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Les
jeunes d'aujourd'hui, pensait-on, ne diffèrent en rien de leurs ainés des
anciennes générations, dès lors qu'ils expriment les mêmes besoins et les mêmes
aspirations.
A savoir vivre leur temps, étudier juste ce qu'il faut pour un certain nombre, trouver un job pour beaucoup et se marier pour la plupart. En vérité, le problème des jeunes n'est pas que matériel, il est plus que ça. Nos jeunes ont le «blues» et connaissent le «spleen » ! Et leurs problèmes ne se résolvent pas : 1. à coup de place dans un marché, fut-il parisien. 2. par l'attribution, au pied levé, d'un local, pour l'exercice d'un hypothétique commerce sans lendemain. 3. à coup de crédits ANSEJ, vite détournés d'ailleurs de leurs objectifs. 4. par des décisions précipitées empruntant à la démagogie et au gaspillage. Et la solution à leurs avatars ne se réglera pas à la hussarde, ni par décret, encore moins par le biais d'un miraculeux plan Marshall ! Et tous ceux parmi notamment les candidats à la candidature présidentielle qui pensent avoir trouvé l'angle parfait pour résoudre cette question des jeunes et de cette manière, feront fausse route. Pour souffler déjà, beaucoup de jeunes ont pris le parti d'arrêter les études. Une grande proportion des 16-20 ans n'est plus intégrée au système éducatif. Beaucoup de ces jeunes relevant de cette catégorie étaient déjà peu enclins à faire des études, puisqu'ils étaient déjà en plein dans le marché et le commerce informels. D'autres, franchement, n'avaient ni les aptitudes ni l'envie de continuer leur scolarité au-delà du collège. Les 16 ans et plus, sont ceux ayant raté le B.E.M et l'entrée au lycée, non sans avoir au préalable, redoublés de quelques classes. Les 20 ans et plus constituent la tranche des recalés du B.A.C et de leurs congénères qui l'ont passé et repassé, en vain. Les stages, la formation professionnelle, très peu de jeunes y pensent dès lors que les créneaux porteurs sont saturés. Ils se sont fait d'ailleurs une raison pour ne pas être comme leurs parents, des ouvriers à vie avec des salaires de misère, alors que certains de leurs amis de quartier roulent, qui en moto, qui en voiture, acquises grâce aux affaires et au business. Donc, l'école, le lycée, ils les quittent qui forcés, qui usés, mais en tout les cas sans regrets, car ces jeunes là sont encore immatures et dans l'insouciance des lendemains. Quant au système éducatif, il a bonne conscience et s'en sort quitte! Il est certes décrié, mais il continue néanmoins à remplir l'objectif républicain qui lui est assigné, à savoir : «l'école obligatoire jusqu'à 16ans. Depuis, il y a eu la libéralisation de l'enseignement avec l'ouverture des écoles et lycées privés, avec paraît-il, des meilleurs résultats et une pédagogie plus adaptée aux apprenants. Mieux que ce qui est dispensé par l'école publique aux dires des parents acceptant de faire les sacrifices qui s'imposent. Les autres, résignés pour la plupart, car pris par les vicissitudes de la vie ou monopolisés par les miracles à accomplir quotidiennement pour leur existence font encore confiance à l'école publique. Le cap du primaire passé, le gros de la masse des élèves accède au collège, grâce aux cessions de rattrapage dès la 6éme pour un grand nombre qui, en prime, quittent le primaire avec une scoliose, pour cause de cartable trop lourd et de chaise cassée ou mal ajustée. Au collège, le changement réside principalement dans l'infrastructure et les données restent les mêmes : enseignants au rabais, effectifs surchargés, programmes inadaptés, manque de professeurs de français, quand ce n'est pas ceux des mathématiques et cantines et ramassage scolaire inexistants, comme le chauffage d'ailleurs. Et à toutes les étapes, les élèves «apprennent, beaucoup plus qu'ils ne comprennent» ! Pour ceux qui rentrent au lycée, ils ne visent qu'un seul objectif : le baccalauréat et l'entrée à l'université. Le Bac acquis, les étudiants lauréats se retrouvent dans des campus «au service minimum» en matière d'amphis, de réfectoires, de chambres et de moyens de transport. Il faut faire avec, d'autant plus que beaucoup d'étudiants se contenteront d'un label «enseignement supérieur» peu significatif, au regard des lacunes qu'ils ont accumulé dans leur scolarité, dès le primaire, le collège et le lycée. Ajouter