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Si
on commençait par dire que les villes algériennes sont un mélange d'actes
politiques et populaires, tout le monde adhérerait à cette affirmation tout
insuffisante. Il est judicieux, cependant, de s'interroger sur la frontière qui
sépare les actes des uns et des autres.
Les ensembles de Belgaïd qui rappellent étrangement les débats sur Ali Mendjeli de Constantine, sont issus de décisions politiques qui n'avaient pour obsession que de s'assurer le soutien populaire qui garantit la pérennité du régime. L'ensemble d'habitations algérien entre dans une stratégie fortement politico-politicienne et populiste n'ayant aucun rapport avec la réflexion d'un architecte se souciant de la production d'un cadre de vie agréable en milieu urbain, encore moins avec les ambitions de la Charte d'Athènes. En réalité, tout projet public relève de 1. L'intelligence politique qui oriente ses objectifs dans un sens ou un autre. La politique n'a de sens qu'en ville, c'est-à-dire les concentrations démographiques, et c'est là où le politique (qui est l'art de faire croire) use de son intelligence pour exercer son charme sur les populations par le moyen de la culture, la religion, l'idéologie, l'économie, le populisme, le mensonge, etc. 2. La compétence du maître d'ouvrage qui doit démontrer sa capacité de faire des choix judicieux relevant soit de l'orientation générale des projets à entreprendre et se rapportant directement aux moyens financiers et techniques devant assurer la bonne réalisation du projet envisagé. 3. L'inventivité de la maîtrise d'œuvre qui doit être capable de rendre les moyens mis à sa disposition intelligibles, pour l'obtention d'un résultat qui donne la sensation aux habitants que le projet est à leur portée, et tellement ils s'y identifient, ils œuvrent à le préserver et améliorer à partir de ce qu'il y a de meilleur dans leur culture ; c'est-à-dire qu'ils le ramènent à la dimension de leur être collectif. Bien sûr, nous pouvons rapidement voir que l'urbanisme que l'Algérie a produit n'a rien à voir avec les trois points que j'ai cités ci-dessus. D'abord, parce que les détenants des pouvoirs publics n'ont jamais réfléchi sociologie, et j'ai même envie de dire que les sociologues eux-mêmes n'ont pas beaucoup réfléchi sociologie. Ce qui m'a fasciné récemment, c'est de réfléchir en terme de «ville locale» dans l'agglomération d'Oran, donc de procéder à une reconnaissance ou tentative de reconnaissance des contours des sociétés locales, ce qui aurait pu me permettre de vérifier l'hypothèse du regretté Hmida Sahraoui consistant à dire qu'Oran est une ville composée de plusieurs villes. C'est en ce sens d'ailleurs que l'urbanisme se définit en termes de recherche des relations à fabriquer et à envisager dans des contextes bien définis. Ce qui se produit à l'heure actuelle, c'est la poursuite de production de morceaux d'urbanisme qui peinent à faire villes et ne peuvent pas être des villes, des morceaux qui augmentent le mal-être en milieu urbain parce que, généralement, comme j'ai eu le sentiment de le constater à partir de mes modestes enquêtes, le passage d'un morceau d'urbanisme à un autre est violent. L'exemple qu'on m'a cité, je ne dirai pas le plus, mais particulièrement, est la cité dite Hasnaoui et les ensembles d'en face. Les enquêtés disent que les deux périmètres n'ont aucune relation, la relation qui est relevée est de nature sociale et économique, ils évoquent le principe de la clôture qui sépare les habitants de l'intérieur, des pauvres de l'extérieur plutôt envieux. «C'est comme dans l'ancien Oran, les Européens à l'intérieur, et les Arabes à l'extérieur, agglutinés sous les fortifications». Cette précision que j'ai retenue montre à mon sens que le sentiment d'une colonisation cette fois-ci de l'intérieur est toujours là, et que le propos tenu exprime le sentiment de méfiance des riches des pauvres et vice-versa. Dans ces conditions de production et d'alimentation du sentiment d'inégalité par la violence de ce genre d'urbanisme ségrégationniste, je vois très mal comment la ville peut être possible. D'autant plus que la ville algérienne est devenue un bazar de l'immobilier pour les promoteurs qui ne s'embarrassent d'aucune règle d'urbanisme, puisque le décideur pour des raisons obscures laisse faire et se soucie peu, sinon pas du tout, des modes d'urbanisme et leurs résultats. Je peux faire une toute autre lecture de l'urbanisme européen de l'ancienne ville, comme de mettre la focale sur le front-de-mer, et son caractère démocratique réussi. Tout