L'humanité fantasmait depuis longtemps pour les
extra-terrestres qu'on annonçait par ici et par-là, mais voila
que ce sont des personnages du célèbre roman d'Aldous Huxley, Brave New World
(Le meilleur des mondes) qui sont parmi nous, en nous. Les mêmes images d'êtres
humains uniformisés par les bavettes nous parviennent des quatre coins du
monde. La même frénésie pour les denrées alimentaires s'empare des barbares et
des civilisés et la même psychose pénètre les cœurs à l'unisson. Créativité
(liée au confinement), restrictions des libertés, dystopie,
limites de la science, le bonheur utilitaire, transformation des relations humaines
sont quelques-uns des thèmes dudit roman que l'humanité endure pleinement
depuis bientôt un semestre plein. A force de rester à la maison, beaucoup de
gens se sont mus en littérateur, artisan, horticulteur et bien d?autres
métiers. Face à un ennemi immonde, l'humanité apprend à son grand dam que la
science a ses limites puisque les centaines de laboratoires de recherche
répartis sur le monde développé n'arrivent pas à esquisser ne serait-ce qu'une
promesse d'un vaccin qui redonnera espoir au genre humain. Désenchantés par le
rationalisme scientifique, les plus invétérés des athées se tournent vers Dieu
qu'ils implorent de tout leur désespoir et la voix du muezzin retentit là où
elle fut jadis irrémédiablement interdite. De grandes métropoles se retrouvent
tout à coup dépeuplées, le rationnement est de retour et la police verbalise
tous ceux qui montrent le nez au-delà des heures du couvre-feu. La foule est
décriée et l'instinct grégaire est avili comme jamais. En plus de toutes les
formes de conditionnement induites par la civilisation, les humains font
connaissance avec d'autres pratiques jamais imaginées avant. Le respect de la
distance ne concerne plus les véhicules, mais les individus désormais. La
poignée de main, l'accolade, la bise sont dorénavant risquées et le lavage des
mains au savon est le spot publicitaire le plus vu et le plus en vue. La
mondanité a sérieusement reculé ; point de festivités, point de funérailles et
les pleureuses et les troubadours crient chômage.
La convivialité a
déserté les restaurants et les cafés maures. Les salles de cinéma et les
opéras, les stades et toutes les enceintes de sport sont plongés dans la
désolation. Les temples religieux sont coupés de leurs fidèles ; ni mosquée, ni
église, ni synagogue. La religion et la culture sont remisées jusqu'à nouvel
ordre et l'on prescrit aux êtres humains un bonheur utilitaire. La vie est
devenue brusquement dystopique et Aldous Huxley
lui-même aurait du mal à se retrouver parmi ces millions de personnages sortis
tout droit de son œuvre majeure.