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La question
mémorielle est toujours au cœur des relations passionnées entre la France et
l'Algérie, le président algérien et français désireux de porter un regard
lucide sur la question décident de l'aborder conjointement.
Côté français l'historien B. Stora est chargé d'élaborer un rapport qui sera intitulé «la question mémorielle de la colonisation française en Algérie[1]» côté algérien Mr Chikhi directeur des archives nationales est chargé de la récupération des archives. Un climat prometteur s'établit entre les pays, l'Algérie espérant enfin des excuses officielles de la France pour les atrocités de la colonisation. Un tel geste pourrait dépassionner les relations algéro-françaises et permettre la réconciliation des mémoires. Le 21 janvier 2021 B. Stora remet son rapport au président E. Macron qui le rend public etrejette aussitôt toute idée de repentance ! Stupéfaction des algériens ! Ce rapport a fait l'objet de nombreuses critiques aussi bien en Algérie qu'en France. Des 2 côtés de la méditerranée ce rapport est fustigé, il est considéré comme insuffisant du côté français : «minimaliste» par les Harkis les pieds noirs qui demandent réparation à la France, passable pour une droite qui veut institutionnaliser une vision apologétique de la colonisation se référant à des prétendus «bienfaits de la colonisation». Pour les Algériens il est frustrant parce ce qu'ils espéraient une reconnaissance officielle, et tourner enfin cette page des mémoires ! Voilà encore une fois les deux mémoires renvoyées dos à dos ! Dans une tribune au quotidien d'Oran [2] intitulé «Un rapport, une méthode» B. Stora répond aux critiques et explique sa démarche qui selon lui privilégie «l'éducation, la culture, etla compréhension de l'autre» pour établir des ponts et faire reculer les préjugés et le racisme. Dans ce rapport, l'historien B. Stora revisite l'histoire de l'Algérie, et s'attarde plus sur les évènements récents de l'histoire d'Algérie (guerre de libération, FLN, pieds noirs, harkis..) mémoire récente dont beaucoup d'acteurs sont encore présents. Dans la première partie 1«Algérie, l'impossible oubli» paragraphe «deux imaginaires» B. Stora revient sur la conquête de l'Algérie, il relate brièvement la résistance de l'émir Abdelkader, le combat du Dey Hadj Ahmed de Constantine, les différentes insurrections successives, les nombreuses déportations en Guyane, en Nouvelle Calédonie. Il est vrai qu'on ne peut pas résumer 132 ans d'histoire en 160 pages, mais ce rapport reste trop conciliant avec les brutalités animales de la soldatesque coloniale commandée par le Maréchal R. Bugeaud, adepte des razzias et des enfumades. Il utilise des termes neutres pour décrire la colonisation, il met sur le même stade colons et colonisés, les termes «crimes, atrocités, génocide» ne sont pas mentionnés. Pourquoi la France doit présenter des excuses officielles ? La colonisation de l'Algérie a été le théâtre d'une barbarie sans précédent et d'une rare violence, ces faits ont été commis au nom de la France ! La France est donc coupable de crime contre l'humanité et de génocide à l'encontre du peuple algérien.C'est un fait indéniable ! Il est temps de faire son mea-culpa ! «Rien ne se construit sur des dissimulations, dans l'oubli ou le déni» F. Hollande -Crime contre l'humanité Les enfumades, techniques d'asphyxie entrainant la mort dans des souffrances horribles, utilisées par l'armée coloniale à l'encontre des populations civiles sont les prémices des gaz de combat (1er guerre mondiale) et des chambres à gaz (2eme guerre mondiale). Aujourd'hui le droit international a énormément évolué, L'O.N.U qualifie l'utilisation des gaz chimiques comme «Une violation du droit international et un crime contre l'humanité» C'est donc un crime contre l'humanité ! -Le génocide Un rapport parlementaire de l'époque dénonçait déjà la brutalité coloniale !