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D'abord,
il y a l'exigence de tout raconter. C'est un travers
et une exigence que nombre d'Algériennes et d'Algériens partagent. Quand il
s'agit d'évoquer l'Algérie et son actualité quelle qu'elle soit, il faut que
tout soit dit depuis le début quitte à se lancer dans de longs développements
historiques. Cela se vérifie souvent pendant les colloques ou les tables-rondes
concernant le pays. Combien de fois ai-je entendu tel ou tel orateur commencer
son intervention par un état des lieux de la situation coloniale avant d'entrer
(parfois très tardivement) dans le vif d'un sujet bien plus contemporain. Et
si, d'aventure, quelque chose manque dans l'exposé (événement, repère
chronologique), la salle saura le rappeler.
Je m'inclus sans peine dans la généralisation qui précède et qui suit. Nous sommes obsédés par la nécessité du récit complet, détaillé à l'extrême et contextualisé avec un souci méticuleux du détail. Pourquoi ? Parce que nous considérerons que c'est cela le récit du « vrai ». On en guérit mais il faut en avoir conscience. Dans la rédaction d'un texte ou d'un livre à propos de l'Algérie, j'ai (douloureusement) appris à ne pas me faire confiance. Il y a en face de moi un écriteau qui dit :« concision ! il faudra sabrer, charcuter, couper à l'extrême et sarcler ». Dans ce genre d'exercice, le parfait est nécessairement incomplet et réducteur. Ensuite, vient le rapport narcissique à la France. Que disent-ils de « nous » ? est la question-clé. Encore adolescent, j'avais intériorisé le fait qu'un article sur l'Algérie publié dans Le Monde, Le Nouvel Observateur, Paris-Match ou même France Soir déclenchait une agitation générale, chacun y allant de son commentaire. Quatre décennies plus tard, nous en sommes au même point. En pire. Si l'historien Benjamin Stora diffusait aujourd'huisa série Les Années Algériennes, il provoquerait un tsunami de réactions dans les réseaux sociaux. Et on aurait droit à toutes les diatribes possibles doublées des inévitables propos complotistes. En suivant avec consternation la bronca ? parfois très haineuse - qui a suivi la diffusion du documentaire du journaliste Mustapha Kessous (*), j'ai réalisé que l'un des pires cocktails qui soit est la combinaison de cette exigence d'exhaustivité et la surréaction pavlovienne à tout ce qui se dit, se publie ou se diffuse en France à propos de l'Algérie. Un documentaire est un point de vue. Il y a un angle. On peut aimer ou pas mais on ne peut exiger qu'il dise tout, qu'il explique tout. Le Hirak n'est pas capturable en 72 minutes, ce serait mission impossible. Et il n'y aurait rien de pire que de proposer au spectateur un exposé des motifs ou un article encyclopédique. Sur ce sujet, chaque journaliste aura son point de vue sur la question de l'angle, du traitement et du mode de narration. Et aucun choix ne sera totalement satisfaisant. Beaucoup de gens sont contents de ce qu'ils lisent ou regardent parce qu'ils y retrouvent ce qu'ils pensent et croient. Si leur cahier des charges n'est pas respecté, c'est l'hallali. Or, ce qu'il y a d'intéressant c'est aussi, et surtout, ce qui nous dérange, ce qui ne colle pas à notre schéma habituel de pensée et d'évaluation des situations. Ce qui bouleverse nos certitudes. Dans le documentaire de Kessous, plusieurs personnes abordent la question de la frustration sexuelle et de ses conséquences. Cela a indisposé nombre de spectateurs. Dans un monde idéal cela devrait pourtant permettre d'ouvrir un débat, fut-il limité aux réseaux sociaux. Mais non, les condamnations se sont multipliées et l'on pouvait presque entendre le bruit des chaînes mentales qui entravent la liberté de pensée de ces contempteurs pudibonds. Maintenant, il convient de poser la question essentielle : pourquoi un documentaire diffusé par une télévision française pour un public français (même si chacun sait que cela sera regardé au pays) provoque-t-il autant de passions en Algérie ? La réponse n'est pas simple. Mais il y a des pistes. Premièrement, le narcissisme national pousse à penser que le documentaire est d'abord (et uniquement ?) destiné aux Algériens. Que c'est un message transmis par l'ancienne puissance coloniale et que cela entre certainement dans un schéma stratégique qui n'a rien à voir la programmation ordinaire d'une chaîne de télévision. Deuxièmement, comme cela vient de France, cela provoque nécessairement des réactions épidermiques. Lesquelles, hélas, mille fois hélas, sont bien moins importantes quand une télévision algérienne diffuse un « débat » où le Hirak est qualifié de complot ourdi en France (encore elle...). J'aurais ainsi aimé que naisse une bronca comparable en raison du fait que, de sa prison, Karim Tabou n'a pas le droit d'appeler les siens. Voilà un vrai sujet d'indignation. Mais là, silence radio pour beaucoup de e-hirakistes ou hirak-clickistes. Troisièmement, il est temps d'arrêter de n'attendre de ce qui vient de France que des choses gentilles et positives. On a le nationalisme ombrageux mais on est fiers comme Artaban quand un compliment traverse la Méditerranée. Et si ce n'est pas le cas, c'est le drame. Un peu d'indifférence ne ferait pas de mal. Peut-être que si le Hirak l'emporte et que nos télévisions ne sont plus aux ordres, alors les polémiques algéro-algériennes prendront le pas, signalant ainsi l'avènement d'une sensibilité moindre. Le plus fatiguant dans tout cela est cette obsession permanente du complot. Pour le régime, le Hirak est une machination de la main de l'étranger. Pour certains de ceux qui n'ont pas apprécié le documentaire de Kessous, ce film est un complot destiné à discréditer et à abattre (excusez du peu) le Hirak. Comment expliquer à ces gens que, non, l'Algérie n'est pas au centre du monde. Qu'il existe des centaines de millions d'êtres humains qui ont une vague d'idée de ce qui se passe chez nous (la réciproque étant vraie aussi). Bref. Un documentaire n'est qu'un documentaire. Il y en aura d'autres. Il faudra qu'il y en ait d'autres. Mais, en attendant, tant d'hystérie ne peut qu'interpeller. (*) Algérie, mon amour, diffusé sur France 5. |
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