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Entêtement

par Mahdi Boukhalfa

Les Algériens entament cette semaine un autre cycle de manifestations et de protestations contre la tentative de prolongation par le président Bouteflika de son 4ème mandat en violation de la Constitution. Et, au-delà, pour le départ du système de gouvernance actuel qui est en train de mener le pays vers la banqueroute politique, sociale et économique. Des dizaines de millions d'Algériens sont sortis vendredi 22 mars pour la 5ème fois depuis le 22 février pour réclamer le début d'une transition politique, assortie du départ du président à la fin de son mandat et qui puisse redonner au peuple sa dignité et au pays les vertus de la démocratie, de la bonne gouvernance et l'émergence véritable des élites politiques. Des élites intellectuelles, hormis celles qui ont été obligées de partir sous d'autres cieux plus cléments et hospitaliers, longtemps mises sous le boisseau par un système politique basé sur la «médiocratie» et non sur un système méritocratique de gestion des compétences.

Aujourd'hui, à la fin de la 5ème semaine de manifestations pour le départ du président Bouteflika et l'avènement d'une autre Algérie, le constat est amer, car non seulement le pouvoir tente de survivre et gagner du temps pour essouffler le mouvement de protestation, mais veut dans la foulée discréditer ce formidable élan d'un peuple extraordinairement uni autour d'un même objectif. Et le récupérer en allant plaider une feuille de route insensée et impopulaire pour la prolongation du 4ème mandat auprès de certaines capitales occidentales, comme pour les prendre à témoin que le pouvoir a bien pris la voie de la démocratie en proposant des élections après une période de transition gérée par ce même pouvoir. Mais, à Paris ou Moscou, à Berlin, à Pékin ou Washington, personne n'est dupe et l'on sait que le temps est venu en Algérie pour un changement politique radical et la fin d'un cycle politique qui a atteint ses limites. D'autant que ces capitales savent parfaitement que le cas algérien est unique et que l'Algérie n'est ni la Syrie, ni l'Egypte, encore moins la Libye ou la Tunisie.

La qualité et l'urbanité des interventions des manifestants durant les marches populaires, la profondeur politique de leurs revendications et l'accompagnement de cette «douce révolution» par les milieux universitaires, intellectuels, par le meilleur de la société civile, ont donné une dimension internationale citée en exemple à cet extraordinaire appel d'air des Algériens. Pourtant, cela ne semble pas avoir été perçu comme un signal fort par le président et ses conseillers pour préparer l'après-Bouteflika ou le dissuader à s'entêter à garder la main, même au-delà du 28 avril prochain. Et, plus encore, éviter au pays de perdre un temps précieux en marches et manifestations pour le changement et l'avènement d'une période de transition, alors que le devoir impose à tous ceux qui s'accrochent au pouvoir de faciliter maintenant, avant qu'il ne soit vraiment trop tard politiquement et sociologiquement, la transition. Car il s'agit bien de cela, une partie du pouvoir n'accepte pas de s'en aller dans ces circonstances humiliantes et peu honorables après des années de règne sans partage.

Mais, le courage politique et l'amour du pays veulent que tous les sacrifices ne soient pas de trop pour s'éviter les fossés ou les impasses politiques regrettables. Ne pas écouter les millions de manifestants et partir dans la dignité, c'est probablement l'ultime suicide politique qui est en train de se jouer comme une dernière carte perdante d'un pouvoir dépossédé par le peuple de toute légitimité.