Peut-on
considérer la fatwa de la commission du ministère des Affaires religieuses et
des Wakfs, à propos de la non-déclaration d'un cas de
Covid-19, comme une forme d'incitation à la délation qui pourrait conduire à la
création d'un climat de suspicion social ? La fatwa en question, qui juge que
tout cas de contamination au nouveau coronavirus qui serait consciemment caché,
ou non déclaré, était un acte religieusement proscrit, jugeant qu'il était
impératif d'en informer les autorités compétentes, doit bien s'inspirer d'une
interprétation religieuse, on doit bien le croire même si aucun argument n'est
ajouté dans ce sens, mais elle se prête également à l'évaluation de ses conséquences
sociales afin de peser sa pertinence. Quand il s'agit de
l'individu ou ses proches, qui ne déclarent pas un cas de maladie contagieuse,
et qui mettent ainsi en danger leur propre vie et celle d'autrui, on peut
comprendre la condamnation d'un tel comportement, pas seulement sur le plan
moral ou religieux mais également celui de la responsabilité pénale (la mise en
danger de la vie d'autrui réprimée par la loi), mais on n'est pas loin de
l'instauration d'un climat de suspicion, sinon en plein dedans, quand le cercle
de cette condamnation s'élargit à d'autres personnes. La décision est
individuelle et familiale d'opter pour une consultation des spécialistes si
l'on suspecte l'apparition de symptômes du coronavirus, pour se soumettre
impérativement au confinement sanitaire et au traitement. Donc, il est très
juste de considérer que «quiconque vient à taire son atteinte (au Covid-19)
entraînant ainsi la contamination d'autres personnes aura commis un péché»,
mais pour déclarer complice de cet acte proscrit celui qui en est «informé» et
omet de le déclarer, le pas est difficile à franchir pour moult raisons
objectives. D'une part, les gens ne sont pas habilités à
juger qui a le coronavirus et qui ne l'a pas, puisque seul un spécialiste peut
rendre sa conclusion là-dessus, lui-même, pas avant d'avoir en main les
résultats des analyses, et d'autre part, cette forme de «coopération»
recherchée à travers le signalement de cette maladie infectieuse dont on a été
« informé » d'une manière qui ne peut être que vague et incertaine, puisque ne
reposant sur aucun diagnostic scientifique, déboucherait inévitablement sur une
alarme digne d'un état de guerre. On est, déjà, assez éprouvé par cette
terrible maladie pour ne pas en rajouter un quelconque autre malaise social. Ne
doit-on pas de ce fait limiter cette fatwa aux seules personnes concernées par
la maladie et à leurs proches ? Toute la société doit s'impliquer dans une
lutte commune contre la propagation de la pandémie du coronavirus, c'est une
certitude immuable, mais cela fait appel, dans ce cas précis, au civisme et à
la conscience de chaque individu. Et puis, cette fatwa à propos de la
non-déclaration de la maladie aux autorités compétentes ne devrait-elle pas
s'élargir pour toucher également ceux qui ne respectent pas le confinement, cet
autre vecteur de risque de propagation de l'épidémie, et inciter les gens à se
surveiller entre voisins ? Effectivement, la ligne est mince qui séparerait la
recherche du bien commun et la surveillance abusive des autres. Relevons que la
même fatwa proscrit l'organisation des tables d'Iftar
durant le Ramadhan mais évite soigneusement de parler de la prière des tarawihs qui rassemble des milliers de fidèles.