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Finances: L'imbroglio du manque de liquidités

par Ghania Oukazi

«Le problème de liquidités est un cercle infernal et vicieux», nous dit un des cadres du ministère de Karim Djoudi. Il reconnaît ainsi qu' «il y a des tensions certes, mais il y a des pics en raison d'une évolution exponentielle d'une demande qui n'en finit pas comme c'est le cas en ces temps de fêtes et de rentrée sociale...».

Ces propos nous ont été tenus en 2011 (voir l'édition du 30 août 2011) parce qu'une profonde crise de liquidités avait plombé non seulement les bureaux de poste mais aussi les banques publiques. Des spécialistes de la finance ont expliqué que « par mesure de précaution, les banques refusent, en règle générale, d'accorder beaucoup de crédits aux investisseurs, préfèrent laisser l'argent dormir dans leurs caisses et peuvent même renvoyer leurs clients en refusant de leur donner leur propre argent parce qu'elles doivent répondre à n'importe quel moment à des demandes de fortes liquidités des institutions de l'Etat ». L'on nous a précisé à ce moment que «les liquidités doivent en principe évoluer d'une manière gérable mais chez nous leur taux d'utilité augmente parfois d'un coup de 10% et plus en raison de demandes pressantes, c'est trop quand on sait que c'est du physique qui sort et non de l'électronique ». Nous écrivions que les spécialistes qualifient cela de «problème de demandes non incompressibles ou imprévisibles et parfois les deux à la fois». Nos sources avaient fait remarquer que «même si les banques publiques donnent elles aussi de l'argent aux bureaux de poste en leur versant des ressources d'entreprises (excédents de trésorerie) et d'autres d'épargnants, les liquidités restent toujours celles qui leur manquent le plus ».

Dans l'édition du 3 août dernier, nous écrivions sur «ce manque de liquidités qui pousse des retraités à pleurer de détresse devant les bureaux de poste submergés par les files d'attente». Le problème du manque de liquidités ne date donc pas d'aujourd'hui. Il est la conséquence évidente de dysfonctionnements structurels qui minent depuis toujours la sphère économique et financière du pays.

Des dysfonctionnements structurels qui datent

Si le président de la République et son 1er ministre considèrent que ce genre de situation est «un complot contre l'Algérie nouvelle», les banquiers, eux, dénoncent la lourdeur des procédures qui bloquent un certain nombre de services monétiques pour régler un problème de carte bancaire, pour maintenir des DAB en service, sans compter que les banques publiques ne sont pas outillées pour en faire un instrument de paiement « populaire». Et «comme tout se fait en espèces, l'argent sort mais revient difficilement dans les caisses», disent-ils. Incompétence ? Manque de volonté politique ?, interrogions-nous dans l'édition du 3 août dernier. «Non, répondent-ils, c'est bloquer pour bloquer, des banques privées ont essayé de développer la monétique comme c'est fait ailleurs mais la bureaucratie les en a empêchées ». Ils estiment que «c'est tout un système qu'il faut changer, un système qui doit en premier casser la centralisation des tâches et permettre aux initiatives de se libérer sans brandir le retour de bâton, sans menaces de sanctions (....) ». Il y a aussi «cet infernal problème du réseau internet dont les coupures et la faiblesse du débit rendent fous les plus patients».

