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NEW DELHI - Les États-Unis, le Brésil et l’Inde se démarquent tristement du reste du monde en termes de nombre de cas confirmés de COVID-19, et n’entrevoient pour l’heure aucun pic de l’épidémie. Ces trois pays (comme la Russie, en quatrième position) ont une chose en commun : un chef d’État machiste à la personnalité autoritaire.
Des différences significatives existent dans la manière dont ces pays répondent à la pandémie de COVID-19. Le président brésilien Jair Bolsonaro et son homologue américain Donald Trump ont systématiquement minimisé la gravité de la menace, et refusé de prendre des mesures fortes. Plus récemment, Trump a quelque peu réajusté sa position, certainement motivé par une cote de popularité en déclin. Il a ainsi commencé à porter un masque en public, après avoir refusé de le faire pendant des mois - et ridiculisé ceux qui en portaient un. Le président américain continue néanmoins de saper le travail des experts de la santé, à travers ses déclarations erronées et trompeuses. Pour sa part, Bolsonaro continue de faire preuve de désinvolture, même après avoir contracté le COVID-19 (dont il est guéri). Par opposition, le Premier ministre Narendra Modi a imposé l’un des confinements les plus stricts - et les plus soudains - de la planète, alors que seulement quelques cas étaient rapportés dans le pays. Ceci explique probablement en partie pourquoi le taux d’infections par million d’habitants est beaucoup plus faible en Inde qu’aux États-Unis ou au Brésil, bien que plusieurs études indépendantes suggèrent que les chiffres officiels en Inde et au Brésil se situent bien en dessous de la réalité. Seulement voilà, le confinement décidé par Modi ne s’est pas accompagné de mesures significatives de protection sociale et de soutien aux revenus, ce qui a donné lieu à une tragédie humanitaire majeure, plusieurs millions de personnes tombant dans la pauvreté et la famine. Dans le même temps, le virus a continué de se propager, ce qui a abouti à une situation dans laquelle, une fois le confinement levé, les travailleurs pauvres se sont retrouvés confrontés à des risques encore plus importants. Mais si le timing et l’intensité des ripostes américaine, brésilienne et indienne ont pu varier, le résultat est le même : plusieurs millions d’infections au COVID-19. Les États-Unis sont les plus touchés, avec plus de cinq millions de cas, devant le Brésil et ses plus de trois millions de personnes infectées, puis l’Inde et ses plus de deux millions de cas. De toute évidence, la personnalité des chefs d’État concernés y est pour beaucoup dans cette situation. Trump, Bolsonaro et Modi ont en commun leur arrogance, leurs excès, et leur rejet de toute critique. Tous trois démontrent une capacité démagogique à inspirer la confiance dans une figure clivante à la fois repoussante pour un grand nombre d’habitants et mobilisatrice d’une dévotion quasi-religieuse pour beaucoup d’autres. Tous trois œuvrent activement avant tout pour les intérêts de leurs amis et électeurs. Enfin, tous font preuve d’un mépris systématique pour la vérité, usant de distractions, de diversions et de mensonges purs et simples pour promouvoir leur discours idéal, et conserver leur popularité. Ces caractéristiques sont à l’origine d’erreurs politiques qui alourdissent le tribut des décès liés à la pandémie dans les trois pays. Pour commencer, la répartition des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les autorités étatiques ou provinciales se révèle déséquilibrée, arbitraire et mal coordonnée, de même que le gouvernement central a tendance - bien souvent au mépris de l’avis des scientifiques et experts - à imposer des règles et politiques irrationnelles et souvent changeantes. De leur côté, les autorités étatiques et provinciales assument les tâches les plus lourdes, non seulement dans l’endiguement du virus, mais également dans le soutien à la santé publique plus généralement, ainsi que dans la gestion des retombées économiques de la pandémie. Le gouvernement fédéral des trois pays ne fait rien pour faciliter la coordination entre ces entités de niveau inférieur. Au-delà d’un manque de cap efficace fixé au niveau fédéral, les États et provinces sont confrontés à l’insuffisance des ressources. Le déséquilibre budgétaire est particulièrement marqué en Inde, où le gouvernement central refuse même aux gouvernements étatiques les fonds qu’il devrait légalement leur verser, ce problème existant également au Brésil et aux États-Unis. Plus largement, aucun de ces trois pays n’a augmenté ses dépenses globales dans la santé publique. Et si le gouvernement apporte une aide financière aux entreprises en détresse, l’essentiel des fonds est versé aux grandes sociétés, les petites entreprises devant se contenter des miettes. De même, les personnes les plus défavorisées ne bénéficient que d’une aide minime et pourtant vitale, notamment en Inde. Les travailleurs essentiels, qui risquent leur vie pour permettre à la société de continuer de fonctionner - les travailleurs de la santé par exemple, ou ceux qui assurent les approvisionnements alimentaires - ne bénéficient eux aussi que d’une protection et d’une aide dérisoires. Beaucoup perçoivent des salaires insuffisants, parfois versés en retard, et manquent d’équipements de protection voire d’une couverture santé face à la pandémie. Or, plutôt que de remédier à ces échecs funestes de leadership, Trump, Bolsonaro et Modi ne cessent de créer des diversions. Trump préfère ainsi s’en prendre à la Chine - et même se retirer de l’Organisation mondiale de la santé en raison d’une prétendue « désinformation » menée par la Chine - que de travailler à l’élaboration d’une réponse efficace. De même, dans l’Inde de Modi, plusieurs années d’incitation au nationalisme hindou de la part du gouvernement font des musulmans les boucs-émissaires naturels. Dans ces trois pays, une aggravation des divisions sociales - ainsi qu’un encouragement aux comportements agressifs par les groupes dominants - existaient bien avant la pandémie. Bolsonaro est depuis longtemps connu pour son racisme, sa misogynie, son discours anti-LGBTQ, et son mépris pour les droits des minorités. Les antécédents tout aussi clivants de Trump s’observent aujourd’hui dans sa sympathie pour les suprémacistes blancs, ainsi que dans sa condamnation des manifestations actuelles contre l’injustice raciale et les violences policières. Ceci nous conduit à souligner un troisième point commun : les trois chefs d’État utilisent la pandémie comme une excuse pour réprimer les dissidences. Nombre d’Américains sont révoltés de voir Trump déployer des agents fédéraux, souvent en civil, pour écraser des manifestations pour l’essentiel pacifiques. C’est encore pire en Inde, où les personnes qui ont déjà participé à des manifestations pacifistes sont incarcérées. Les prisons indiennes - où le COVID-19 se propage à toute vitesse - sont devenues un foyer de militants des droits de l’homme, avocats, enseignants et étudiants. La force brute ne peut stopper un virus. De même pour la tromperie, la manipulation, l’intimidation ou la coercition. Comme le démontrent d’autres pays (souvent dirigés par une femme), la seule manière de battre le COVID-19 réside dans la participation de la communauté, la coopération et la solidarité sociale. Ce n’est pas un hasard si les plus grands perdants face au COVID-19 sont ceux qui ont pris un tout autre chemin. Traduit de l’anglais par Martin Morel *Professeur d’économie à l’Université Jawaharlal-Nehru de New Delhi - Secrétaire exécutif du réseau IDEAs (International Development Economics Associates), et membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés. |
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