à cela, l'absence d'éléments culturels extérieurs à l'université à même de compenser la faiblesse de leur niveau, tels que les livres, les dictionnaires, les ordinateurs en nombre insuffisant etc... Dans ces conditions, à quelles connaissances, quels sujets de réflexions, les étudiants peuvent-ils accéder par eux-mêmes ? En l'absence de documents et d'ouvrages de référence? Une infime minorité est familiarisée avec les livres et une majorité n'a jamais tenue entre ses mains un quelconque ouvrage ou simple roman. Pour les exposés, un seul salut pour les étudiants : le copié- collé! Pour la majorité déjà, avoir simplement la moyenne demande des efforts titanesques. Ils ne sont pas découragés pour autant, car au bout du compte, ils sont gagnés par la certitude d'obtenir, quoiqu'il advienne, un diplôme à la valeur intellectuelle douteuse, mais socialement monnayable. Et au sortir de l'université, on se met encore une fois à poser la question à tous ces jeunes diplômés : «wech les jeunes, kech khedma ?» Et la réponse est cinglante : «l'Algérie ce n'est pas un pays pour les jeunes, c'est pour les pistonnés. Les meilleurs d'entre- nous font la queue au filet social, à l'ANSEJ ou à la mairie pour acquérir une place au marché» Ça c'est les diplômés qui parlent, les autres, les 16-20 ans qui n'ont été intégrés ni dans le système éducatif, ni enrôlés par le marché de l'emploi, se partagent la rue et se disputent les parkings sauvages. Des stages de formation professionnelle semblent réunir, néanmoins, beaucoup de suffrages, car représentant des débouchés rapides sur la vie active et des créneaux porteurs, quoique déjà saturés : informatique, électronique, infographie, comptabilité notamment. Pour les autres c'est les affaires, où l'emploi informel, quand ce n'est pas le trafic de drogue. Mais dans l'absolu, tous ces jeunes, nos jeunes s'accordent à dire que seul l'emploi peut les stabiliser dans leur vie de tous les jours. Mais, sans formation, sans perspectives, ils rêvent tous d'aller en Europe : «là-bas, la vie est plus facile, disent-ils» ! Y compris les diplômés de l'enseignement supérieur qui font le même rêve : «pour valoriser leur formation et leur diplôme», prétendent-ils. «Pour acquérir le savoir et revenir» surenchérissent les plus futés parmi eux ! Ils aiment le pays qu'ils veulent, paradoxalement, quitter ! Ça serait le meilleur pays du monde, s'il y avait un bon gouvernement, encore une parole de jeunes. Il s'agit d'une relation affective entre eux et leur pays; la question ne se pose pas en termes politiques classiques et les discours recourant à ces thèmes ne les atteignent pas. A contrario, on peut au regard de la demande des jeunes «emploi-logement-local commercial», déplorer sur le principe, leur mentalité d'assistés, mais sur un autre registre, on ne peut que blâmer tous ces politiques qui pensaient régler le problème de la jeunesse «en trois jours d'assises au Club des Pins» ou à coup de discours, dans le sens du poil. Et la société, la nôtre, se cherche encore pendant que «son armée inutile de jeunes», en errance, n'en finit pas de grossir ! Pour l'heure, en Algérie, on en est encore à s'affronter sur le choix du modèle de société. Sur le choix du modèle culturel : arabophone, berbérophone, francophone, voire anglophone, avec comme chef de file, le ministre actuel de l'enseignement supérieur. Economiquement parlant, ceux qui ont gouverné le pays depuis 1962 ont raté tous les développements successifs en reproduisant les mêmes erreurs du passé : 98% de notre économie est financé par le pétrole. Le pays, faut-il le rappeler, n'avait jamais été maître de son destin économique ; il avait légué la bonne gouvernance aux institutions étrangères, les banques mondiales et le FMI dont l'objectif final est connu de tout le monde : privatiser et piller les ressources de l'Algérie. Aujourd'hui, les jeunes sont fatigués des promesses sans lendemain et de l'intérêt qu'on leur manifeste soudainement la veille des élections. De plus, quand ils veulent donner leur avis, ils éprouvent quelque peine à faire parvenir leur message tant il est dilué dans des demandes les faisant passer pour des mineurs. Un comble pour ceux qui se sont construits à la force du poignet, qui voyagent dans les mers de Chine et qui ont réussi à monter des affaires commerciales à l'étranger, qu'ils ont