le monde y va sans problème pour se balader dans un vrai cadre urbain. Il est regrettable de constater que les autorités d'Oran ont échoué dans la production de ce genre d'espaces publics, et qu'Oran est condamné de supporter l'existence d'un espace hôtelier (Sheraton, Ibis, etc.) destiné aux nouveaux riches qui tourne violemment le dos aux quartiers de l'intérieur. Les Oranais n'ont trouvé d'autre résistance que d'envahir jusqu'à s'en accaparer, les ronds-points généralement très mal aménagés. Le secteur urbain de Sid el Houari est le parent pauvre de l'urbanisme d'Oran, car exclu de l'effet structurant du parcours du tramway, et demeuré isolé du reste de l'agglomération. Même si ce secteur jouit d'une vie urbaine intérieure qui est méconnue, il reste rejeté et utilisé comme quartier de secours, voire plus clairement, l'équivalent d'une sortie de secours. C'est un autre morceau d'urbanisme qui agonise en ayant pour caractère urbain son patrimoine. Ce secteur est une périphérie tout en étant parmi les plus anciens d'Oran, c'est une périphérie faiblement connectée au reste de la ville agglomérée, rien à voir avec Akid Lotfi qui domine la continuité du boulevard Zabana et est relié au Palais des Congrès. N'oublions pas que lors des activités qui se déroulent dans ce Palais, les visiteurs stationnent en face, dans le périmètre d'Akid Lotfi. Ainsi donc, si ce périmètre fait partie du centre-ville fragmenté et éparpillé dans l'agglomération, ceci n'est pas le cas du secteur Sid el Houari. Ce dernier est fortement isolé des urbanismes qui se trament ailleurs, comme c'est tout à fait normal qu'il ait servi, et qu'il continue à l'être, de périmètre de transition sociale, comme ça a été (je dis bien : ça a été !) le cas de Sid el Bachir. Toutefois, cette localité qui nous offre un paysage néo mozabite de l'extérieur, avec ses mosquées culminant de ses faibles collines, est avantagée d'abord par sa situation sur la plaine et sa proximité depuis une dizaine d'années du complexe sportif de Belgaïd. L'urbanisme de Sid el Bachir est moyenâgeux (il rappelle à plusieurs titres celui des villes du Mzab sans les ingrédients de construction des maisons qui sont différents), il épouse en gros les reliefs du site, et regroupe à priori une population partageant la même forme d'urbanité. La grande différence entre Sid el Houari et Sid el Bachir de prime à bord, c'est que Sid el Houari est un périmètre traversant (comme un appartement traversant) n'offrant pas beaucoup de velléités au modernisme, tandis que Sid el Bachir est un périmètre enclavé dominé par une tendance d'urbanisme moyenâgeux et une économie de l'informel socialement efficace et surtout très animée. Je peux aussi rajouter que Sid el Houari intéresse l'élite complexée de l'effet d'impuissance que génère en elle le butin colonial, et Sid el Bachir qui s'apprête à happer l'intérêt des promoteurs de l'immobilier notamment avec l'approche des Jeux méditerranéens 2021, ne fait l'objet d'aucune étude d'urbanisme sérieuse. Le caractère résidentiel de Sid el Bachir ne fait que s'affirmer depuis quelque temps puisque des familles, disons de culture citadine, ont choisi de s'y installer et procèdent comme je l'ai remarqué sur place, à aménager les abords de leur maison. Je crois même que cette localité entame sa quatrième mutation après : 1. Le hameau de Sid el Bachir et lieu de pique-nique, 2. Espace d'agglutinement de populations ayant été traversées par un terrorisme islamisé, 3. Course à la régularisation du foncier et du bâti, 4. Promotion immobilière et gentrification urbaine. L'enjeu consiste aujourd'hui à connecter, relier ces morceaux d'urbanisme sans pour autant aplanir le différentiel culturel qui fait selon moi, le charme d'Oran, c'est-à-dire ne pas se battre bêtement contre le caractère global de l'agglomération d'Oran. La réponse peut être apportée par le développement cohérent des moyens de transport public, comme de créer une véritable toile de lignes de tramway et performer les réseaux de bus en les dotant de moyens de contrôle technologiques pour assurer la sécurité des clients et le respect des horaires. Oran a besoin d'un urbanisme de gestion qui combine toutes les actions et implique selon le mode synchronique tous les secteurs concernés par les affaires de la ville. Il n'est plus question qu'un secteur aménage pour qu'un autre abîme, et il est nécessaire que les habitants aient des comportements cohérents (Hirak d'accord, mais vigilant avec soi-même d'abord !). *Architecte et docteur en urbanisme |
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