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Incidences de la pandémie sur l'économie: Une première évaluation et des propositions

par Ghania Oukazi

Le gouvernement Djerad vient d'élaborer un rapport d'étape des incidences de la pandémie du Covid-19 sur des secteurs économiques en difficulté et d'autres dont l'activité a été mise à l'arrêt total.

Le rapport en question a été présenté hier par le ministre des Finances lors de la tripartite (Gouvernement-Partenaires sociaux-Opérateurs économiques) qui s'est tenue à l'hôtel El Aurassi d'Alger avec pour point essentiel la mise en place d'«une commission de sauvegarde qui aura pour objectif d'évaluer les incidences causées par la pandémie du coronavirus (Covid-19) sur l'économie nationale ». Le document a été produit par le « Comité interministériel sur les mesures d'atténuation de l'impact de la pandémie du coronavirus ». Ce que les services du gouvernement appellent « document préliminaire » ou « rapport d'étape », résulte de « l'exploitation des conclusions de toutes les concertations menées au sein des différents départements ministériels (agriculture, tourisme, transport et travaux publics, micro entreprise, industrie et mines, énergie, télécommunication, travail, emploi et sécurité sociale, santé et défense nationale) ». Les données retracent leurs difficultés économiques et financières entre mars, avril et mai. Les propositions de « rattrapage » tournent autour de mesures fiscales et parafiscales, d'accompagnement des entreprises par les banques, d'exécution des marchés publics, prise en charge des salaires des travailleurs confinés, soutien et relance économique (...).

Sous le titre « première évaluation d'impact et préconisations sectorielles », le gouvernement écrit que « l'étendue des dommages subis par l'économie du fait de la pandémie, dans un contexte de raréfaction des ressources publiques et de déséquilibres macro-économiques persistants milite pour l'adoption de mesures de sauvegarde économique minimisant le recours aux ressources budgétaires et recherchant un impact optimum sur toute l'économie ». Il classe « dans un ordre décroissant du niveau du sinistre enregistré des secteurs d'activités les plus affectés, car acculés par l'arrête total d'activité aux secteurs et activités affectés partiellement selon des degrés variables ». Il cite le transport des personnes, la restauration, tourisme et hôtellerie, commerce et professions artisanales.

Les grandes entreprises lourdement impactées

« Il convient d'ajouter à cette liste le secteur de l'énergie, compte tenu de son impact sur l'économie », souligne-t-il. Les transporteurs publics et privés sont préoccupés, selon le rapport, par « la détérioration de la trésorerie(...), des créances importantes détenues par ceux publics sur l'Etat(...), la nécessité d'assurer le roulage et la maintenance des équipements et des systèmes des transports publics (aériens, maritimes, terrestres), et maintenir les salaires des travailleurs ». Pour y parvenir, il est proposé comme mesures urgentes de « libérer immédiatement les dotations dues (...) » au profit de l'ENMTV, SNTF, ETUS, RAPT El Djazaïr, (Métro), SETRAM, (tramway), ETAC (transport par câble) et de compenser le manque à gagner par des mesures fiscales et parafiscales au profit d'Air Algérie, SOGRAL, ENMTV, SNTF et autres entreprises publiques de transport de voyageurs(...). Ce secteur a enregistré depuis le 20 mars au 29 avril un manque à gagner de 288 millions DA pour le transport voyageur et 72 autres pour le fret. Les pertes totales à fin 2020 sont évaluées à 1 322 803 000 DA. Air Algérie a fait annuler du 18 mars au 30 avril 4357 vols (1 068 015 sièges) engendrant un manque à gagner de 16 316 496 447 DA. « L'estimation de ses pertes à fin 2020 s'élève à 35 Mds DA sans tenir compte d'éventuels remboursements des clients », note le rapport. Le groupe GATMA accuse « avec l'arrêt de tous les navires depuis le 19 mars », des pertes de chiffres d'affaires à fin mai de 792 848 000 DA. Les groupes Services portuaires et autres filiales affichent des pertes en chiffres d'affaires de 378 199 243 DA. Pour les opérateurs et entreprises privées (transport public, taxis, auto-écoles, contrôle technique), il est proposé de « les faire bénéficier des dispositifs d'exonération ou de différé du paiement des charges sociales et des impôts, de crédits bancaires sans intérêts ou envisager de leur accorder une compensation, faire bénéficier les conducteurs des transports collectifs d'une indemnité salariale mensuelle forfaitaire de 30 000 DA(...).

