Je t'ai
rencontrée pour la première fois dans une librairie, tu cherchais un roman de
William Faulkner dans l'édition anglaise. Tu préparais un diplôme de biologie à
l'université. Tu avais l'âge des ambitions grandioses et désordonnées. Jeune
compatriote que la vie n'avait pas encore abîmée, tu voulais devenir PDG,
écrivaine ou faire de la recherche scientifique. Tu te levais à l'aube pour
réviser tes cours. Avant même de vraiment te connaître, j'étais fier de la
bravoure qu'on entrevoyait dans ton regard. Tu semblais décidée à faire front
contre toutes les embûches. Comme tant de jeunes Algériens, partiras-tu un jour
ailleurs pour réaliser tes rêves ou resteras-tu parmi nous pour nous rappeler
la leçon millénaire que nous avons oubliée ? Nous nous sommes ensuite revus de
temps en temps. Comme un grand frère, j'étais sans cesse curieux de connaître
ton avis, en particulier concernant la situation de notre pays. Tu tenais à
cette occasion de grands discours, en haussant la voix sans t'en rendre compte
: «En Algérie, tous ces vieux dinosaures, y compris ceux qui nous ont libérés
du colonialisme, ils n'ont pas réussi à matérialiser le rêve algérien, ils ont
lamentablement échoué et c'est maintenant à nous, les jeunes, de construire
l'Algérie». J'opinais prudemment de la tête en marmonnant des paroles vagues
puis je te disais au revoir sans avoir jamais eu le courage de te demander
pardon.
Je te le
dis à présent avec une grande certitude : cette terre algérienne blessée a
besoin de l'adhésion et de l'amour de sa jeunesse pour briller comme un soleil.
Je te souhaite de ne jamais plier devant le découragement et le cynisme et de
toujours entretenir en toi le goût de la moisson.