Il était
une fois la sardine, une espèce de poisson à la portée du portemonnaie le moins
touffu, la viande la moins dangereuse et la moins chère livrée jusque dans les
villages et les douars les plus reculés. Elle était la source de revenus des
pêcheurs qui la pêchaient surtout par passion et non point pour le profit et la
fortune qui échoient aux intermédiaires, celle des vendeurs aux étals
précaires, et des restaurateurs de la plèbe dont les échoppes ne désemplissaient
jamais malgré la réutilisation de l'huile de cuisson dont on les affublait. La
sardina « pilchardus » doit son nom aux Grecs qui la
nommèrent ainsi en rapport avec l'ile italienne de Sardaigne dont les côtes
fourmillaient de sardines. La commune française de Douarnenez dans le Finistère
grouillait elle aussi de sardines grâce à son port de pêche, le premier au
monde, mais aussi les premières conserveries industrielles d'où sortaient des
millions de boîtes de sardine qui ont perdu de leur superbe depuis belle
lurette. Les habitudes alimentaires ont été affectées par la surpêche et la
surexploitation qui ont amoindri considérablement la population clupéidé qui a
eu à son corps défendant de sérieux effets sur les écosystèmes. Quoique non
considérée comme une espèce menacée, la sardine est en passe de s'éteindre chez
nous pas uniquement pour surpêche ou surexploitation, mai
aussi pour des raisons aussi obscures que les fonds abyssaux où la sardine et
ses congénères ne vivent pourtant pas préférant se compacter tout près des
filets des pêcheurs entre 10 à 50 mètres sous la surface. La pénurie de la
sardine serait amputable en premier lieu au non-respect du cycle de
reproduction de ce poisson de quelques centimètres de long qui est pêché à la
dynamite pourtant interdite par la loi. Alors qu'il n'avait eu de cesse de
roder autour des cinq cents dinars narguant la populace, le kilo de sardine
atteignit les huit cents dinars en 2020 malgré une production assez consistante
et a dépassé la barre de mille pour faire ses adieux au commun des mortels qui
se retrouvent du coup privés d'une autre source de vitamines bon marché. Ne
trouvant pas des tonnes d'acheteurs à ce prix, la sardine échoue dans les bacs
à ordures au grand dam de la solidarité sociale. Partout dans le pays, pêcheurs
et vendeurs regardent au loin espérant voir des essaims de poissons sautiller
au large pour que l'odeur du poisson titille de nouveau les narines des enfants
qui risquent de ne plus avoir le goût de la sardine dans la bouche dans pas
longtemps.
Devenue une
denrée rare, voire un caviar, le souvenir de la sardine s'estompe peu à peu
jusqu'à devenir un vestige des temps heureux. La pêcherie d'Alger aurait oublié
sa vocation, les chaluts poireautent au soleil et les chats ne comprennent rien
à cette disette soudaine. Le poisson de Dellys meurt
de vieillesse et Hoho le pêcheur manqué, le vendeur
qui se nourrissait grâce à la sardine et ne mangeait qu'elle, frôle la folie et
n'a même plus de quoi noyer son insondable chagrin. Il était une fois la sardine,
le poisson du smicard, du fonctionnaire et de tous ceux que les autres viandes
abhorraient.