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Les mots/maux de l'année

par Hatem Youcef

L'année 2020 tire, enfin, à sa fin et les vœux de tous est qu'elle s'engouffre dans les méandres de l'oubli, mais surtout qu'elle emporte avec elle, à tout jamais, ses mots et ses maux les plus épouvantables. Jamais de mémoire d'homme des mots et des maux n'ont autant accablé l'humanité, même au plus fort de la peste noire et la grippe espagnole qui avaient pourtant tué des dizaines de millions de personnes. Qui l'aurait cru ? Le néologisme Covid-19 s'est tellement imposé au monde qu'il est devenu parmi les mots de l'année sinon le mot de l'année. En tout cas, il compte parmi les mots les plus usités en 2020 selon le dictionnaire Merriam-Webster qui a recensé le mot pandemic (pandémie) comme le mot ayant été le plus recherché en cette année sinistre.

D'un taux de 1,621% de recherche en février, lors de la sortie de l'hôpital de Seattle du premier patient atteint de Covid-19, le mot est passé à 115,806%, le 11 mars, lorsque l'OMS déclara le et/ou la Covid-19 comme une pandémie. Non content de faire des milliers de victimes, le ou la Covid-19 a créé une polémique sur son genre grammatical de nom. Il est masculin pour ceux qui accordent le rôle de sujet au terme « virus » et féminin pour ceux qui l'accordent au vocable anglais « disease » (maladie). Fuyant des tubes et micro-tubes des labos et du jargon médical, le signifiant et le signifié envahissent la rue, les discussions et les causeries de tous et toutes, s'installent au sein du peuple et tiennent le haut du pavé plus d'une année durant. Ils s'activent à vulgariser les sciences médicales et la pharmacologie et mettent à la portée de la plèbe, tout à la fois le secret du Graal et la pierre philosophique. Ils atterrent et terrassent praticiens, hommes d'Etat et sujets, sclérosent les bourses mondiales et mettent à nu l'humanité entière. Méconnu du public auparavant, Covid voit sa cote faire une montée vertigineuse à faire pâlir d'envie les plus populaires des stars.

Il a aussi la particularité d'être parmi les néologismes qui ont séjourné le moins longtemps possible entre la phase de néologisation et celle de la lexicalisation. Selon le même Merriam Webster-Dictionary, seuls 34 jours ont suffi à l'adoption du funeste mot qui a, entre temps, mis en terre quelques millions de corps humains sans vie, appauvris d'autres millions, affolé tous les compteurs, mais aussi et surtout enrichi outrageusement les milliardaires qui ont vu leur fortune dépasser 10.000 milliard de dollars en particulier les ogres de la technologie.

Covid-19 est en passe d'enrichir davantage les grandes compagnies pharmaceutiques qui ne divergeraient que sur le pourcentage d'efficacité de leurs vaccins, mais convergent, quand même, pour dépasser les 90%. Vaccin, le mot tant attendu qu'on aurait voulu voir détrôner les autres mots, a mis beaucoup de temps pour faire une apparition qui demeure encore timide.

Peu confiant et pas sûr de tenir la dragée haute à la paire pandémie et Covid-19, le vaccin annoncé a de la peine à s'accaparer le vote des gens et a peu de chance de finir comme le mot de l'année. Il reste à espérer qu'il ne sera pas parmi les maux de l'année à venir.