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Les
interventions fracassantes de l'institution militaire et judiciaire ont
provoqué un renversement de l'ordre des priorités pour un règlement de la crise
politique et des fissures dangereuses sur la scène nationale.
Les accusations proférées par le général de corps d'armée, vice-ministre de la Défense, le chef d'état-major de l'ANP contre l'ex-patron du DRS ont en effet totalement renversé l'ordre des choses fixées par la Constitution susceptibles de mettre en place les premiers jalons pour des élections présidentielles. Plusieurs fois, Ahmed Gaïd Salah parle de l'existence de preuves irréfutables d'un complot fomenté par les réseaux internes et externes de Toufik. L'insistance a été telle que l'on avance, comme déjà écrit dans ces colonnes, que des généraux et colonels de l'ANP lui forcent la main pour mettre aux arrêts celui qu'il accuse de conspirateur. La justice a pris le relais pour interpeller, auditionner et emprisonner des hommes d'affaires dont plusieurs sont considérés comme étant «les hommes de Toufik». Les pressions de l'institution militaire ont fait réagir une justice qui excelle ces jours-ci en matière de traitement «rapide et efficace» de dossiers de corruption, objets de discussions populaires courantes depuis de longues années. Les propos que le président de la Cour des comptes a tenus hier confirment que la justice a été destinataire «en sus de son rapport annuel, de plusieurs dossiers constitués sur la base d'enquêtes menées par la Cour», a-t-il affirmé. Abdelmalek Benmaarouf est venu ainsi mettre au grand jour un état de fait auquel le parquet d'Alger ne fera jamais allusion. Le président de la Cour des comptes regrette que le rapport établi par les magistrats de l'institution qu'il gère n'a jamais été rendu public. Rapport tout autant que ceux élaborés par l'IGF (Inspection général des finances) qui ont toujours été mis dans les tiroirs au su de toutes les institutions habilitées à leur donner une suite concrète. L'on rappelle qu'au début des années 2000, l'IGF a ficelé un lourd dossier de corruption à charge du désormais ex-patron des résidences d'Etat Sahel. Dossier où il était fait état d'infractions scandaleuses aux lois et aux règles de la République. Elles ont été confortées par une requête présentée par Wahid Bouabdallah alors député FLN. «On m'a fait entrer en prison et sortir sans aucun papier» Ce qui paraissait étonnant à cette période, aucune institution ni aucun média, fût-il considéré comme étant le plus libre, n'a eu le courage de les rendre publics. Hamid Melzi était intouchable et narguait même ceux qui osaient lui faire le moindre reproche. Aujourd'hui, son limogeage est signé par Abdelkader Bensalah à qui il reste à peine deux mois pour quitter son poste de chef d'Etat. Tout le monde pensait que Bensalah n'avait aucune prérogative que celle de garder ouverte la porte de la présidence de la République à qui accepterait bien de dialoguer avec lui. Or, il se retrouve à limoger et à nommer de hauts cadres. Retenu et chargé de préparer les conditions nécessaires pour la tenue des élections présidentielles qu'il a annoncée pour le 4 juillet prochain, Bensalah devient «l'institution» par laquelle l'état-major militaire fait tomber des têtes considérées comme inaccessibles auparavant. Il semble avoir été chargé de lever le moindre indice d'immunité que pourraient détenir des haut responsables et ce, en vue de permettre qu'ils soient déferlés devant le parquet. Dans un passé récent, l'instrumentalisation de la justice était dénoncée publiquement sans qu'aucun magistrat ne soit gêné. Un des justiciables en avait fait état l'année dernière. Comment avez-vous vécu les événements de l'affaire BRC ?, avions-nous demandé en juin 2018 à Abdelmoumène Ould Kaddour alors PDG de Sonatrach depuis le 21 mars 2017. (Voir le Quotidien d'Oran du 3 juin 2018). «J'ai passé deux ans de prison à Blida, chez les militaires, j'ai été condamné officiellement à 30 mois de prison ferme, mais avant