solennité de l'inauguration. Les parkings, les bazars aux toits métalliques que les incendies dévorent, les braderies pérennes et les centres commerciaux dédaliques ont eu raison des villes en les annexant aux bidonvilles qui foisonnent et poussent comme de l'herbe sauvage. Nos grandes villes n'ont de grand que le nom avec des rues piétonnières qui ne le sont plus, des grandes rues gâtées par des trémies et des quais pas du tout aux fleurs et ni les tramways ni les téléphériques n'y changent quoi que ce soit. Les petites villes, les bourgades et les chefs-lieux des municipalités ne sont que de semblants de villes où les interminables files de voitures garées des deux côtés laissent paraître une vie citadine. Le relief accidenté et l'égoïsme des riverains empêchent ces villes de décoller, et même là où le relief se prête, la ville reste à ras de terre comme ces grandes terres au pied des montagnes et dans le Grand Sud qui ne demandent qu'à être bien bâties pour devenir de grands pôles touristiques.