Les retraités et les pensionnés en général sont les premiers à pâtir d'un système financier qui érafle leur dignité à chaque fois qu'il s'agit pour eux de retirer leurs maigres «avoirs». Cette année, les séquences devant les bureaux de poste au plan national sont scandaleuses. Ces deux derniers jours, les images de files indiennes de citoyens donnent la nausée. Mais cette fois, ce sont les agences du CPA (Crédit Populaire d'Algérie) qui sont « assiégées » par ces centaines de citoyens qui ne sont pas venus pour retirer de l'argent mais pour en déposer. Ce sont les bénéficiaires des logements AADL qui font la queue pour verser le montant de « la tranche » que les services de l'AADL leur doivent au titre du paiement du logement qu'ils ont acquis. Drôle d'imbroglio que celui d'un Etat qui ne peut pas payer ses retraités parce que ses bureaux de poste n'ont pas de liquidités mais qui en parallèle ignore ces milliers de citoyens qui passent une journée pour lui donner de l'argent en s'acquittant de leur dû. Au-delà de la terrible bureaucratie ambiante, les raisons de ce désordre sont imputées aux conséquences de la crise sanitaire, des guichets fermés par manque de personnels pour cause de mise en congé spécial ou d'office. D'autres files d'attente, celles-là devant les services des impôts où ceux qui veulent s'en acquitter n'arrivent pas à le faire sans qu'ils ne sachent quelles en sont les raisons. «Allah Idjib El Khier », lâche un cadre des services financiers. Il soupire encore pour nous préciser à propos du manque de liquidités qu' «on attend que le ministre des Finances parle, personne d'autre ne peut le faire au ministère, ce sont les instructions».

La Banque d'Algérie toujours sans gouverneur

L'on nous renvoie en outre vers «la Banque d'Algérie, parce que c'est elle les liquidités». Mais cette institution financière est connue depuis toujours pour être hermétiquement fermée au contact avec la presse. En consultant son site, on peut voir que ses informations au titre de ses notes de conjonctures précisent «les tendances monétaires et financières du second trimestre 2018 ». Ses indicateurs des finances publiques sont arrêtés à fin mai 2018. Pour ce qui est de ses communiqués, le dernier date d'avril et rapporte la tenue d'une réunion de son Comité des Opérations de Politique Monétaire (COPM) sous la présidence de Aïmene Benabderrahmane, gouverneur de la Banque d'Algérie», actuellement ministre des Finances dont les décisions ont porté entre autres sur la libération d'un montant supplémentaire important de liquidité(...)». La Banque d'Algérie a expliqué qu'il s'agit «de libérer pour le système bancaire des marges additionnelles de liquidités et mettre ainsi à la disposition des banques et établissements financiers des moyens supplémentaires d'appui au financement de l'économie nationale(...)».

Ce ne sont donc pas des liquidités pour le paiement des pensions des retraités. Des banquiers nous expliquent que « ce n'est pas la Banque d'Algérie qui doit donner les liquidités pour payer les retraites mais c'est l'Etat qui les paie par ses revenus constitués en gros de la fiscalité pétrolière et l'impôt ordinaire». Mais, disent-ils, «avec ses revenus, il n'arrive pas à couvrir ses dépenses salariales en raison des conséquences de la chute du baril de pétrole et la crise sanitaire». L'Etat n'a donc pas pu donner d'argent aux bureaux de poste pour assurer le paiement des retraités. En tant que «principal agent économique, l'Etat ne paie pas non plus les entreprises donc elles ne peuvent pas alimenter les banques, c'est un véritable cercle vicieux », ajoutent-ils.

L'on nous renseigne qu'aujourd'hui aussi les banques ont des problèmes de liquidités. «Tous les crédits accordés les dernières années n'ont pas été remboursés et même ceux d'il y a 30 ans, tout ce qui devait rentrer comme argent ne l'a pas été(...)», nous disent nos interlocuteurs. Avant, rappellent-ils, « la Banque d'Algérie rachetait les crédits aux banques (réescompte) en contrepartie de liquidités, cette pratique a été abandonnée, mais elle peut être reprise». Ils notent cependant que «personne ne peut franchir ces limites, la Banque d'Algérie ne peut pas prendre de décisions «supra», c'est le Conseil de la monnaie et du crédit qui est habilité à le faire mais il ne peut légiférer parce qu'il n'a pas de président qui doit être en même temps gouverneur de la Banque d'Algérie». Ces deux importantes institutions du pays n'ont pas de «patron» depuis la nomination de Aïmene Benabderrahmane comme ministre des Finances.