Des secteurs à l'arrêt total

Le tourisme et l'artisanat sont proposés pour être déclarés « secteurs sinistrés » pour entre autres bénéficier d'assurances accordées dans pareil cas », annulation des impôts et taxes, suspension des remboursements des échéanciers des crédits bancaires sans pénalités de retard, facilitation d'octroi de prêts bancaires, prise en charge par le Trésor public des charges sociales des employeurs et employés (CNAS et CASNOS), octroi d'une allocation de 20 000 DA/mois pour les artisans et 15 000 DA pour leurs employés. Pour les agences de tourisme et de voyages (ATV), possibilité d'exiger des compagnies aériennes de leur rembourser les billets d'avion pour la période coïncidant avec la suspension des vols, création d'un fonds de soutien. Pour les hôtels, il est proposé la création d' « un fonds de solidarité financé par l'Etat et les grandes entreprises ». Les hôtels publics pourront bénéficier de paiement de leurs créances détenues par les institutions de l'Etat et ses démembrements estimées à 3 Mds DA à la fin 2019, annulation de la taxe de promotion touristique, effacement des crédits trésor pour les unités du Sud, des dettes domaniales pour les entreprises en difficulté(...). Pour leur part, la Sonatrach a enregistré entre le 15 mars et le 31 mai un manque à gagner de 247 millions DA, la Sonelgaz 6,5 milliards DA, Naftal depuis le 1er mars à ce jour plus de 20 Mds DA, Tassili Airlines, une régression de 27% soit 221 millions DA pour mars et 72% soit 595 millions DA à fin avril.

Le ministre des Finances, Aymène Abderrahmane, a fait savoir à propos du contexte national que «la gestion des impacts économiques s'est traduite par une première concertation avec les acteurs économiques et les partenaires sociaux qui a abouti à l'identification et la mise en œuvre d'un premier train de mesures prises par les pouvoirs publics». Il en rappellera celles relatives « au traitement des obligations fiscales des assujettis » par « des prorogations des délais de paiement de certains droits et taxes et de souscription des déclarations mensuelles et annuelle, d'octroi d'échéancier(...) ; celles prudentielles adoptées par la Banque d'Algérie, autres d'ordre monétaire(...), mesures budgétaires(...). » Le rapport indique que l'Etat a débloqué 65,531 milliards DA pour la lutte contre la pandémie du coronavirus qu'il a répartis entre plusieurs secteurs pour l'achat de moyens de protection tous produits confondus. Les indemnités « exceptionnelles » au profit des agents de l'Etat de plusieurs secteurs lui ont coûté 24,394 Mds DA et l'allocation au profit des familles impactées y compris l'opération de solidarité Ramadhan et les familles nécessiteuses s'est élevée à 24,702 Mds DA.

Des maux structurels pour un bien conjoncturel

Le gouvernement fait savoir qu'il reste des moyens financiers à mobiliser pour le paiement d'« un 2ème versement de l'allocation de solidarité » pour les familles impactées après que le MICLAT en aura recensé les bénéficiaires et de la prime exceptionnelle des agents de l'Etat pour la période 15 mai-15 juillet (16 milliards DA).

L'assistance et le rapatriement des Algériens à partir de l'étranger ont coûté 3,317 Mds DA. L'Etat a aussi déboursé pour la coopération internationale 271 millions DA répartis entre sa participation « volontaire » au budget du PNUD « dans le cadre de la lutte contre le coronavirus » et le Fonds d'intervention de l'UA(...).

Tout au début, le ministre a repris la Banque mondiale pour affirmer que «le PIB mondial diminuera de 5,2% cette année(...) et l'activité économique des pays avancés devrait décliner de 7% ».Il souligne toujours en référence à la même source que «les prévisions font état d'une diminution de 3,6% des revenus par habitant, ce qui fera des millions de personnes dans l'extrême pauvreté cette année ».

Sa note d'optimisme est que « la Banque mondiale affirme que les pays les plus durement touchés sont ceux où l'épidémie a été la plus grave et ceux qui se caractérisent par une forte dépendance vis-à-vis du commerce mondial, du tourisme, des exportations de produits de base et des financements extérieurs, ce n'est pas le cas de notre pays ». C'est ainsi que l'Algérie s'en sort avec un bien conjoncturel parce qu'elle traîne des maux structurels. « Il faut insister sur les incidences pour qu'on sorte avec des propositions, une évaluation qui doit se faire avec l'objectivité la plus possible, sans complaisance et sans surenchère, ce n'est pas une recherche de moyens pour arriver aux ressources publiques sans contrepartie ou alors la recherche d'indus avantages », a dit hier le 1er ministre dans son intervention d'ouverture.

La commission mixte de « sauvegarde » installée hier sera présidée par Redha Tir, président du CNES, avec à ses côtés le ministre délégué à la prospective, des représentants de plusieurs autres ministères ainsi que 6 représentants du patronat et 6 autres des travailleurs. Le 1er ministre estime que c'est là une manière de consacrer le dialogue entre les partenaires sociaux « jusqu'à la fin de la crise ». La commission présentera, selon Djerad, un premier rapport le 22 juillet prochain en réunion du gouvernement et le 26 en Conseil des ministres. Il affirme qu'«il faut aller dans le sens d'un travail fondé sur l'entreprise algérienne, les 16 et 17 août prochain, nous allons lancer les fondations d'une économie qui tient compte de toutes les propositions avec des données réelles ». Pour lui, « c'est une approche rationnelle, elle a des bases, une stratégie, une logique totalement différente de celle avec laquelle on a travaillé dans le passé ».