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La
crise du pouvoir dans l'histoire de l'Algérie ne date pas d'aujourd'hui. Elle
existe depuis l'indépendance du pays du fait que la constitution est devenue
simplement un texte décalé de la réalité politique et que par la suite, la
légitimité politique des différents gouvernements fut toujours remise en
question. Cette situation a rendu les institutions politiques, judiciaires,
économiques et financières fragiles sans aucune crédibilité. Dans ce contexte
politique, les gouvernants ont souvent eu recours à un discours idéologique
pour fonder leur légitimité, à savoir la religion, la mémoire historique
collective, etc. De plus, les gouvernants n'ont jamais tenté de préparer le
terrain pour une transition démocratique et passer le relais du pouvoir aux
jeunes générations.
Tous ces facteurs ont créé une crise de confiance entre les différents régimes qui se sont succédé et la population. Le cumul de cette politique fondée sur l'arbitraire a pris une ampleur disproportionnée, sans précédent lorsque l'ancien président A. Bouteflika, très affecté par la maladie, s'est présenté aux élections présidentielles du 18 avril 2019 pour un cinquième mandat. Il n'est pas question ici de retracer l'histoire politique de l'Algérie mais, simplement de montrer que la grave crise politique est le résultat d'une accumulation de crises sociopolitiques et économiques liées à l'absence de vision politique des différents gouvernements. A la mesure de cette crise flagrante et manifeste, d'une exceptionnelle gravité, le pays connait aujourd'hui des manifestations d'une ampleur inédite depuis le 22 février 2019, le hirak. Le mouvement social pacifique (hiraksilmi) est la plus belle expression de cette exaspération générale de la société algérienne concernant aussi bien les jeunes que les moins jeunes. Tout le monde aspire au changement et à une rupture avec le passé funeste. Au début de ce mouvement, il y avait unanimité sur les revendications, à savoir : « Non au cinquième mandat ». Cette unité du mouvement a conduit au retrait de la candidature du président sortant et au report des élections au 12/12/2019. Il s'agit en effet de l'un des acquis les plus importants de ce hirak. Cependant, selon une étude sociologique, lorsque les mouvements sociaux atteignent en général leurs objectifs principaux, ils s'affaiblissent à moins qu'ils ne trouvent d'autres revendications et objectifs précis et réalisables. L'affaiblissement d'un mouvement provient également du fait que les revendications deviennent individuelles et non collectives. Ainsi, l'unité du mouvement devient fragile. Le hirak à ses débuts, dans ses temps forts, avait une unité inébranlable car il y avait une revendication principale patente qui résidait dans le « non au cinquième mandat de l'ex. président A. Bouteflika » ensuite le mouvement s'est fragilisé non seulement par la question lancinante algérienne relative à l'identité, mais aussi par des revendications individuelles ou irréalisables dans ce contexte de crise, à savoir « tout le monde dégage » (« yrouhougaa »). Dans l'état actuel des choses, il serait préférable que ce mouvement crée des partis politiques pour participer aux élections présidentielles, et renforce la société civile à travers des associations et des syndicats pour participer à la vie sociopolitique du pays d'une façon concrète. Le hirak social, qui est une expérience unique en son genre dans l'histoire de l'Algérie et à travers laquelle le peuple a retrouvé sa souveraineté, a montré, dans une certaine mesure, un certain réveil de la société. Mais, pour que ce hirak réussisse à réaliser une rupture effective avec le passé, il faut qu'il soit suivi d'un hirak intellectuel pour donner une dynamique et un mouvement au mode de pensée et à la culture en faisant des réformes profondes de l'institution scolaire, en améliorant la qualité des programmes des universités et en investissant dans la recherche scientifique. Cette absence du mouvement de la pensée que l'Algérie n'a jamais connu se traduit dans le comportement de certains Algériens au sein du hirak où certains manifestants refusent la diversité des idées et revendications des différents groupes