La
question que se posent tous les Algériens est cette capacité de l'Etat à
récupérer l'argent transféré illicitement vers l'étranger. Pour le professeur Lachemi Siagh, spécialiste en
stratégie et en financements internationaux, c'est une possibilité à ne pas
écarter, même si le chemin est ardu.
Dans
un entretien accordé à l'APS, le docteur en management stratégique et titulaire
d'un MBA à HEC Montréal a souligné qu'il s'agit d'un processus «long» et
«compliqué» qui fait appel à des spécialistes dans plusieurs domaines. Il
explique que cette démarche nécessite de retracer au préalable et de faire
l'inventaire des transactions qui ont servi de base à la surfacturation, au
blanchiment et à l'évasion fiscale. Il rappelle que les renseignements sur les
entreprises exigent un savoir-faire et font appel à des comptables légistes
capables de retracer les flux monétaires dès leur origine et les localiser.
Cela nécessite aussi, ajoute-t-il, des spécialistes en montage de sociétés écrans,
de fondations et autres trust ainsi que d'avocats spécialisés et une action
diplomatique musclée. «Il faudra ensuite apporter aux autorités des pays
concernés la preuve qu'il s'agit bien «d'argent sale» et engager des recours», a-t-il poursuivi, précisant que «souvent la coopération des
institutions financières, voire des Etats n'est pas évidente surtout lorsqu'il
s'agit de gros montants». Cette question avait également été soulevée par
nombre d'experts dont l'avocate à la Cour suprême et au Conseil d'Etat, Hind Benmiloud, ainsi que
l'expert en finances, Mohamed Boukhari, au forum du
journal El Moudjahid. «L'Algérie dispose de l'outil juridique pour rapatrier
les fonds détournés et transférés à l'étranger et demander le gel des avoirs
douteux pour peu qu'existe une volonté politique pour ce faire», a déclaré
l'avocate citant le texte de loi de 2006 relatif à la lutte et la prévention
contre la corruption qui est conforme à la Convention des Nations unies contre
la corruption. Mais la récupération des fonds ne peut se faire du jour au
lendemain. Les procédures prennent beaucoup de temps, selon elle qui a rappelé
la possibilité pour des associations et autres représentants de la société
civile de se constituer partie civile afin d'exiger, au nom de l'Etat, le
rapatriement de l'argent subtilisé, comme cela a été fait par certains pays. De
son côté, Mohamed Boukhari a soutenu qu'il existe des
algorithmes qui peuvent faire récupérer une bonne partie de ces fonds, à
condition qu'il y ait des structures adéquates pour pouvoir revenir sur la
traçabilité des opérations de transfert d'argent suspectées. Il a expliqué que
l'Algérie suit de près le mouvement des capitaux à travers la Cellule de
traitement du renseignement financier (CTRF) relevant du ministère des Finances.
«Aucun pays étranger ne peut deviner qu'il faut suivre de près une personne
tant que son pays d'origine n'en fait pas la demande», a-t-il
affirmé en précisant que la possibilité de récupérer les fonds illégalement
transférés à l'étranger est conditionnée par l'existence de structures
adéquates pour ce faire. Il a souligné, à ce propos, que l'Algérie a enregistré
une moyenne de flux illicites évaluée à 11 milliards de dollars en 2015,
calculée sur la base d'un rapport onusien qui l'avait estimée à 8 milliards de
dollars, contre 14 milliards pour le Fonds monétaire international (FMI), en se
référant aux surfacturations et sous-facturations liées au commerce extérieur.
Pour sa part, l'économiste Abdelhak Lamiri a estimé qu'entre 300 et 350 milliards de dollars,
soit près de la moitié des fonds alloués au titre des programmes de relance
économique, ont été transférés illicitement à l'étranger les 20 dernières
années. Par ailleurs, Lachemi Siagh
a proposé la création d'une Caisse de dépôt et d'investissement qui devrait
constituer, selon lui, un élément central des réformes structurelles à
entreprendre en Algérie. Une caisse qui pourra gérer les actifs qui ont été
acquis illicitement ou sur la base de prêts considérés actuellement non
performants et irrécupérables des entreprises dont les propriétaires sont
emprisonnés ou poursuivis en justice, a-t-il suggéré.
Un dossier sensible que les pouvoirs publics ont promis de prendre en charge en
mettant en place un dispositif de sauvegarde de l'outil de production et les
postes d'emploi pour prévenir les éventuelles turbulences susceptibles
d'impacter l'emploi, la production et le climat des affaires en général en
Algérie. Pour faire face aux tensions budgétaires, il conviendrait surtout de
«réduire considérablement le train de vie de l'Etat», a encore recommandé le
Pr. Siagh en appelant notamment à la révision de la
rémunération et des salaires de certains corps comme les députés et les
sénateurs, la rationalisation de la distribution des bons d'essence et la réduction
de la taille des parcs automobiles et des services de sécurité qui y sont
attachés.