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Livres
LES FEMMES DU PROPHÈTE. Essai de Houria Abdelouahed. Koukou Editions, Cheraga/Alger 2019, 282 pages, 1 200 dinars Khadîja («La meilleure des femmes»), Sawda, Aïsha, Hafsa («La gardienne du Coran»), Zaïnab (fille de Khuzaïma... «La mère des pauvres»), Hind, Zaïnab (fille de Jahsh), Juwaïriya, Ramla, Safiya, Maïmuna..., un total de sept épouses successives. Certaines d'entre-elles devinrent Mères des croyantes. On a eu aussi des concubines comme Raihanna et Maria la Copte... des femmes épousées mais dont le mariage n'a pas été consommé..., et d'autres qui furent demandées mais ne devinrent jamais épouses. On a les filles : Zaina, Ruqaya, Oum Kalthûm et Fatima. On a... On a... L'auteure, comme elle l'écrit en conclusion de son ouvrage, a «cheminé avec ces femmes». Elle s'est installée dans leur vie, dit-elle, lisant dans les textes les élisions du récit, le blanc, l'anesthésie de pensée ou l'absence d'affect, s'arrêtant sur les contradictions qui jalonnent cet immense corpus qui n'est autre que la fabrique de l'histoire arabo-musulmane. Elle réinscrit ces femmes «dans une dimension humaine, subjective». Une conclusion défendant et illustrant la femme dans sa vie, dans son existence et ses engagements et dans ses combats..., la femme mère, épouse, fille, légende ou réalité, une réalité certes douce en apparence, mais aussi violente et cruelle..., qui lui fait dire que «notre malheur a commencé bien avant Daech». L'Auteur : Psychanalyste, maître de conférences et traductrice. Auteure de plusieurs ouvrages, dont trois en collaboration avec Adonis. Extraits : «Triste est le destin d'une captive. Un voile épais tombe sur sa vie antérieure. Des pans entiers de son existence ne seront plus soulevés, demeureront engloutis ou ensevelis dans un présent opératoire qui renie les palimpsestes de la mémoire» (p 88), «La construction de la nouvelle Cité impliquait la chute d'autres Cités et d'autres empires. Mais à ces femmes on enleva, dans l'écriture de leur histoire, la possibilité même de pleurer leurs êtres chers. Elles, qui perdaient liberté, dignité, famille et biens, se trouvaient enfermées dans des discours qui les dépouillaient même de leurs éprouvés et de leurs pensées» (pp 88-89), «L'adoption d'une nouvelle religion n'allait pas sans déchirement, sans angoisse et sans culpabilité» (p 93), «Espace où se jouent les frivolités jusqu'à la niaiserie, le harem est aussi le lieu des batailles les plus cruelles pour qui saura le mieux assouvir le désir de l'homme. On ne cache pas les hostilités ni les alliances... La polygamie alimente le sentiment de haine entre les femmes. Chaque femme devient une ennemie à exterminer...» (pp 206-207). Avis : Se lit comme un roman. Mais, impression d'un ouvrage «construit» et écrit à la va-vite. Dommage, car très bien documenté sur l'univers des femmes de l'époque..., et, surtout, sur l'importance et l'influence de la femme... hier, aujourd'hui. Citations : «La rencontre de l'orphelin et de la femme puissante ne cessera de hanter l'imaginaire arabe et musulman» (p 15), «Guerres et épousailles. Sur le sol arrosé du sang des humains, on plante des tentes pour les nouveaux mariages. Le mari est mort ! Vive le mari !» (p 119), «On dit que les Arabes n'ont pas écrit de tragédies. Toute leur histoire est une immense tragédie» (p 191), «Lorsque la violence devient éloquence du discours, lors que le langage se fait attaque de l'autre et refus de l'altérité, il se perd» (p 270) LES CALIFES MAUDITS. LA DÉCHIRURE. Essai de Hela Ouardi. Koukou Editions, Cheraga/Alger 2019, 234 pages, 1 200 dinars Chose promise, chose due. De toutes façons, elle ne pouvait faire moins que tenir sa parole de bon chercheur : à la fin de son premier ouvrage, elle avait annoncé une suite... Une suite ? Celle de la naissance du premier califat de l'Islam, une institution unique et inéditée, inventée il y a quatorze siècles. Celle des quatre califes, les «bien guidés» qui ont poursuivi sa geste (Abû Bakr, ?Umar, ?Uthman et ?Ali) ?... Un livre qui propose une reconstitution historique détaillée de cette genèse qui a duré les jours et semaines qui ont suivi immédiatement la mort du Prophète. Grâce à une exploration philologique des sources de la Tradition musulmane (sunnite et shî'ite... qui «concordent presque toujours dans leur description des événements») et une mise en forme qui rassemble les récits atomisés de la Tradition dans un ensemble unifié (avec toujours des précisions quant aux sources «isolées» ) L'auteure est catégorique : son récit ne veut pas dire «fiction». «Rien, absolument rien dans ce livre n'est inventé..., tout ce j'ai trouvé, ajoute-t-elle, existe bel et