« Nous avons commencé l'exercice de notre puissance par une exaction, nous avons profané les temples, les tombeaux, l'intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans ; nous avons égorgé sur un soupçon des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes. Nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser [3] » A la veille de la colonisation l'état de la population algérienne mal connu, était évalué approximativement autour de 3 millions, mais il faut attendre les premiers recensements réalisés à partir de 1856 pour estimer convenablement la population musulmane. Hélas, on note une diminution (presque 1 million)flagrante de population [4] entre 1830 (3 millions) et 1872 (2.134000). Cette surmortalité s'explique par la férocité du processus de colonisation (razzias, massacres, spoliations, famines, épidémies) sous le commandement du général Bugeaud. L'effondrement de la population algérienne est le résultat d'une extermination programmée méthodiquement et intentionnellement, aujourd'huiau vu du droit international, cela s'appelle un génocide. Et pourtant la Francequi reconnait le génocide arménien depuis 2001 continue à nier le génocide algérien ! Comble ! Elle a même adoptéune loi qui punit sévèrement la négation du génocide arménien[5] !Pourquoi tant d'obstination ? Histoire de repentance La France devrait assumer son passé colonialpour clôturer définitivement son passif colonial, mais elle refuse toujours de le regarder avec objectivité, son histoire est jalonnée des taches noires. La France de Bugeaud avait exterminé le peuple algérien, la France de Vichy alliée des nazis avait participé activement à la déportation des juifs, la France du Général De Gaulle a perpétré des massacres de population civile le jour de la victoire sur le nazisme (8 Mai 1945), le tort des algériens massacrés était d'avoir revendiqué leur part de liberté, la France de gauche (R. Cotty, F. Mitterrand) avait légitimé la torture comme moyen de lutte et permis la décapitation de prisonniers politiques comme A. Zabana (F. Mitterrand alors ministre de la justice refusa sa grâce). En Juillet 1995 J. Chirac Président de la République Française reconnait la responsabilité de l'état français dans la déportation des juifs.En Mai 2001 l'esclavage est reconnu comme crime contre l'Humanité (Loi Christine Taubira).Mais entre la France et l'Algérie, les relations sont beaucoup plus complexes et les différents présidents français n'ont pas fait explicitement le pas vers l'apaisement ! Aucun n'a parlé ouvertement du génocide algérien !Depuis 1995, la France a connu 4 présidents, en dehors des déclarations de bonne intention aucune initiative officielle de repentance ! Et pourtant en 2017 le candidat E. Macron qualifie la colonisation de l'Algérie comme un «crime contre l'Humanité» en tant que président il reconnait la responsabilité de la France dans la mort du Mathématicien M. Audin et présente les excuses de la France à Mme J. Audin, ce geste très fort mais sélectif fait abstraction des milliers d'algériens tombés sous la torture, serait-ce un premier pas vers la repentance de la France ? La France encore attachéeà l'épopée coloniale ! Reconnaitre officiellement que la colonisation est un crime contre l'Humanité, c'est criminaliser les acteurs de la colonisation, c'est-à-dire reconnaitre que le général Bugeaud est un criminel de guerre qui a atrocement assassiné des civils innocents, que Jules Ferry(ministre de l'instruction publique 3ème République) est un ségrégationniste qui a théorisé le racisme et justifié la colonisation au nom d'une prétendue civilisation supérieure. Hors dans l'imaginaire français le général Bugeaud estprésenté comme un grand serviteur de la France, dans chaque ville française il y a une rue qui porte son nom. J. Ferry est connu comme le père de l'instruction publique, dans chaque coin reculé de France il y a une école qui porte son nom ! Comment aller à contre-courant de l'histoire admise et expliquer aux français, surtout à une extrême droite qui croit encore que «l'Algérie est française», que ses personnages historiques, ces références de gloire et d'éducation ne sont que de vulgaires assassins et des racistes ! Macron et la repentance Le rapport élaboré par B. Stora est biaisé dès le départ, il est élaboré par un français pour le président français : où est la concertation ? Comment peut-on parler de réconciliation quand les parties impliquées s'ignorent déjà dans l'élaboration d'un socle de base, un rapport élaboré