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«A l'approche du début de
la campagne de vaccination contre la Covid-19, une certaine cacophonie marque
les interventions de différents spécialistes ou responsables. Au lieu de
clarifier la stratégie mise en place par le ministère de la Santé pour faire adhérer
davantage de praticiens et de citoyens, on assiste à plus de contradictions
dans les déclarations».
C'est par ce constat peu rassurant que le Professeur Mustapha Khiati, médecin spécialiste en pédiatrie et président de la Forem, a réagi à ce que disent les autorités publiques pour expliquer la campagne de vaccination contre la Covid-19 qui, sur instruction du président de la République, devrait débuter la fin du mois en cours. Le directeur général des Services de santé et de la Réforme hospitalière, membre du Comité scientifique de la pandémie, le Professeur Lyes Rahal, affirme au Quotidien d'Oran du 18/11/21 que «le vaccin n'est pas arrivé, s'il était là on l'aurait dit» alors que le Dr Djamel Fourar a déclaré la veille à la radio nationale que «la vaccination débutera fin-janvier, elle est imminente». Le Pr Rahal est beaucoup moins affirmatif que Fourar ou Kamel Sanhadji en précisant que «s'il y a retard dans l'acquisition d'un quelconque vaccin, ce n'est pas la faute au ministère de la Santé» mais, dit-il, «nous n'avons pas le choix des vaccins, il y a une pression terrible sur les marchés internationaux». Khiati s'interroge «pourtant, le ministère était en négociation avec les fabricants depuis le mois d'août, comment expliquer le retard des commandes?» Pour ce qui est du choix des vaccins, relève-t-il, «la plupart des voix annoncent l'arrivée imminente des vaccins russe (Spoutnik V) et chinois (Sinopharm) et même l'achat en février du vaccin britannique Astra-Zeneca, mais le Pr Rahal refuse pourtant de se prononcer sur l'achat du vaccin des Laboratoires Astra-Zeneca». Khiati étaye ses propos en se référant à ceux, dit-il, de «Mr Sanhadji rapportés par des médias nationaux où il a affirmé que son instance avait fait des études techniques avant de sélectionner les vaccins à acheter et fixé les conditions nécessaires pour l'achat, l'usage et le stockage de chaque vaccin». Ce qui le laisse se demander «comment une instance qui vient d'être créée puisse-t-elle effectuer toutes ces opérations complexes en peu de temps, tout en sachant qu'elle ne dispose pas encore d'adresse ?». Sanhadji ajoute, dit-il, que «les vaccins ont réduit de 50% le nombre de mortalité lié aux maladies infectieuses, cela suppose qu'il ne connaît pas la réalité puisque les vaccinations ont pu faire éradiquer les maladies contre lesquelles elles ont été utilisées. Le meilleur exemple est donné par la poliomyélite en Algérie. Le principe même de l'immunité de groupe est de pouvoir stopper définitivement la progression d'une maladie contagieuse en vaccinant au-delà de 60% de la population». Plus loin dans son interview, relève encore Khiati, «le même Sanhadji dit que chaque vaccin, quelle que soit son origine, produit des anticorps contre la Covid-19, si c'est le cas comment expliquer que les vaccins n'ont réduit que de 50% la diffusion des maladies infectieuses ?» «Comment vont être convoqués les citoyens ?» A la question qui sera vacciné, Pr Khiati fait remarquer que «chaque pays a dressé sa feuille de route. En Algérie, c'est encore le flou». Il reprend les déclarations du Pr Rachid Belhadj du CHU Mustapha parus dans la même édition du Quotidien d'Oran où il affirme que «le Comité scientifique a pris la décision de vacciner toute personne qui a été contaminée mais après trois mois de sa guérison». Et que «les personnes déjà contaminées peuvent l'être une autre fois mais il faut compter deux ou trois mois...» Faite ainsi, estime Khiati, «la campagne devra donc toucher entre 65 et 70% de la population c'est-à-dire au minimum 25 millions de personnes, la plupart des vaccins nécessitant une double dose, cela signifie que l'Algérie devra acheter au minimum 50 millions de doses ! Si on considère que le prix le moins cher actuellement des vaccins est de 6 dollars cela suppose une enveloppe de 300 millions de dollars». Mais, souligne-t-il, selon le Pr Rahal, «M. le ministre a dit que nous avons besoin de 40 millions de doses !» Autres contradictions relevées par notre