rejoint comme simple «Harraga». Certes, l'Etat a multiplié l'enseignement, construit des logements, des routes et des hôpitaux. C'est suffisant, ce n'est pas assez, le problème n'est pas là, car aujourd'hui, il est peut être victime de son succès ou de son omnipotence. Il est aujourd'hui confronté à la triple rébellion du social, de l'enseignement et des libertés. Du social tout d'abord, qui est dans le même temps soumis aux exigences économiques de profit, de rentabilité et corrélativement, de grèves et de conflits sociaux. De l'enseignement ensuite, incapable de se mettre à niveau dès lors qu'il ne s'est préoccupé que du quantitatif au détriment du qualitatif. Des libertés, enfin, qui font partie des acquis et des réformes qu'il s'est engagé, en tant qu'Etat, à mener à terme. Il faut également avoir le courage d'admettre, aujourd'hui, que ce qui était charnel pour les moudjahidines n'est plus qu'un «ouï-dire» pour les adolescents, tant que l'histoire n'est ni écrite ni enseignée correctement. Le fossé se creusera davantage entre les générations et se caractérisera par une perte de confiance des jeunes par rapport à leurs ainés, d'autant plus que les premiers nommés estiment, qu'ils n'ont pas eu la part de pétrole qu'il leur revient, ou les postes de commandement auxquels, légitimement, ils aspirent. En attendant, malgré l'absence d'intérêt porté à leurs doléances, ils sont nombreux à espérer et à s'indigner quand ceux d'en haut feignent de ne pas entendre le bruit sourd des pas de ceux qui battent le bitume chaque mardi et vendredi. Ils sont aussi légion ceux qui veulent partir malgré « l'insistance des aînés» ! L'Etat ne peut raisonnablement les retenir en dépit de la loi qui pénalise leurs actes ; il ne peut pas également donner un local commercial à tous ces jeunes en errance, les redéployer dans les marchés ou les recruter en qualité de veilleurs de nuit ou d'agents de sécurité ! Fatalement, ils continueront donc à tenter le diable ! Ils joueront, intrépides ou insouciants qu'ils sont, leur vie en solo dans des barques désuètes, à moins que les pouvoirs publics ne leur trouvent des destinations d'immigration du style Australie ou Canada. Tous ces «desperados », faut-il le dire, ne veulent plus du pays ! Et même ceux qui sont porteurs de titres et diplômes supérieurs, pensent qu'après les études, leur salut est ailleurs ! Non pas dans la fuite, mais en vue de se désaltérer, de souffler et de se réinventer pour revenir riches d'expériences nouvelles, imprégnées de la créativité et de l'enthousiasme qui fleurissent aujourd'hui aux coins du monde, disent-ils ! Sans langue de bois, une fois n'est pas coutume et parfois de manière triviale, en tous les cas, juste assez pour choquer les biens pensants, interpeller les consciences et casser quelques tabous. Qu'ils partent alors s'ils le veulent, qu'ils reviennent, et qu'ils repartent encore et qu'ils reviennent de nouveau!!! C'est ce que préconisent les auteurs du livre «Barrez-vous » qu'on peut paraphraser, pour dire à nos jeunes, ceux qui piaffent d'envie de partir : « L'Algérie ce n'est pas uniquement votre pays de naissance, qui est vôtre, mais le monde entier ; faites-vous violence si nécessaire, mais emparez-vous-en ! N'hésitez plus, choisissez une destination où le monde est en train de se faire, là, tout de suite, que ce soit Tiblisi, où la Ministre de l'économie, la patronne de la police nationale et le seul conseiller du président sont tout juste trentenaires, ou Shanghai Mexico ou Santiago ». Ou encore le Canada dirigé par JustinTrudeau, un quadragénaire en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels ! Mais, qu'on se mette d'accord, il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de la fuite de nos jeunes qui condamnerait notre pays à terme, mais les encourager à partir explorer le monde, à faire des rencontres qui changeront leurs vies, et après, d'en faire profiter leur pays, l'Algérie ! En espérant que d'ici là, ceux qui viendraient prendre en mains les destinées du pays «prennent en compte les mutations sociologiques de la société algérienne, car sans la démographie nous ne pouvant pas comprendre la politique », aux dires du sociologue Nacer Djabi, qui vient d'animer une conférence-débat sur le thème «Algérie: sociologie et révolution ». |
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