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Rendre à César ce qui appartient à César

par H. Youcef

Alors que sa réception est sans cesse repoussée, le nouveau stade de Tizi Ouzou se voit déjà affublé d'un nom qu'une partie de la vox populi s'est cru avoir le droit de choisir. Le nom choisi est celui du célébrissime chanteur rebelle assassiné en juin 1998, un nom qu'on jure d'apposer sur le fronton dudit stade et on en fait même une question souveraine. Il est vrai que le chanteur en question était un fervent supporter des ?Canaris' qu'il accompagnait en Afrique même, qu'il suivait même avec des béquilles et qu'il n'oubliait pas de chanter à tue-tête, mais est-ce pour autant un argument de taille pour baptiser le nouveau stade en son nom ? Cela l'immortalisera-t-il davantage, lui qui est l'icône indétrônable de toute la région? N'est-il pas plus judicieux d'œuvrer pour l'édification d'un conservatoire de musique qui abritera les innombrables jeunes talents qui l'imitent à merveille ? Perpétuer son art est assurément ce qu'il y a de mieux à faire pour honorer la mémoire de ce monument de la Culture nationale dont la vie post-mortem sert beaucoup de gens à l'instar de beaucoup de stars qui continuent à nourrir les «vers» humains longtemps après leur trépas. Une logique implacable veut que la mort ait raison de tout, de tous et de toute œuvre humaine aussi géniale fut-elle à l'exception des messages révélés qui se propagent et grandissent plus longtemps après le décès des messagers. Contre toute attente, le nom du chanteur en question ne figure sur aucune enseigne de commerce de disques, n'apparaît dans aucun livret de famille même au sein de la diaspora qui est pourtant rongée par la nostalgie et visiblement fidèle à son patrimoine. Même le prénom Lounes qu'il avait brillamment hissé au firmament des prénoms n'a pas proliféré et est même en passe de disparaître. Vouloir à tout prix accoler son nom à une enceinte sportive peut passer pour du chauvinisme qui ne sied pas tellement à la région qui a su justement se défaire des démons qui la tiraient vers le bas pour être à l'avant-garde du pays dans bien des domaines et l'exemple le plus proche est cette ténacité à toujours trôner dans les résultats des examens de bac et BEM. On ne peut pas se targuer de donner des leçons de démocratie et en même temps dicter des décisions comme celle de baptiser un complexe sportif au nom d'un chanteur compositeur alors qu'il est plus juste de puiser dans la liste des joueurs et dirigeants du club pour rendre à César ce qui appartient à César. Pourquoi pas les membres fondateurs du club, les Benslama, Iratni, Saheb, Hamouche, Stambouli et tous les autres ? Pourquoi pas Abdelkader Khalef, le mythique président qui mit le club sur les rails dans les années 1970 ou encore le majestueux Boussâd Benkaci sous le règne duquel le club phare de la Kabylie récolta pas moins de 14 titres pour devenir le club le plus titré du pays. Ces deux dirigeants sont l'égal de Santiago Bernabeu et Giuseppe Meazza dont le nom continue à retentir en Espagne et en Italie pour avoir propulsé leur club aux devants de l'Europe. C'est à juste titre que leurs successeurs ont jugé utile de nommer leur stade en leur nom et non point au nom de Cervantes qui serait pourtant l'inventeur du roman ou le célèbre compositeur Verdi.

Donner au nouveau stade de Tizi-Ouzou le nom d'un des deux présidents suscités semble plus probant et moins incongru au vu de ce qu'ils ont vraiment donné à ce club mythique. Ils le méritent assurément plus que le barde du Djurdjura qui n'a nul besoin d'un stade pour être dépoussiéré alors que Benkaci et Khalef méritent d'être connus des jeunes générations qui ont besoin de tels bâtisseurs à émuler.