de les terminer, on est venu me dire tu sors, j'ai refusé, j'ai demandé pourquoi vous m'avez mis en prison et pourquoi vous voulez que je sorte aujourd'hui ?», disait-il. Détournements ? Malversations ? De quoi avez-vous été accusé précisément ?, interrogions-nous. «D'espionnage !» répond-il sur un ton ferme. Ould Kaddour a été jugé en 2007. Il était depuis 2002 PDG de la société Brown and Root Condor (BRC). Incarcéré à la prison militaire de Blida, Ould Kaddour en sortira avant de purger toute sa peine. «On m'a sorti de prison comme on m'a fait entrer, sans aucun papier, sans aucun dossier», a-t-il lâché. BRC «que nous avons créée(...) employait 2000 ingénieurs et techniciens algériens, en majorité des jeunes et traitait de gros projets, qui dit gros projets, dit grosses sommes d'argent, on nous en voulait..., les tentations...,», a-t-il noté. «J'ai été jugé pour espionnage alors que BRC avait construit le siège de l'état-major de l'armée ! N'est-ce pas contradictoire ? », a-t-il interrogé. Une justice libérée «sous caution» L'affaire BRC est pour lui «une affaire compliquée, scabreuse». Ould Kaddour reste convaincu qu' «elle a été diligentée pour casser Chakib Khelil». Il a affirmé que «Chakib Khelil n'a jamais accepté que le DRS s'implique dans la gestion des entreprises affiliées à Sonatrach encore moins dans son ministère...» Le communiqué rendu public jeudi par le parquet d'Alger décrit «une nouvelle ère» où la justice est devenue soudain «soucieuse» de son «indépendance» et veut s'acquitter de son «devoir» de lutter contre la corruption, «loin de toute instrumentalisation». Il affirme ouvrir dans ce sens des dossiers sur la base de «plusieurs faits de corruption» qu'il dit avoir reçus. L'appareil judiciaire rappelle à des exceptions prés le Parlement dans ses deux chambres dont la composante élue a toujours été comptée sur la fraude. Bien qu'ils soient nombreux à crier au bourrage des urnes à chaque scrutin électoral, les partis politiques n'ont jamais daigné refuser de siéger au sein des hémicycles du boulevard Zighout Youcef. Il faut avouer que les avantages sonnants et trébuchants sont tels qu'il aurait été illusoire de les voir leur tourner le dos. Il a fallu un «hirak» sans projet politique précis excepté celui de faire partir «tout le système» pour qu'ils le fassent. La justice, non plus, n'a pas eu le courage de dénoncer publiquement «les instructions par téléphone». Pire, des magistrats et avocats ont avoué s'en être accommodés. Ils ont affirmé avoir signé des PV de vote sans savoir ce qu'il en était réellement. Libérée «sous caution» d'interpeller de gros calibres dans le domaine du négoce, la justice a aujourd'hui le bon rôle. Elle ferme même les yeux sur la propagation de scènes de lynchage qui donnent froid dans le dos. Il est connu du monde entier que les appels à la violence sont punis par la loi. Ce n'est pas le cas dans ce contexte national qui risque d'être davantage éclaboussé par un effet boule de neige sans précédent. Des chargés de communication de ministères nous ont fait part de leurs inquiétudes depuis qu'ils ont été priés sur les réseaux sociaux de «faire attention, ne pensez pas qu'on vous a oubliés, votre tour viendra». Par la force de ces scènes inédites de règlements de comptes, des images de justiciables embarqués dans des paniers à salade, des interventions où Gaïd Salah accuse et menace l'ex-DRS et ses réseaux, le pays s'éloigne clairement du «4ème point de la feuille de route» que l'institution militaire s'emploie à appliquer «dans le cadre constitutionnel». L'urgence de mettre en place une instance indépendante d'organisation et de contrôle des élections n'en est plus une. Les propos du chef d'état-major que les Algériens attendent tous les mardis, les vendredis du «hirak» et le déferlement de responsables politiques et hommes d'affaires devant la justice provoquent des fissures au sein de la société où les clans s'organisent et s'affrontent pour d'autres objectifs. |
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