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Officiellement,
il n'y a pas de films interdits en Algérie. La liberté de pensée et
d'expression est garantie, nous rabâche-t-on à satiété. Les faits cependant
contredisent ces affirmations péremptoires.
Interdictions, blâmes, condamnations et atteintes à la liberté de pensée et d'expression se banalisent et se multiplient, pour des raisons fallacieuses le plus souvent. Nul n'est épargné, pas même nos grands artistes qui surfent en vain pour échapper aux diktats de minables bureaucrates zélés autoproclamés, maîtres à penser des artistes et des créateurs. On se souvient encore du duo (Hadj Abderrahmane/Yahia Benmabrouk-Inspecteur Tahar/l'Apprenti), profondément affecté par le blocage de Lektouta (Les Chats) réalisé en 1979. Athmane Ariouat, notre illustre auteur de Carnaval fi Dachra, a subi la même déception avec Chroniques des années de pub, banni des écrans en 2008 en raison des «risques de mauvaise lecture par le public». Cette production satirique, toujours sous scellés, malgré l'obtention du visa d'exploitation, n'a que très peu de chance de voir le jour : Ariouat y campe le rôle d'un général mégalomane de l'armée... La liste des victimes de l'intégrisme culturel ne cesse de s'allonger, tout autant que celle des œuvres euthanasiées sans discernement avant ou durant leur gestation et celles projetées en catimini à des heures indues. Que dire alors des films qui subissent dans la discrétion absolue l'autocensure douce et efficace, administrée par les auteurs eux-mêmes ? La loi 11-03 du 17-02-2011, censée mettre de l'ordre dans notre no man's land cinématographique, n'a fait qu'amplifier le zèle des apprentis censeurs qui ont redoublé de férocité. Désormais, aucun réalisateur n'est immunisé contre les effets pervers de cette chape de plomb arbitraire qui s'abat sans discernement. La nouvelle génération de cinéastes en fait les frais. L'auteur de Khouya et Khti, Yanis Koussim, qui a longtemps assisté impuissant au verrouillage total de son premier long métrage Alger by night, en sait quelque chose. Son scénario validé et approuvé par le Fonds d'aide cinématographique (Fdatic), ayant rencontré moult obstacles, Koussim a dû recourir à des mécènes étrangers et au crowdfunding (financement participatif) pour mener à bien la postproduction et le montage images de son film. Projeté l'an dernier à Rotterdam... ce dernier est toujours attendu sur les écrans algériens. Mêmes déboires pour l'auteure de Mollement un samedi matin (2011), Sofia Djama, qui a longtemps patienté avant de voir Les Bienheureux programmé, très discrètement projeté en Cinémathèque. Le «Lion d'or de la meilleure interprétation féminine (attribué à Lyna Khoudri), à la 74e Mostra de Venise et le «Prix du meilleur court-métrage au 2e Festival du film de Louxor (2013)», en plus d'autres distinctions obtenues à Dubaï, aux Etats-Unis, en France et en Belgique, ont certainement contribué à obtenir le sésame algérien. Entre autres situations rocambolesques, il nous faut signaler le sort réservé à Vote Off. Ce documentaire de Fayçal Hammoun qui traite de l'élection présidentielle de 2014 est toujours interdit de visa culturel au motif d'atteinte aux symboles de l'Etat !!! Même trajectoire époustouflante réservée à Fragments de rêves de Bahia Bencheikh El Fegou. Achevé en octobre 2017 et diffusé dans de nombreux pays (Espagne, Liban, Allemagne, Cameroun et Burundi, où il a obtenu le Grand Prix du documentaire), ce film est toujours non toléré dans son pays. Son crime : avoir osé donner la parole à quelques citoyens liés aux mouvements sociaux en... 2011. Banni également de nos écrans, A mon âge, je me cache pour fumer, de Rayhana Obermeyer, adapté de sa pièce éponyme, pour... « Atteinte aux symboles de la révolution ». Le 7e art algérien, un véritable no man's land ! Avant même que