interlocuteur à travers les déclarations des responsables de la santé, «la vaccination devra s'étendre comme le précise le Pr Belhadj aux corps exerçant une activité sensible comme les personnels de la Santé et les services de Sécurité, les personnes âgées de plus de 65 ans, les malades chroniques, pour s'étaler plus tard aux populations de plus de 18 ans (...). Nous avons toute l'année pour vacciner, la vaccination n'est pas limitée dans le temps». Alors que le Pr Rahal confirme «nous avons dit que nous allons étaler notre stratégie vaccinale sur toute l'année». Les modalités pratiques de la vaccination sont, note Khiati, «à peine effleurées en renvoyant à une circulaire du ministre de la Santé qui selon le Pr Belhadj prévoit un interrogatoire, un examen au préalable par un médecin qui doit aussi poser l'indication parce qu'il y a des contre-indications». Les intervenants du département de la Santé insistent par contre, selon le président de la Forem, «sur la capacité du secteur à mener à bien cette mission. On ne parle pas de comment vont être convoqués les citoyens appartenant aux catégories sensibles ? Faut-il qu'ils s'inscrivent au niveau des APC ou des polycliniques ? S'agissant des personnes âgées et des malades chroniques, quel sera le délai d'attente ?... Les études ont montré que le taux de complications du vaccin Pfizer-Biontec après 5 jours de vaccination est de 2,8 %, cela suppose qu'on ne peut pas vacciner dans des salles de soins, qu'on doit disposer d'un minimum de moyens de réanimation et la présence d'un médecin. Une fois vacciné, et après une phase d'observation limitée à 30 mn par la circulaire ministérielle, le vacciné devra pouvoir joindre le médecin qui l'a vacciné dans les jours qui suivent. A-t-on pensé à une application à mettre sur téléphone ?» «Cette enquête qui n'a pas encore vu le jour» Khiati estime aussi que «la déclaration du Pr Rahal faite au Quotidien du 18 janvier passé laisse penser que tout est maîtrisé : «Nous n'attendons que le vaccin..., nous avons plus de 6.100 salles de soins, plus de 200 établissements de proximité, nous avons 16 CHU, 273 PCH, sur ce plan-là, nous n'avons aucun souci..., je ne pense pas que la vaccination nous posera des problèmes, c'est une routine pour nous». Notre interlocuteur indique que «le Pr Rahal se permet au passage de rappeler l'épidémie de rougeole de 2018 et la «cabale médiatique contre la vaccination» en affirmant que «pas mal de monde a saboté cette campagne», sans préciser, souligne Khiati, que les foyers de rougeole apparus à cette époque étaient dus à la pénurie de vaccins et que la façon autoritaire, sans informations préalables, de vacciner les enfants à l'intérieur des établissements scolaires avait conduit à son échec suite au refus des parents d'élèves de vacciner leurs enfants, l'été précédant cette campagne de rattrapage, deux décès avaient été déplorés suite à une vaccination contre la rougeole, les résultats de l'enquête promise par le ministère ne sont pas encore connus». La vaccination contre la Covid-19 est loin d'être une vaccination ordinaire, affirme-t-il en s'appuyant sur «l'exemple de la Norvège (qui) vient de décider de ne plus vacciner les sujets à risque après avoir enregistré un certain nombre de décès et la Suisse a décidé d'attendre encore deux mois, pour voir, avant de recourir à la vaccination. Elle s'adresse à certaines catégories de la population très amoindries au plan immunitaire. Leur nombre est très élevé et dépasse largement les 2 à 3 millions d'enfants qui sont vaccinés annuellement dans les PMI. Il faut peut-être aussi rappeler que la réforme hospitalière en séparant les hôpitaux des unités sanitaires de base a en même temps scindé le curatif du préventif. Depuis 2007, les médecins formés n'ont pas effectué de stage dans les PMI et ne sont donc pas aguerris aux vaccinations». «Une faillite éthique catastrophique» Autre remarque de Khiati, «le Pr Rahal rejette par ailleurs toute participation du privé à l'opération de vaccination : «pourquoi faire ? Si on était dépassé, oui...» mais, dit-il, dans son énumération des structures susceptibles d'être mobilisées comme centres de vaccination, il cite les 273 PCH, sans préciser s'il s'agit des officines publiques qui travaillent en toute illégalité étant donné qu'elles n'emploient pas de