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L'appel du large

par Rabah Toubal

J'étais en poste à Londres, en 2006, quand j'ai reçu l'appel téléphonique de Mohamed, mon camarade de promotion de l'ENA. Après les questions d'usage sur la santé et le séjour dans cette merveilleuse capitale, sa «ville préférée en Europe», il entra dans le vif du sujet : son fils. Je n'ai jamais vu Mohamed dans un aussi dramatique état mental, lui, le fringant Algérois, toujours souriant et tiré à quatre épingles, qui a réussi l'exploit, dès sa sortie de l'ENA, en 1979, d'être nommé à un poste supérieur dans une prestigieuse institution de la République, et qui a allègrement gravi les échelons jusqu'à en devenir l'un des principaux directeurs.

Il sombrait visiblement dans un stress, une panique, voire même dans un désarroi, pathétiques et émouvants à cause de la «folle» décision de son fils aîné K. qui avait décidé, un jour, de laisser tomber la florissante entreprise familiale, qu'il gérait à Alger, pour aller s'installer en France où il a vécu clandestinement pendant trois ans après y être entré avec un visa touristique en bonne et due forme.

K. a, par la suite, regagné clandestinement la Grande-Bretagne, pays de ses rêves, où il vit depuis deux mois.

«L'irrésistible appel du large, auquel ni Ulysse, ni Sindbad, ni même Ibn Batouta n'avaient résisté, a été plus fort que nos pauvres voix impuissantes et nos arguments irrecevables»

«Seuls les parents d'enfants enlisés dans de telles aventures pourraient mesurer la gravité et l'impact considérable de ce drame sur la cellule familiale concernée».

«Les sirènes du voyage sont plus fortes que toutes autres perspectives, au point d'obnubiler ceux et celles qui en sont victimes et de forcer leurs proches à accepter leur folie, dans l'espoir de leur éviter le pire, c'est-à-dire le suicide, sous une forme ou une autre.

«K. vit actuellement avec un groupe de clandestins algériens originaires d'Alger, à Finsbury Park*. Ils vivotent grâce aux dons d'associations caritatives.

«Je te serais très reconnaissant si tu pouvais l'aider à trouver un boulot décent pour l'éloigner de toutes influences et tentations néfastes». Ces paroles, plusieurs fois interrompues de sanglots, de mon ami Mohamed, m'avaient fortement ému et ébranlé.

La déchirante mauvaise passe que lui et sa famille traversaient m'avait incité à redoubler d'efforts pour accéder à la demande de ce père en détresse.

Mon ami, le brave Timbo, ressortissant algérien natif de Guelma, un Oumeddour, gérant d'un restaurant à Notting Hill, un célèbre quartier de Londres, a accepté d'engager K. et, contrairement à beaucoup de ses compagnons d'infortune, déportés vers leurs pays d'origine ou vivant encore dans une dure et de plus en plus insupportable clandestinité, il a même réussi à régulariser sa situation administrative, grâce à un mariage avec une Européenne de l'Est de l'Europe, naturalisée britannique.

*Quartier populaire de Londres, fréquenté par les islamistes, en raison de la mosquée qui s'y trouve, communément appelé «Londonstan».