C'est
l'histoire à ne jamais enseigner dans les bahuts- de H'mida
Sloughi, l'homme par qui le miracle arriva sous un ciel faussement serein. Né
lorsque Boumediene n'était pas encore mort, H'mida
Sloughi fit ses premiers pas dans la vie au moment où Ben Bella n'était pas
encore libre. Entré à l'école publique sous l'ère «regrettée» de «ragda oua t'manndji»,
il vit le stylo prendre le large sans jamais avoir réussi à le rattraper. Mi-alphabétisé, mi-abêti, H'mida Sloughi, arrivé à l'article de la mort, se souvint
de son camarade de classe devenu, lui, ministre du Rêve national et lui écrivit
une lettre dont voici à peu près le contenu à ne surtout pas lire sans binocles
anti-brouillage. «Moi H'mida
Sloughi, je suis né exactement trois jours et demi avant le 1er novembre 54.
Heureux de voir mon pays goûter au soleil trop brillant de la liberté, j'appris
que la culture du partage était le meilleur remède pour guérir un peule fatigué
de l'injuste joug colonial. Bercé par la musique envoûtante de notre Dali à nous,
je vis arrivé au pouvoir un homme qui voulait faire de tous les enfants du pays
des médecins, des avocats, des ingénieurs et même des cosmonautes. Il ne
voulait ni riche ni pauvre, mais juste une société «clean» où le berger et le khamess n'ont pas droit de cité. A la fin des seventies,
cet homme pas comme les autres mourut et je vis arriver l'ère «maudite» de
«Dormez tous pour mieux vous reposer !». Ravi par tant de faste et de richesse
offerts à un peuple mis au repos éternel, j'assistai, effaré, à la banqueroute
de mon pays, obligé de réclamer des sous pour manger à nos ennemis d'hier,
juste pour ne pas voir le peuple crever de faim et de désespoir. J'avais
presque vingt ans. Ensuite, le pays voulut s'essayer sans prendre goût à cette
«mode» dangereuse que d'aucuns appellent la démocratie. Entré dans un tunnel
sans bout, tout le monde dégaina l'arme qu'il pouvait et le pays plongea dans
une longue nuit douloureuse. J'avais 45 ans quand un siècle flambant neuf
pointa le bout de son nez. Je vis le pays retrouver un peu de sa superbe perdue
et de ses flouzes dilapidés. Arrivèrent, ensuite, les projets herculéens qui
propulsèrent le pays au seuil des pays émergents au-dessus du lot des peuples à
la traîne du développement. Je me mis à rêver debout du métro d'Alger, de la
première voiture algéro-algérienne, d'un prix Nobel
pour Assia Djebar, du
retour à la vie de l'Emir Aek, d'El-Anka,
de Malek Benabi, de Med Boudiaf, de Aek Alloula, de Hassan «Terro». J'avais 50 ans déjà. Au milieu des années deux
mille, je me rendis compte que mon pays pouvait encore faire mieux. Comme un
élève qui progresse à l'école avec une mention «passable» apposée sur son
bulletin. Avec des caisses pleines aux as, le Smig monte à l'équivalent mensuel
de dix repas et un dîner pour une famille de quatre personnes. Jusqu'au jour où
surgit comme un feu follet le but de Riyadh Mahrez le légendaire pour faire chavirer de bonheur cru un
peuple longtemps sevré de joie et de raison de vivre. Aujourd'hui, j'ai l'âge
pour m'apprêter à quitter ce monde et je rêve de conduire la première voiture
algérienne pour fermer les yeux à jamais et emporter dans ma tombe un rêve que
je crus irréalisable !