D'aucuns
auront remarqué l'absence criarde du crieur public à l'occasion des échéances
électorales. Et pour cause. Et pour cause. Les NTIC, en l'occurrence
l'infographie (affiches et flyers) et les réseaux sociaux (pages et vidéos
dédiées à la propagande), ne sont pas étrangères à cette éclipse imposée, voire
cette disparition forcée de ce média traditionnel (le plus vieux média qu'est
la rumeur, étant bien entendu toujours «en vigueur» dans ce genre d'évènement,
à travers les trolls et les fake news). La voix ténor
du crieur est aujourd'hui mise en sourdine et le vieux porte-voix a dû être
«accroché avec les oignons». Au temps du parti unique (FLN),
dans la cité des Zianides, Cheïkh
Derradji, marchand de légumes au marché couvert, puis
son disciple Hadj Bensenane, préposé à la morgue,
utilisaient un véhicule de marque Renault4, équipé d'un haut-parleur pour
diffuser des avis «partisans» à la population de Tlemcen et ses «hwaz» comme Aïn El Hout et Ouzidane, ponctués de
chants patriotiques tels que Chaabou el Djazaïri muslimoun wa ila al ûrubati
yantassib, Min Djibalina,
El hamdulillah ma bqach istiîmar fi bledna, A'amalou, nadhilou, Qalbi ya biladi,
A'amalou, nadhilou, Qalbi ya biladi,
El itihad, Nahnou toulabou el djzaïar, Chhabou el djzaïr arabi... Signalons au passage qu'à chaque évènement
électoral, des chants sont diffusés via des haut-parleurs depuis le siège de la
fédération du FLN abritée par l'immeuble Mellis
(érigé sur les vestiges de l'illustre palais royal zianide
Ksar El Bali) et c'est tout Blass et ses riverains
qui sont agressés par une pollution sonore du fait de l'overdose de décibels.
Cependant, cette fois-ci, c'est le black-out du côté des permanences, «hirak» oblige? Qui se souvient d'El Alaoui du quartier
d'Agadir avec sa démarche dandinante, alter ego de
Khaled, le non-voyant de Biskra (ce dernier utilisait un mégaphone usagé dans
ses tournées) ? Il sillonnait les artères de la ville et les ruelles des
quartiers, diffusant avec sa voix ténor distinctive des avis de recherche ou
autres informations d'intérêt public. Qui se rappelle le berrah
de Medina J'dida ? Dans certaines régions du Sud, et
à l'occasion du mois de Ramadhan, c'est le crieur public qui réveille, avec son
traditionnel tambourin, la population pour le «shour»
(ce bénévole s'appelle «saharati» en Egypte et «neffar» au Maroc). «L'Echo d'Oran», crié par les petits
vendeurs (à la criée) pendant la période coloniale est supplanté
aujourd'hui par «les sachets... en plastique !». «La Cour !» de justice
d'antan, annoncée solennellement par l'huissier, à l'instar de l'appariteur
dans un palais royal, a été remplacée par une sonnerie stridente (dans le film
turc «Harim essoltane»,
l'appariteur crie «destour !» pour annoncer l'arrivée
du sultan). L'aboyeur, quant à lui, était chargé d'annoncer les noms et qualité
des invités de marque lors d'une soirée mondaine, aidé en cela par un souffleur
attitré. Mais si les crieurs d'antan annonçaient la bonne (Ramadhan, Aïd, shour) ou la mauvaise nouvelle (décès, disparition), ceux
d'aujourd'hui, «incarnés» par les candidats, crient des promesses. Promesses
criées sur tous les toits en direction de ceux qui passent leur vie sur les
bancs publics usés ou adossés à des murs tagués de graffitis.