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Pendant ce confinement mondial, les ventes de pizzas, des
jeux vidéos, des masques et
des locations de films en streaming ont explosé. Cependant, même si on espérait
que cela aurait été plus massif, les lectures de livres ont tout de même
augmenté en nombre relatif, non seulement pour ceux qui en ont toujours été les
adeptes mais aussi pour un nombre inattendu de nouveaux lecteurs. En cette
période prospère pour la lecture nous avons souvent entendu dans les médias des
personnalités ou des anonymes nous dire leur spontanée et irrésistible envie de
lire ou relire La Peste d'Albert Camus pour des raisons qui n'ont échappé à
personne. Après l'avoir relu au début du confinement, comme beaucoup à travers
la planète, me voilà à relire par le hasard du choix du doigt qui défile sur
l'étagère des livres, le troisième volet de la célèbre trilogie de Mohammed
Dib, Le métier à tisser. Et tout d'un coup au cours de la lecture, sans y avoir
prêté garde lors du choix, une très inattendue association s'est incrustée dans
mon esprit. Elle naquit à partir du souvenir d'un fait datant d'une trentaine
d'années à Oran. Et peut-être plus, car si ma mémoire est certaine sur le
nombre de décennies, elle ne localise pas exactement l'année. Je m'en vais vous
raconter ce lien surprenant.
Un jour, j'étais retourné à Oran comme tous les étudiants partis à l'étranger le faisaient de temps en temps. Arrivé en début de soirée à la maison, je sortis au bout d'un moment pour aller faire un tour dans ce quartier qui manque tant à ceux qui le quittent pendant de longs mois. Le phénomène n'a pas été immédiatement perceptible par mon esprit. Puis, petit à petit, j'entendais un bruit inhabituel en Algérie. Habituellement, il était toujours recouvert par d'autres bruits, en tous moments de la journée, que ce soit dans les rues ou à travers les fenêtres des habitations oranaises. Raison pour laquelle on ne l'entendait en principe que la nuit. Ce bruit était celui de mes chaussures qui claquaient sur le pavé. L'évidence commençait à se dessiner au fur et mesure que j'avançais, celle de me rendre compte que j'étais seul dans les rues ou presque. Que s'était-il passé ? Un silence assourdissant comme celui d'une ville bombardée et désertée par ses habitants. Les pas continuèrent à résonner et la mémoire à se réveiller davantage laissant place à un souvenir de lecture, le plus évident en cette circonstance. Dans le roman de Camus, le docteur Rieux arpentait la ville morte d'Oran où l'on ne rencontrait que les cadavres des pestiférés. De retour à la maison, j'avais alors demandé ce qui se passait dans le quartier. Une voix me répondit, sortie d'un visage stupéfait que je ne le sache pas : « Mais voyons, c'est l'épisode de Dar El Sbeitar, on ne voulait pas te retenir car on savait que tu n'avais vu aucun épisode et que tu voulais retrouver la ville après tout ce temps ». Voilà mes chers lecteurs ce qui fut pour moi ce lien que vous aviez du mal à vous imaginer au départ de cette chronique. En une seule soirée, j'avais vécu un confinement à Oran provoqué par une association entre La Peste de Camus et le magnifique livre de Mohammed Dib, Dar El Sbetar (L'incendie). Deux auteurs que je retrouve trente ans après, avec les mêmes circonstances qui les relient (dans le sens du verbe lire comme celui de relier). J'aurais l'occasion, dans une chronique qui suit, de vous parler d'une autre évocation que le livre de Mohammed Dib a fait renaître en moi. Finalement, un confinement et deux livres, c'est l'assurance que les Grands s'associent toujours aux moments significatifs d'une vie et d'un lieu. Ce fut Oran pour cette fois-ci. |
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