La décision
est tombée comme un couperet : confinement total pour la population de la
wilaya de Blida pendant 10 jours ! Ceux qui étaient dehors ne savaient encore
rien, mais ceux collés à leurs téléviseurs ou observant le confinement
volontaire ont appris la nouvelle, souvent avec grand effarement bien que la
chose fût prévisible. Aussitôt, la nouvelle se répandit à travers toutes les
villes, certains ne comprenant pas encore ce que cela signifiait exactement :
«Est-ce comme du temps du terrorisme quand on nous a encerclés pendant quatre
jours ? », me demande, plein d'effroi, un voisin. Il faut dire que lorsque la
lutte contre le terrorisme battait son plein, les services de sécurité étaient
obligés de fermer certains quartiers pendant plusieurs jours pour débusquer les
terroristes. Il a fallu beaucoup de patience pour lui expliquer que les temps
ont changé, que notre ennemi, aujourd'hui, est invisible et que nous devons
rester à la maison pour éviter de contracter cette maladie mortelle. Çà et là
des groupes de jeunes riaient aux éclats ou discutaient de choses anodines,
comme s'ils ne croyaient pas à la dangerosité du moment. Les plus âgés, le
visage grave et la voix chevrotante, commentaient les dernières décisions des
autorités publiques, certains pour et d'autres contre. L'un d'eux affirme qu'il
fallait arriver à cette mesure pour éviter une propagation du virus qui nous
menace tous, car l'Etat a lancé des appels incessants aux citoyens pour leur
demander de rester chez eux, mais l'appel a été entendu par un trop petit
nombre. Les gens continuaient à vaquer à leurs occupations comme si de rien
n'était, dans une promiscuité inconsciente, se serrant la main sans aucune
précaution et ne se lavant même pas les mains comme préconisé par les
spécialistes de la santé. D'autres, par contre, pestaient contre le fait d'être
obligés de rester à la maison, de ne pouvoir aller où ils voulaient, arguant du
fait que le gouvernement faisait seulement peur aux citoyens. Les inanités et
les paroles inconscientes sont légion et rares sont ceux qui comprennent
vraiment ce qui se passe en Algérie et à travers le monde. Ce n'est que vers 11
heures du soir que le silence s'abattit sur notre quartier et que nous avons pu
dormir. Au matin du premier jour de confinement total, hier mardi, une date qui
restera gravée dans nos esprits, les muezzins sont les premiers à se rendre
dans les mosquées pour l'appel à la prière du matin, en ajoutant à la fin
?veuillez faire la prière chez vous'. Des voitures commencèrent à circuler, peu
mais il y en avait quand même, de sorte que nous nous sommes demandés si ce
n'était finalement qu'un mauvais rêve. Avec la levée du jour, les voitures et
les piétons devenaient plus présents, mais nous avons ensuite remarqué que
nombre d'entre les véhicules revenaient après avoir été arrêtés au premier
contrôle et que ceux qui étaient à pied s'étaient rendus juste chez le boulanger
ou chez le pâtissier (heureusement ouverts) pour s'approvisionner. De petits
groupes (encore !) se sont formés à l'intérieur des quartiers et discutaient,
faisant fi des recommandations obligatoires des pouvoirs publics et sanitaires.
Les épiciers ont commencé à ouvrir leurs magasins et nous pouvions trouver
presque tout, sauf la semoule et quelques produits. Retour à la maison après
avoir acheté quelques croissants chauds mais le cœur n'y était pas, une
angoisse commençait à nous étreindre le thorax et l'envie d'aller ailleurs
commençait à tarauder l'esprit. Pourtant, cela fait quatre jours que,
personnellement, je restais à la maison dans un confinement volontaire, avec
juste quelques sorties pour des achats mais quand cela est devenu obligatoire,
il était difficile de s'y conformer. Des pensées sinistres commencent à
traverser nos esprits et chacun se terrait dans son coin pour éviter de parler.
De temps en temps, c'est la fenêtre qui nous appelle pour voir ce qui se passe
dehors, parfois nous cherchons les dernières infos à travers les canaux de
télévisions ou sur internet, puis, fatigués dès la matinée, c'est le lit ou le
fauteuil ou encore la cuisine pour revenir au point de départ, sans avoir
vraiment rien fait. L'attente s'annonce déjà longue et le stress commence à
faire des ravages. Un voisin sexagénaire chauffe sa voiture et annonce qu'il
veut faire un petit tour en ville «juste un petit tour et je reviens»,
pourtant, en temps normal et étant retraité, il ne bougeait de chez lui que
vers 10 h alors qu'hier il était déjà dehors à 8 heures du matin. Il y avait
aussi foule devant les commissariats où les gens faisaient la chaine pour se
faire délivrer des autorisations de circuler, pour des raisons parfois
farfelues, parfois réelles, mais ils étaient vraiment nombreux.
Sur les
réseaux sociaux, un habitant de la ville de L'Arba
pestait contre les aléas du découpage administratif et faisait remarquer que L'Arba se trouve à plus de 30 km du chef-lieu de la wilaya de
Blida et était concernée par la mesure de confinement total alors que Koléa par exemple qui n'est éloignée que de quelques
kilomètres n'y était pas soumise car faisant partie de la wilaya de Tipaza.
Mais, quoi qu'il en soit, ce n'est que le premier jour, il reste encore neuf
autres et tout le monde espère que le cauchemar sera fini. Enfin, il y a
heureusement le téléphone qui nous permet de discuter avec nos amis et nos
parents et qui nous donne quand même l'impression que nous sommes allés quelque
part.