bien dans les sources les plus vénérées, mais est négligé par la mémoire collective». Les faits, les dialogues, tous les détails, jusqu'au portrait physique des protagonistes, sont exclusivement tirés de la littérature musulmane traditionnelle et canonique. Les protagonistes sont tous des figures majeures de l'islam naissant : Abû Bakr, le plus proche Compagnon, ?Umar, son second «impétueux et violent», ?Ali, le gendre bien aimé, Fâtima, la «fille chérie au destin funeste», qui lancera une terrible malédiction à ses spoliateurs, les futurs premiers califes. «Entre tous ces personnages hauts en couleurs se noue une véritable tragédie grecque aux conséquences durables. Car, au-delà des querelles de personnes, c'est bein le destin de l'islam et, par conséquent, du monde entier qui se joue» Un récit accompagné d'une grande masse de notes (26 pages) et une riche bibliographie : Sources arabe (de la Tradition et contemporaines) + une bibliographie générale sélective. La traduction française du Coran utilisé est celle de Masson, D. (Gallimard, «La Pléiade», 1967) L'Auteure : Professeure de littérature et de civilisation française à l'université Manouba de Tunis. Chercheuse associée au Laboratoire d'études sur les monothéismes du Cnrs (Paris). Déjà auteure des «Derniers jours de Muhammad. Enquête sur la mort mystérieuse du Prophète» (présenté in Médiatic en décembre 2018. Un ouvrage alors en vente libre... seulement au Liban, en Tunisie et en Algérie... et une «tentative» de saisie a eu lieu lors du Sila de l'époque. Elle a, heureusement, échoué. ) Extraits : «Raconter l'histoire des premières années de l'islam est une manière pour moi de réanimer une mémoire collective fossilisée par une amnésie générale et confisquée par des forces obscures qui, sous couvert de glorification du passé de l'islam, l'ont transformé en machine de guerre» (p 13), «Deux groupes s'apprêtent à s'affronter pour la possession du pouvoir. D'un côté, les Emigrants conduits par Abû Bakr et ?Umar ; tous issus de la tribu de Quraysh... De l'autre, les Ansârs...» (p 33), «Bien avant l'avènement de l'islam, les Qurayshites jouissaient déjà d'un prestige inégalé parmi les tribus arabes. Gardiens depuis le Vè siècle du sanctuaire de la Ka'ba à la Mecque, ils détenaient ainsi un prodigieux capital symbolique qui générait aussi un profit matériel ?le pèlerinage était déjà à l'époque une juteuse opération» (p 77), «Les hommes présents ce jour-là à la saqîfa sont quasiment tous des commerçants et la négociation politique prend vite des allures de marchandage. Les adeptes de la religion du commerce jettent les bases d'un nouveau négoce : le commerce de la religion» (p 85), «Dans la saqîfa, ce n'est pas seulement deux clans qui s'affrontent mais deux conceptions différentes de l'autorité politique : l'une horizontale, l'autre verticale» (p 93), «La réunion de la saqîfa conclue et achevée dans la mosquée aura été la genèse d'une autorité politico-religieuse centralisée inédite qui va tenter de stabiliser le pouvoir en Arabie par l'utilisation d'un paramètre totalement nouveau : le sacré. L'islam a profondément changé la nature des Arabes ; il a métamorphosé et façonné cette matière brute» (p 117) Avis : Une véritable recherche qui a réussi à réunir les morceaux «éparpillés» d'un puzzle pour en faire des scènes et des portraits vivants, reliés par le fil d'une narration chronologique suivie. Un livre qui rompt avec la légende et avec tout parti pris idéologique. Un livre qui s'est bien vendu lors du dernier Sila..., et après. Des bio-express des principaux protagonistes en début d'ouvrage... Des notes à profusion. Et, une bibliographie très fournie dont les sources arabes, de la Tradition, et contemporaines. Citations : «L'orateur de la tribu est souvent accompagné de poètes dont les vers font le plus grand effet sur l'esprit arabe, très sensible au pouvoir persuasif de l'éloquence et à l'autorité de la parole. Ces vers, repris et diffusés, exercent une influence déterminante sur l'«opinion publique» de l'époque» (p 70), «La rumination des haines du passé aura été le canevas sur lequel s'est tissée la négociation politique, inscrivant la division dans le «programme génétique» de la communauté musulmane... Le spectre de la déchirure n'a jamais été conjuré ; il reste là, tapi, à l'état larvaire. Il grandira d'une manière souterraine et éclatera vingt-quatre années plus tard dans une guerre qui divisera irréversiblement les musulmans entre sunnites et shî'ites» (pp 110-111), «Né à l'ombre de la saqîfa des Banû Sâ'ida, le pouvoir du premier calife de l'islam, ombre de Dieu sur terre, grandira à l'ombre des sabres...» (p 186) |
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