conjointement par un groupe mixte d'historiens, aurait été plus approprié. Mais il est façonné par une seule personne qui doute que le pardon soit conciliateur ! Pour étayer cette idée B. Stora commence avec la citation de P. Ricœur (philosophe français) «le pardon peut-il guérir ? Il s'appuie aussi sur les excuses du Japon à la Chine qui selon lui n'ont servi à rien ! Mais alors pourquoi B. Stora ne cite pas des exemples concrets et d'actualité ?Comme celui de la Hollande dont le roi a présenté officiellement les excuses à l'Indonésie (Mars 2020), pour la répression violente lors de l'indépendance indonésienne en 1945. Comme celui de la Belgique dont le roi a exprimé dans une lettre ses « profonds regrets » pour les crimes commis par son pays au Congo pendant la période coloniale (Juillet 2020). Ou encore celui de l'Australiequi a présenté ses excuses (Novembre 2020) pour des crimes commis par des soldats australiens en Afghanistan (39 soldats afghans massacrés). Avec ce rapport philosophico-politique, les plaies séculaires ne vont pas cicatriser, on attendait de l'historien qui se dit algérien, une réelle contribution à la décision de repentance, au lieu de ça il nous sert une série de recommandations qui vont dans le sens des objectifs de l'Elysée. Selon B. Stora et par conséquent E. Macron, oui il y a eu des fautes, des exactions mais point de crime contre l'humanité, point de génocide donc point de repentance ! B. Storaestime que l'éducation, la culture, etla compréhension de l'autre peuvent réconcilier les mémoires, ce qui est indéniablement vrai, mais comment comprendre l'autre quand on lui tourner le dos ? Avec ce rapport tronqué B. Stora sème le doute dans nos esprits serait-il partisan de la théorie de ceux qui font encore l'apologie de la colonisation [6] ? Conclusion En somme l'Algérie coloniale a été construite sur les ruines d'une Algérie musulmane, dépossédée lourdement de son foncier, déracinée culturellement, dépeuplée volontairement, soumise à un régime d'apartheid «le code de l'indigénat» qui prive tout un peuple des droits les plus élémentaires. De plus cette barbarie est l'œuvre d'un pays porteur d'idéaux de liberté et revendiquant un ensemble de textes fondamentaux de droits naturels individuels de l'homme (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789). L'Histoire de la colonisation a été échafaudée sur une idée fausse «l'Algérie n'appartenait à personne» et aujourd'hui encore certains milieux ultra scandent que la France n'a pas colonisé l'Algérie, elle l'a fondée ! L'Algérie, de par sa position géostratégique, a subi de nombreuses invasions, son histoire remonte à la nuit des temps, elle commence avec l'homme de Tighennifun des plus anciens fossiles humains d'Afrique découvert à Mascaradans les années 50et daté environ de 700.000 ans. Cette page de notre histoire commune et passionnée avec la France ne peut être oubliée, mais elle sera certainement plus apaisée lorsque la France réconciliée avec sa mémoire assumera ouvertement son passé colonial.Aimé Césaire a bien résumé les atrocités de la colonisation avec ces quelques phrases [7]« Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. J'entends la tempête. On me parle de progrès, de «réalisations», de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées ». Cela n'est-il pas suffisant pour reconnaitre que la colonisation est un crime contre l'Humanité!Même si la France continue dans son obstination, cela ne nous détournera pas de notre objectif de recherche de la vérité. *Professeur .Université Oran1, Ahmed Benbella Bibliographie 1- Rapport remis au président E. Macron le 21 Janvier 2021 2- Tribune du 25 janvier 2021 dans le Quotidien d'Oran. 3- Rapport de la commission gouvernementale présenté aux chambres en Juin 1834 4- D. Maison. La population de l'Algérie. In Population, 28eme Année, N° 6, 1973, p 1079-1107 5- loi adoptée par l'assemblée nationale française en première lecture, avec cent six voix pour et dix-neuf contre 6-[10]-Loi du 3/02/2015, Art. 4 «Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit». 7- Aimé Césaire Discours sur le Colonialisme (1950), éd. Présence africaine, 1989, p. 21-22 |
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