ou tendances, sachant que la modernité nous apprend qu'on peut préserver l'unité dans la diversité. Par ailleurs, l'absence de rationalisation du discours politique ou religieux dans les sociétés traditionnelles conduit de facto à une adhésion émotionnelle aux idées. Notre attitude émotionnelle a tellement pris le dessus sur la rationalité que la critique et l'autocritique sont exclues de notre mode de penser et par conséquent, nous sommes devenus plutôt passéistes que progressistes. Cela dit, nous sommes devenus prisonniers de notre passé. Par exemple, le problème de l'identité qui frappe l'unité de la société algérienne depuis l'indépendance est dû à une vision de notre héritage avec une approche émotionnelle, subjective et idéologique. Au lieu de penser cette question à partir de la réalité historique objective de l'Algérie, de saisir les cadres sociaux de l'identité, on a créé une identité fondée sur l'imaginaire loin de l'histoire propre du pays. On peut citer également, la question de la citoyenneté qui n'a jamais été abordée à travers le concept d'Etat-Nation, sachant que le mode de gouvernance en Algérie était sous forme d'Etat-parti unique. Rappelons-nous que la citoyenneté permet le vivre ensemble dans la diversité. Un autre point essentiel qui mérite d'être mentionné est celui de l'éducation. Le vrai hirak intellectuel réside dans des réformes radicales de l'institution scolaire et des manuels scolaires. Ainsi, il faut adopter des approches pragmatiques adaptées au diapason des temps modernes et aux évolutions des sciences. L'intérêt de cette démarche permet d'élaborer des programmes scolaires qui ont un rapport avec l'évolution de la réalité sociale et de prendre en considération l'histoire objective du pays. Par ailleurs, l'approche relative à l'autonomie cognitive est plus que jamais nécessaire afin de stimuler la curiosité de l'enfant et de lui donner une certaine autonomie qui lui permet d'élaborer sa propre pensée afin qu'il devienne l'auteur de ses propres idées. Ladite approche développe l'esprit critique de l'enfant et l'encourage à devenir un« petit » citoyen responsable. La méthodologie appliquée aujourd'hui dans les manuels scolaires tend à programmer l'enfant sur une pensée unique, religieuse ou politique, en déphasage avec la réalité sociale qui est diverse. En ce qui concerne les langues étrangères, certains appellent à remplacer le français par l'anglais. Certes, actuellement l'anglais est la langue internationale mais la problématique n'est pas dans la langue en soi, elle est plutôt dans la pédagogie de l'enseignement des langues y compris l'arabe. Si bien que la difficulté des algériens de s'exprimer en arabe littéral s'explique par l'échec de l'institution scolaire et par l'approche traditionnelle, pour ne pas dire archaïque, adoptée depuis des années. Il est temps d'adopter l'approche communicative et pragmatique pratiquée depuis des décennies notamment en Europe de l'Ouest et aux Etats unis. Dans un pays où la langue officielle est l'arabe et le tamazigh, il est plus logique d'apprendre d'abord correctement sa langue maternelle ensuite les langues étrangères. Chemin faisant, les réformes de l'éducation doivent être menées d'une façon scientifique et non idéologique qui n'a aucun rapport avec le colonialisme. Ce hirak intellectuel permet principalement d'investir dans l'humain pour avoir des générations ouvertes sur le monde, épanouies, rationnelles et pragmatiques, capables de relever le défi de la modernité et de la postmodernité. Cette génération sera capable de préparer le terrain à une vraie révolution intellectuelle et à une rupture épistémologique avec le passé. L'éducation représente non seulement le progrès social mais c'est la vie même, comme l'a affirmé le père fondateur du système éducatif américain, le philosophe John Dewey. Faut-il alors entreprendre des réformes radicales au niveau de l'éducation pour rattraper le retard accumulé depuis cinq décennies ou suivre la voie et la déclaration de l'ex ministre algérien de l'enseignement supérieur qui a affirmé « les prix Nobel sont inutiles pour les universités algériennes » ? *Enseignant et chercheur à Paris |
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