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Réunion du Parlement: Bensalah chef de l'Etat

par Ghania Oukazi

Le Parlement a entériné hier la notification du Conseil constitutionnel de la vacance du poste de président de la République et a installé de fait le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, comme chef de l'Etat pour 90 jours.

Il l'a fait au cours d'une réunion commune de ses deux chambres, l'Assemblée populaire nationale et le Conseil de la nation, qui s'est tenue hier au Palais des nations de Club des pins en présence de 470 de leurs membres, dont 15 l'ont été par procuration. C'est à un peu plus de 10h que Bensalah a fait son entrée dans la salle de conférence, a salué l'assistance avec les deux mains jointes et s'est assis à la tribune avec, à sa droite, le président de l'APN, Mouaad Bouchareb. Cette réunion fait suite à celle de jeudi dernier des bureaux des deux chambres du Parlement qui s'est tenue au siège du Conseil de la nation sous sa présidence, en présence du président de l'APN et en application des dispositions de l'article 102 (alinéa 5) de la Constitution et de l'article 101 de la loi organique 16-12 du 25 août 2016, définissant l'organisation et le fonctionnement des deux chambres, ainsi que les relations fonctionnelles entre le Parlement et le gouvernement.

Il en est sorti l'installation d'une commission mixte présidée par le doyen d'âge, Salah Goudjil, qui s'est chargée, dimanche dernier, de l'élaboration du règlement du déroulement des travaux de la réunion d'hier.

Les deux rendez-vous ont été pris après que le Conseil constitutionnel a constaté mercredi dernier la vacance définitive de la présidence de la République. Une vacance évidente depuis que Abdelaziz Bouteflika lui a remis, le mardi 2 avril, sa lettre de démission de son poste de président de la République. Désigné comme rapporteur de la commission mixte du Parlement, le député Mohamed El Aïd Bibi, avait comme tâche de rappeler l'ensemble de ces démarches. Bensalah l'a fait aussi après avoir déclaré «la séance ouverte.»

Ce cadrage constitutionnel a été enclenché par le vice-ministre de la Défense, chef d'état-major, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, qui avait déclaré le même mardi 2 avril, très peu de temps avant la démission du président de la République que «(?) nous estimons qu'il n'y plus lieu de perdre davantage de temps et qu'il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l'Etat dans le cadre de la légitimité constitutionnelle»

Des députés quittent la salle

La décision de destituer Bouteflika par la force d'un ordre militaire a été appliquée à la lettre. L'article 102 de la Constitution lui en a donné la formule. L'article stipule qu' «en cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République. Il communique immédiatement l'acte de déclaration de vacance définitive au Parlement, qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume la charge de chef de l'Etat pour une durée de quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées, sachant que le chef de l'Etat, ainsi désigné, ne peut pas être candidat à la présidence de la République». Depuis hier, le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, est donc devenu de fait, le chef de l'Etat pour un délai de 90 jours. Dès sa prise de parole hier au Palais des nations, le président du Conseil de la nation et président de la séance avait entendu des voix s'élever de la salle. «S'il vous plaît ! Il n'est permis aucun débat, aucune prise de parole ni aucun point d'ordre», avait-il lancé sur un ton ferme. Entre autres voix qu'il avait fait taire «conformément au règlement du déroulement des travaux de la réunion du Parlement dans ces deux chambres», celle de Slimane Saâdaoui, député FLN de Naâma, membre actif du «hirak» qui lui demandait de démissionner. Des indépendants se sont aussi mis de la partie. Etouffés par Bensalah qui n'avait pas l'air, jusqu'à hier, de vouloir céder aux pressions de ses détracteurs, ces députés contestataires ont quitté la salle avant même le début des travaux qui ont duré un peu plus d'une heure.

Si de nombreux représentants de la presse avaient accouru au dehors de la salle pour leur tendre leurs micros, Bensalah avait fait voter le règlement des travaux de la réunion par 453 sur les 470 membres présents, 16 contre et une abstention. La réunion d'hier a été boycottée par les députés du PT qui avaient démissionné quelques jours auparavant, par ceux du FFS, du RCD et d'autres formations opposantes. L'assistance comptait cependant des députés des partis du pouvoir (FLN, RND), du parti de Belaïd (Djebhet el moustakbal), des représentants de Bahabouh (Union des forces démocratiques et sociales) en plus des indépendants. Assis aux premiers rangs, le député FLN, Ould Abbes, a déclaré à la presse : «je suis toujours secrétaire général du FLN»

Les états-majors des partis s'entredéchirent

Tout sourire, Seddik Chihab du RND faisait des déclarations à qui voulait l'écouter. Dissident de la dernière minute à Ouyahia qu'il voulait faire destituer de son poste de secrétaire général du RND, pour se mettre «à la page» des évolutions voulues par le pouvoir du moment, Seddik Chihab s'est vu hier démissionner de son poste de porte-parole du parti par?Ouyahia en personne. Qu'ils soient du pouvoir ou des opposants, de nombreux états-majors de partis s'entredéchirent depuis que l'armée a pris les choses en main. En attendant la décantation des rangs partisans et politiques de tous bords, les yeux restent braqués sur Bensalah dont le départ est exigé par la rue, ses marcheurs, ses animateurs, ses réseaux et ses analystes. Partira ? Partira pas ? Des milieux qui se disent informés se sont avancés déjà à lui compter les jours. L'ordre militaire pourrait tomber sous la pression. Tout dépendra cependant de comment seront jouées les prochaines étapes de cette nouvelle séquence militaro-politique nationale. La rue a encore revendiqué son départ hier. Elle continuera de le faire tout autant que pour les deux autres B (Tayeb Belaïz et Nouredine Bedoui) sans oublier un troisième (Mouaad Bouchareb), en attendant d'autres listes. D'autant que les articles 7 et 8 que le chef d'état-major a plaqués au 102 pour convaincre le hirak de sa bonne foi ne pourront être appliqués. Ils donnent au peuple «tous les pouvoirs, celui constituant, la souveraineté nationale» qu'il ne peut avoir que par «l'intermédiaire des institutions qu'il se donne, par ses représentants élus, par référendum(?).» Bensalah ne pourra rien changer à la donne parce qu'en tant que chef d'Etat, ses prérogatives sont très réduites comparativement à ceux multiples que la constitution accorde à un président élu.

En cas de mobilisation générale ou de guerre, il ne peut décréter l'état d'exception ou l'état d'urgence qu'après décision du haut Conseil de sécurité puis notification du Conseil constitutionnel et approbation du Parlement.

Bensalah a tenu à la fin de la réunion d'hier à rendre hommage aux députés et sénateurs présents pour avoir participé à cet important événement Parlementaire historique(?)» «L'obligation constitutionnelle m'oblige», dit-il encore, «dans ces conditions difficiles, à porter cette lourde responsabilité(?) pour concrétiser les aspirations du peuple algérien». Il promettra «fidélité et abnégation aux fins d'arriver dans les délais les plus brefs à redonner la parole au peuple pour choisir souverainement son futur président(?)» Il rendra hommage «aux membres du Parlement, au peuple, aux institutions, et à leur tête l'institution militaire(?)».