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Tlemcen - Feux de forêts : une spécialiste tire la sonnette d'alarme

par Khaled Boumediene

Les journaux télévisés ont montré les images chocs des incendies qui ont touché un grand nombre de wilayas du nord-ouest du pays et ravagé près de 1.200 hectares de couvert végétal à l'échelle nationale, selon le directeur général des forêts, Ali Mahmoudi. Les responsables désignés sont souvent la sécheresse, la faible pluviométrie, le vent mais surtout les pyromanes. Cette récurrence des sinistres et le récit qui est proposé accréditent l'idée d'une vulnérabilité de ces espaces forestiers face aux incendies. «Les incendies déclarés simultanément la nuit du vendredi 6 au samedi 7 novembre aux alentours de plusieurs villes ne laissent aucun doute sur leur caractère criminel», s'était exaspéré le Premier ministre Abdelaziz Djerad, en marge de sa visite à Tipasa.

A Tlemcen, ces incendies d'automne ont ravagé près de 130 hectares, selon le même bilan de la direction générale des forêts. Lors d'une brève entrevue, la spécialiste de la gestion et de la conservation des écosystèmes naturels au niveau du parc national de Tlemcen, Benmammar Hasnaoui Haféda, tire la sonnette d'alarme sur la dégradation des écosystèmes forestiers qui deviennent de plus en plus vulnérables. «Deux causes principales sont derrière les dégradations des écosystèmes forestiers, leur sensibilité, leurs fonctionnements et leurs richesses biologiques : les causes naturelles se résument dans les hausses de température et la sècheresse et les causes humaines qui viennent aggraver cette situation par les défrichements. Ce qui est plus grave encore ce sont les incendies fréquents», résume Mme Benmammar. Et d'jouter: «Nos forêts sont fragilisées et leur biodiversité très affectée. La végétation et les sols constituent l'habitat de la faune sauvage et sont l'élément principal de sa répartition, son organisation et sa pérennité. Le disfonctionnement causé par la perturbation suite aux incendies est parfois irréversible, provoquant de grosses pertes, non seulement dans la faune et la flore mai aussi dans le fonctionnement de l'écosystème forestier. Les milieux forestiers de la région de Tlemcen sont riches en espèces animales. Cette richesse est fonction évidemment de la richesse floristique de la cime des arbres aux profondeurs des sols, diverses espèces ligneuses de chênes, pins de pistachiers, oléastres et thuya qui constituent les forêts de la région. Parmi ces espèces nous comptons des rares et des endémiques, malheureusement elles sont toutes affectées par les feux criminels du littoral de Ghazaouet et Honaine jusqu'aux monts de Tlemcen. Même l'espace protégé au parc national n'a pas été épargné. Son étendue forestière devenant fragmentée à cause des incohérences dans le processus de vie chez certaines espèces animales, qui ont besoin d'un grand habitat pour se reproduire, se nourrir et se reposer».

Selon notre interlocutrice, il a été constaté de grosses pertes parmi les animaux sauvages après le passage des incendies. «Les premières victimes sont évidemment les insectes et plus grave encore quand ces incendies se prolongent jusqu'à la saison d'automne où ces êtres fragiles hibernent. Des centaines voire des milliers d'entre elles périssent dans les incendies. En second lieu, les reptiles et les batraciens tels que la tortue mauresque, le caméléon, les lézards et les salamandres qui se retrouvent piégés par la vitesse des flammes. On constate que quand l'incendie perdure, il y a beaucoup de pertes chez les mammifères, comme les gazelles, les hyènes, les chats forestiers, les lapins et les loups. En période de reproduction qui coïncide avec la saison sèche entre le mois de juin et le mois d'août, nous enregistrons beaucoup de pertes chez les oiseaux nicheurs qui perdent leurs progénitures au moment de l'incendie. Et beaucoup d'espèces vulnérables disparaissent définitivement dans certaines régions très affectées par l'intensité des feux, parce qu'elles périssent ou parce qu'elles désertent les lieux pour chercher d'autres plus cléments».

Pour remédier à ce problème qui prend de plus en plus de l'ampleur, Mme Benmammar propose de doter la conservation des forêts et toutes les structures sous tutelle (parc national, réserves de chasse) de moyens humains et matériels adéquats pour augmenter la capacité globale d'intervention et pour mieux surveiller et protéger correctement ce qui reste comme forêts. Dans le même temps, cette spécialiste souligne que ces catastrophes ne doivent pas être présentées comme une fatalité. «Les pouvoirs publics et la population doivent se mobiliser dans la lutte. Une législation, un aménagement, une surveillance des forêts et des moyens importants alloués aux pompiers peuvent prévenir les départs de feu et limiter l'extension des sinistres lorsque le mal est déclaré», conclut-elle.