Article 4
du code Napoléon : « Le juge qui refuse de juger, sous prétexte du silence, de
l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi pour déni de
justice ». Dans tous les systèmes juridiques modernes, le juge à l'obligation
de prononcer un jugement, même en présence d'une lacune dans la loi. Un
principe juridique admet que la loi peut être lacunaire, mais que le droit
n'admet pas de lacunes. Nous traversons une période révolutionnaire, donc nous
sommes en présence d'un état de nécessité qui est interprété comme une lacune
dans le droit public à laquelle le pouvoir exécutif (le pouvoir politique) est
contraint de porter remède.
Il comble
les lacunes du droit. En accord avec le politique, le juge élabore le droit
positif de crise comme en temps normal. Le juge peut manifester en dehors des
heures de travail mais n'a pas le droit de se dérober à sa mission de juger.
Nos juges n'ont pas compris que l'Etat de nécessité dicte l'imposition d'une
norme donnée, parce qu'autrement l'ordre juridique existant risque de
s'effondrer ; mais il faut alors s'accorder sur le point que l'ordre existant
doit être conservé. Un mouvement révolutionnaire (22 février 2019) pourra bien
proclamer la nécessité d'une norme nouvelle abolissant les institutions en
vigueur dans le cadre de son pouvoir constituant, contraires aux nouvelles
exigences, encore faut-il que l'ordre existant doit être renversé conformément
aux nouvelles exigences du pouvoir constituant. Dans un cas comme dans l'autre,
le recours à la nécessité implique une évaluation morale ou politique (ou en
tout cas extrajuridique) par laquelle on juge l'ordre
juridique et le considère comme digne d'être conservé ou renforcé, fût-il au
prix de son éventuelle violation. Le principe de nécessité est donc toujours,
dans tous les cas, un principe révolutionnaire. La nécessité ne peut-être
réglementée par des normes précédemment établies. Mais si elle n'a pas de loi,
elle fait la loi, ce qui veut dire qu'elle constitue par elle-même une
véritable source de droit? On peut dire que la nécessité est la source première
et originaire de tout le droit, de sorte que, par rapport à elle, les autres
sources doivent être en un sens tenues pour dérivées. C'est dans la nécessité
qu'il faut rechercher l'origine et la légitimation de l'institution juridique
par excellence, c'est-à-dire de l'Etat et en général de son système
constitutionnel, quand il est instauré comme un dispositif de fait, par exemple
lors d'une révolution (celle du 22 février 2019). Dans l'Histoire des idées,
Isaïe Berlin note « ce qui se vérifie au tout début d'un régime déterminé peut
également se répéter, quoique à titre exceptionnel, et avec des caractères plus
atténués, même après que ce régime a formé et réglementé ses institutions
fondamentales ».