En espérant
que le travail paie dans le futur, on attend toujours que ceux qui arrivent au
travail en retard cessent de croiser ceux qui partent en avance. Sinon, parbleu,
où, quand, comment «nicher» un Algérien en chair et en os qui bosse au sens
stakhanoviste du terme ? Comment s'appelle-t-il, a-t-il
fait la révolution, sous quelle étoile est-il né, à quelle école a-t-il été, a-t-il voté un jour,
mange-t-il de son pain blanc, quel vaccin lui a-t-on inoculé ?!
Dans un pays qui réussit journellement l'exploit, unique du genre, de se
remplir les caisses à ras bord, sans que le travail, en tant que valeur
salvatrice, ne soit ni compris ni compréhensible sous nos latitudes si particulières,
cela relève, paraît-il, du miracle para-économique, digne d'un prix Nobel de la
baraka, mais à l'envers... Sinon, comment expliquer que
l'Algérie soit, plus de dix lustres après le départ du dernier roumi
exploiteur, un pays où tout le monde se gave l'estomac, achète une bagnole,
travaille moins de quatorze minutes par jour, selon des statistiques
para-officielles, abhorre lire, y compris les bouquins parlant de ses dix
incivilités chroniques, roupille plus du tiers du temps... universel de sa vie,
sans que le pays ne coule sous le poids écrasant de ses trente-huit millions de
bouches ouvertes... aux quatre chances ?
Selon le
vade-mecum de tous nos paradoxes grandeur nature, l'Algérie est le pays où l'on
paye l'eau la moins chère du monde, le pain le plus facile d'accès de tous les
pays à destin équivalent, l'essence la plus gaspillée des pays
pétro-dépendants, le loyer le plus modéré des modérés, l'énergie électrique la
moins coûteuse de tous les pays... éclairés; tout cela avec la monnaie la plus
dépréciée de tous le(s) argent(s) sans prix approximatif ni valeur imprécise.
Dépersonnalisé jusqu'à... la moelle, le travailleur algérien n'est pas comme
ses camarades d'infortune d'ailleurs : il reçoit sa solde un mois avant d'avoir
goûté au fruit gratuit de son labeur inaccompli, et claque sa prime de
rendement une année avant de voir sa boîte «banqueroutée».
Selon une théorie algéro-algérienne, le travailleur
de chez nous fait semblant de retrousser les manches lorsqu'on fait semblant de
le payer. Il veut donner l'impression trop fausse de trimer à la tâche, pas
pour améliorer le BNC (Bonheur national collectif), mais pour lutter contre
l'ennui sidérant, le vice dévorant et le besoin irrépressible de marcher sur la
lune sans jamais laisser de trace... humaine. Religion sacro-sainte pour nos
golden boys pas comme les autres, - ce bidule -, de la productivité, sous nos
latitudes ombragées, est inversement proportionnel à la «douloureuse» de nos
faillites «vracquées». Avec un syndicat public le
plus proche de la poche de son employeur, le travailleur algérien est devenu un
salarié miséreux, avec des mains faussement calleuses et des bras brisés.
Comble de l'art jamais enseigné dans aucun bahut au monde, l'Etat, seul
employeur aux yeux de tous les sans-emploi, a décidé d'augmenter la solde du
commun des crypto-travailleurs algériens pour mieux les aider à vider leurs
poches, avec en prime le sourire en bandoulière, et les mains derrière le dos.
Et parce que le travail était, à l'origine des temps, un accident de la vie,
avant de changer de statut particulier, pour devenir une maladie chronique, il
est peut-être plus glorieux de mourir d'épuisement que d'ennui dans un pays où
tout le monde a le sentiment tenace de jouer le beau rôle de combattant en
carton-pâte, à courir, les jambes cisaillées, après un destin détourné... Aussi
vrai qu'il vous suffit de choisir un boulot que vous aimez, et vous n'aurez pas
à travailler un seul jour de votre vie ! Quel pied !