Le temps se compte désormais en nombre de mardis et de
vendredis en Algérie, aussi bien pour le pouvoir que pour le peuple engagé dans
le Hirak. Un calendrier plus fructueux que celui qui
a compté les ans depuis l'indépendance. Au final deux feuilles de route
concluent une période de huit mois. En passant d'une coexistence plus ou moins
pacifique aux durcissements des positions. Pour le pouvoir, personnalisé par le
chef d'état-major, les élections se tiendront (ou se tiendraient) quel que soit
le prix. Il l'a martelé dans ses derniers discours en véritable chef de
l'armée, considéré aussi comme le véritable chef de l'Etat. Pour le Hirak populaire, les élections présidentielles n'auront pas
lieu quel que soit le prix à payer. Quel est alors le prix à payer et quelles
seront ses répercussions sur l'avenir politique, sur l'avenir économique et
surtout social ? On ne peut qu'évoquer des scénarios incomplets quant à l'issue
de cette situation. Un affrontement est-il à craindre si le Hirak
perd patience et utilise sa force pour empêcher les présidentielles ? Qui l'en
empêcherait en l'absence de leaders et d'organisation ? Est-il à craindre en
conséquence une riposte plus musclée des forces de sécurité si l'on s'en tient
au discours sous-traité du Dgsn depuis Annaba,
évoquant maintes fois les « orientations du chef d'état-major », comme pour
désigner le véritable pouvoir ? Personne ne semble détenir la clé pour une fois
dans l'Histoire récente du pays dans cette situation de non-gouvernance.
Pourquoi ? Parce que les services de sécurités, cheville ouvrière du système,
se perdent à vouloir occuper tous les fronts et que leurs chefs sont devenus
aussi mobiles qu'un jeu d'échecs. Ils ne bénéficient plus de cette crainte
qu'avait d'eux la population ; la peur ayant été vaincue malgré la persistance
de quelques sceptiques, pour préserver leurs intérêts ou par accoutumance à la
soumission. Le gouvernement quant à lui, chargé constitutionnellement
d'expédier les affaires courantes, se comporte en gouvernement « légitime »
engageant le pays sur le registre de la prospective économique au mépris même
de la Constitution. Cette attitude est traduite par le Hirak
comme une poursuite de l'ère Bouteflika, d'où le « dégagisme
» repris dans les slogans du Hirak et d'où
l'association du chef d'état-major à la même « issaba
» dont il dit vouloir débarrasser le pays. Que reste-t-il comme institutions pour
une éventuelle médiation entre le pouvoir et le Hirak
? Un Parlement entaché des pratiques de la Chkara,
dont les membres sont décriés chaque jour y compris par le pouvoir qui les a
installés ? Une justice qui souffle le chaud pour obtenir le froid et coupe sa
respiration dès qu'il faut aller plus loin dans la lutte contre la corruption ?
Des partis politiques mis aux ordres ou réduits au mutisme ? L'autorité
nationale indépendante des élections née sous X des côtes du panel de Karim Younès ? La main étrangère représentée par les missions
diplomatiques et qui ne se soucie que des intérêts purement économiques ? Il
n'y a à priori aucune instance d'intermédiation crédible pour assurer un
passage en douceur de la pilule électorale.
Et voilà ce qui arrive lorsque des civils incompétents et
sans consistance appellent les militaires à la rescousse et que ces militaires
tombent dans le piège sans se soucier de la préservation de l'image de l'armée.
Les erreurs de communication nombreuses et irréfléchies, diffusées par la plus
vomie des chaînes de télévision du monde et par ses satellites privés qui
partagent avec elle la manne publicitaire de manière illégale. Ce que fera le Hirak ? Personne ne le sait avec précision et c'est sa
force. Il a plus d'un tour dans son sac. Il peut annoncer une grève générale ou
pire une désobéissance civile, ou encore appeler les Nations Unies à le
protéger en cas de danger. Le pouvoir préfère aller vers l'élection d'un
président qui, dans le meilleurs des cas, durera le
temps de s'asseoir sur un fauteuil. A n'importe quel prix ?