la commission de censure du ministère de la Culture n'émette son avis, le biopic consacré à l'une de nos plus grandes figures emblématiques, Larbi Ben M'hidi, réalisé par Bachir Derraïs, accepté par la commission de lecture du Fdatic et financé par l'Etat avec, de surcroît, le soutien du ministère des Moudjahidine, a été mis sous scellés. Derraïs dira à ce propos : «Le scénario du film Ben M'hidi que je porte à bras-le-corps depuis 5 ans a été écrit en totale liberté par 2 scénaristes connus, Mourad Bourboune pour la première version et Abdelkrim Bahloul pour la deuxième, qui a resserré le scénario au seul territoire algérien et sur l'histoire de la famille Ben M'hidi. Ce film n'est pas une commande du ministère des Moudjahidine, comme c'est le cas pour Ben Boulaïd, Krim Belkacem ou Le Colonel Lotfi réalisés par Ahmed Rachedi. Le ministère des Moudjahidine est associé à la production de ce film à 42%, que j'ai initié moi-même. C'est un montage financier classique et le producteur délégué, responsable et garant financièrement de la bonne fin du film, c'est moi.» Papicha vit depuis quatre mois un véritable calvaire. Le succès retentissant obtenu à Cannes (Section Un Certain Regard) et la sortie que l'on peut qualifier d'extraordinaire en France, dans plus de 155 salles, depuis le 9 octobre dernier, en Belgique, au Brésil et en Amérique (Colcoa), ne lui ont pas épargné l'épée de Damoclès. Financé en partie par le ministère de la Culture et disposant d'un visa d'exploitation en bonne et due forme, cet « hymne à la vie, à la tolérance et à la dignité humaine » est toujours en stand-by dans son propre pays, alors que rien dans le contenu ne peut justifier sa mise en quarantaine. «C'est ainsi qu'en Algérie, on récompense nos jeunes talentueux artistiques» dira, ironiquement, Belkacem Hadjadj, le coproducteur algérien. Et la réalisatrice de poursuivre : «Ce film parle de nous et ça me fait mal de ne pas le partager avec les miens.» Le blocage décidé la veille de l'avant-première et de la sortie nationale, ajoute à la stupéfaction. «C'est frustrant de ne pas savoir pourquoi les Algériens ne peuvent pas voir un film qui parle d'eux, de leur survie de leur espoir», précisera la jeune Lynda Khoudri qui, après Venise, a décroché le prix de la meilleure actrice au Festival international du film «East and West Classic» à Orenburg, en Russie. «Ce film ne fait que relater une période très sensible, dont beaucoup n'ont jamais fait le deuil», poursuivra la scénariste et réalisatrice dépitée, qui n'a fait que relater sous forme de fiction le quotidien délétère d'un groupe d'étudiantes battantes, pleines d'énergie et de vitalité ayant survécu aux soubresauts sanglants de la «quinzainie» noire. Si, pour certains, cette suspension n'est que le symptôme d'une indigence culturelle crasse, à tout le moins une faute grossière non assumée, pour d'autres, au contraire, elle est le signe révélateur d'une fascisation rampante. En sanctionnant la réalisatrice et ses comédiennes, les (ir)responsables culturels, chargés en principe de la promotion des œuvres culturelles, ont voulu punir les militantes et militants du hirak qui avaient décerné une «Palme d'Or» salvatrice à l'équipe artistique ». Mais, peine perdue pour ces éradicateurs en herbe ! Le film, asphyxié localement, a représenté l'Algérie dans la course internationale aux Oscars qui viennent de se tenir aux Etats Unis. Sacrifié sur l'autel de la bêtise en Algérie, Papicha, d'ores et déjà acheté par plus d'une vingtaine de pays, poursuit son bonhomme de chemin en additionnant distinctions et prix prestigieux à l'échelle internationale : Angoulême, El Gouna (Egypte), Fameck, Carthage... Il a remporté un prix humanitaire de « International Press Academy », le mois dernier. Il fait salle comble partout et tout récemment, il y a 2 semaines à l'Olympia de Paris, à la 