pharmacien comme l'exige la loi ou des pharmacies des hôpitaux qui ont un rôle purement administratif». Khiati relève encore «ce n'est pas l'avis du Pr Belhadj pour qui «il y a le secteur privé qui doit suppléer au secteur public qui est dans une situation très particulière, il est mal structuré». Rappelons, dit le spécialiste en pédiatrie, «qu'en cette matière, c'est déjà le cas avec la vaccination contre la grippe depuis des années alors que les directives du Président et du Gouvernement sont claires à ce sujet, «il ne faut pas qu'il y ait de différence !» Le Pr Rahal croit toujours, dit-il, «au miracle malgré les mises en garde de l'OMS et différentes autorités scientifiques». Interrogé sur une éventuelle levée du confinement ou révision des mesures barrières après la vaccination, le Pr Rahal répond «je ne saurais vous répondre tout de suite, pour parler d'avenir il faut attendre, il se pourrait qu'on n'utilise pas le vaccin, le SARS-Cov 1 a bien disparu sans vaccination, on ne pourrait se prononcer dès maintenant». Sauf, selon Khiati, que «le SARS-Cov-1 a duré à peine six mois alors que le SARS-Cov-2 vient de dépasser l'année et a touché tous les pays et les continents !». Notre interlocuteur rappelle qu'«au début de la pandémie, le monde a assisté incrédule à de graves dérapages éthiques avec le détournement de matériel anti-Covid par de nombreux pays même liés entre eux par des alliances». Pour le Pr Belhadj, dit-il, «cette situation ne risque pas de se renouveler, il pense «comme c'est un vaccin, il y a peut-être un peu d'éthique, d'humanisme...» Pourtant pour Khiati, le Directeur général de l'OMS vient de parler d'une «faillite éthique catastrophique», «le vaccin ne sera apparemment pas pour tout le monde ! (18/1/21)». «C'est entraver un droit essentiel des malades» Khiati précise par ailleurs que l'idée de «création d'un hôpital spécialisé dans la mise en quarantaine, pour endiguer la propagation des maladies infectieuses et effectuer des recherches scientifiques», avait été avancée en novembre dernier par Mr Sanhadji. N'étant ni médecin ni pharmacien, il n'est peut-être pas au courant que l'hôpital El Kettar est un hôpital spécialisé en maladies infectieuses et a été érigé à cet effet !». Il pense qu' «il aurait été plus judicieux pour lui de demander la création d'un laboratoire P3 qui permettrait à l'Algérie de préparer des vaccins. Le fait que le ministère de la Santé ait décidé de réquisitionner plusieurs services au sein des CHU et même des hôpitaux spécialisés pour recevoir les malades de Covid peut par contre prêter à discussion car même si l'Algérie dispose de plus de 300 hôpitaux, les cas sérieux de tout le pays sont dirigés sur les CHU ou hôpitaux spécialisés pour être pris en charge. Supprimer l'activité spécialisée (cardiologie, pneumologie, chirurgie...) des CHU c'est entraver un droit essentiel des malades». Le Pr Khiati pense que «le département de la Santé doit préserver le droit de tout un chacun à la santé et rechercher les solutions idoines pour chacun et de non recourir à des solutions de facilité». Autre remarque : «Répondant aux médecins oncologues qui ont dénoncé l'évolution fâcheuse de certains malades par manque de prise en charge, le DG des Services de santé et de la Réforme hospitalière leur dit «qu'ils nous montrent ces cancéreux qui sont morts chez eux par manque de traitement, ce n'est pas vrai, j'ai un système d'informations devant moi. Je suis intervenu personnellement au sommet de la vague pour hospitaliser des malades du cancer au CPMC, à Oran, à Constantine (...). Mais choisir entre un malade qui a la vésicule biliaire et un autre qui fait une détresse respiratoire, le choix est vite fait». Sauf que, dit Khiati, «le DGSS sait que ces chiffres, il ne va pas les trouver chez les médecins oncologues. Il se contredit lui-même en affirmant qu'il a été obligé d'intervenir personnellement pour trouver des places à ces malades, c'est-à-dire qu'il y avait réellement un problème de disponibilité de lits pour les malades cancéreux ! Tout médecin connaît l'intérêt du diagnostic précoce et que tout retard dans la prise en charge des malades cancéreux aggrave leur cas entraînant le recours à plus de moyens thérapeutiques et donc à plus de dépenses de santé». |
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