25e cérémonie des Lumière de la presse internationale, manifestation retransmise sur canal+. « Nous avons été frappés par le destin et la force des personnages qui nous rappellent que l'optimisme, la passion, le courage et la résistance sont les armes les plus puissantes pour défendre la démocratie et la liberté », a déclaré Scippa-Kohn au magazine Variety. Ce dernier, distributeur va se charger d'assurer la diffusion de Papicha, dès l'automne prochain dans toute l'Amérique. L'imagination et l'énergie créatrice face aux foudres des esprits bien pensants L'absence incompréhensible sur nos écrans de nombreuses productions filmiques unanimement saluées par la critique internationale laisse perplexe. Approuvées par des commissions officielles et financées ou cofinancées par le Trésor public, ces œuvres de l'esprit, qui ont exigé de gros investissements, d'importants sacrifices et des mois, voire des années de labeur, sont parfois bloquées sur simple injonction téléphonique. Nul n'a le droit de cadenasser et d'emmurer des films dont la vocation première est de circuler librement. L'artiste est libre de s'exprimer et de donner sa vision du monde et tout un chacun est libre de l'apprécier ou non. Seul le contribuable est juge en la matière. Se substituer à lui, penser et choisir à sa place, revient à le considérer comme inapte au discernement. Les professionnels de la culture n'ont pas attendu le 22 février pour réagir contre ce mal endémique qu'est la pensée unique qui a fini par tétaniser tous les secteurs d'activité. Prenant à témoin l'opinion publique, ils n'ont eu de cesse de dénoncer la censure omniprésente et omnipotente, mais aussi les dysfonctionnements, l'arbitraire, les abus de pouvoir, le favoritisme, la gabegie financière et les pressions de toutes natures. La cécité et la surdité n'étant pas toujours d'origine organique, les signaux de détresse et les appels au secours sont demeurés vains. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on constate, avec amertume, une recrudescence et une accentuation des comportements délictuels. Il y a urgence à libérer le secteur cinématographique de toutes les entraves, de toutes les tutelles et des querelles intestines qui le minent. Pour ce faire, un livre blanc s'impose. L'exigence de transparence nous oblige à prendre acte de tous les dépassements et abus flagrants, de revoir les structures, centres, organismes, conseils et commissions érigées à la hâte par un ministère de la Culture de plus en plus sinistré. Une concorde blanchisseuse n'étant guère envisageable, les responsables du naufrage de la création intellectuelle, culturelle et artistique dans notre pays devraient faire l'objet de sanctions exemplaires au lieu de bénéficier de scandaleuses promotions. L'impunité ne libérera en aucune façon l'imagination et les énergies créatrices. Ce plaidoyer devrait nous permettre de nous acheminer vers de véritables états généraux du cinéma. Les multiples dysfonctionnements devraient faire l'objet de débats sereins et sans tabou. La crise endémique est aujourd'hui à son paroxysme. Le temps de la transparence est venu. La nouvelle génération d'artistes, d'écrivains, d'intellectuels, de poètes et d'humoristes qui témoignent de talents de créativité et de dons prodigieux n'acceptera jamais que l'on dégrade ses ambitions et encore moins qu'on la force à l'exil. * Je ne souhaite à personne de vivre mon parcours cinématographique, jalonné d'interdits et de censures arbitraires. Je ne cite que : Lazem. Lazem ! (une réflexion métaphysique sur un moudjahid) ... les uns les autres, relatif à l'immigration en Europe), réalisés et primés tous deux en Belgique, El Moutatafel (Le Parasite), (sur le Hirak version 1975), Eddoumala (L'Abcès bureaucratique), (une dénonciation des affres de la corruption... |
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