D'une seule marche populaire,
l'Algérie a effacé les préjugés qui faisaient d'elle un pays rigide,
irréformable, marqué par l'intolérance et la violence politique. Après
l'étonnement, les Européens manifestent encore plus leur admiration à ce que
beaucoup appellent déjà la « révolution tranquille » qui se joue en Algérie.
C'est que des clichés et préjugés ont donné longtemps l'image d'un pays coincé
entre le poids de traditions vieillottes, d'intolérance religieuse et de
nationalisme chauvin qui se mêlent dans une sorte de syncrétisme indéchiffrable
qui condamne à l'échec toute perspective pour le pays de s'arrimer à la
modernité, la démocratie, la citoyenneté même. C'est que l'histoire récente du
pays, notamment la terrible décennie noire ont identifié l'Algérie à un peuple
rigide, dompté par les interdits et la violence politique est devenu,
définitivement, un peuple incapable de se secouer, de se réveiller et
d'embrasser le reste du monde «civilisé», de conquérir sa liberté. Les préjugés
ont la peau dure. Du coup, voir ces milliers de femmes aux avant-postes des marches,
dans les villes algériennes, cheveux au vent, scandant des slogans hostiles au
système et son pouvoir politique, paraît aux yeux de nos amis européens comme
des scènes de fiction, voire même de vision fantastique. Autant dire qu'ils
s'attendaient à voir les islamistes encadrant les marches à la place de ces
belles et jeunes rebelles. Etonnant, inattendu, prometteur. Les Algériennes et
Algériens ont effacé d'une seule marche, le cliché qui leur colle à la peau et
au visage de pays figé, irréformable, condamné à la stagnation et au
sous-développement. Mais au-delà de se rassemblement
général des Algériens, femmes et hommes, en jeans et en hidjab, dans la danse
et dans le chant qui surprend d'abord les Algériens eux-mêmes et le monde
ensuite, s'ajoute cette incroyable discipline, ordre et pacifisme malgré les
peurs et menaces longtemps distillées par un pouvoir diabolique, méprisant le
sens civique et la conscience citoyenne du peuple « d'en bas ». Faire le ménage
après le passage des marcheurs dans les rues est une « invention algérienne ».
Elle soulève l'admiration du reste du monde. Puis, encore cette vigilance à
toute tentative de dérapage qui s'est soldée par la chasse aux casseurs et leur
arrestation pour les remettre aux forces de police est, encore, une autre
invention certifiée de ce peuple si longtemps considéré comme nerveux,
indiscipliné, violent. Désormais les Algériens ont leur marque déposée: les manifs en musique et youyous, avec le sourire
et la bienveillance, dans l'allégresse et l'espoir de lendemains qui chantent.
Cette leçon de civisme et de haute conscience des enjeux politiques de l'heure
s'inscrit dans la durée. Rien ne pourra arrêter ce vaste et magnifique
mouvement vers une société plus juste, plus digne, plus libre. Seul le pouvoir
et son système archaïque et oppresseur ne voient pas ce besoin de changement et
de liberté du peuple. Convaincu de son « invincibilité », crotté dans son
archaïsme d'un autre âge, déconnecté du réel et des bouleversements du reste du
monde, le pouvoir algérien n'abandonnera pas, facilement, face au réveil du
peuple. Il a gouverné depuis plus d'un demi-siècle par la triche, la ruse, la
menace, la peur, le clientélisme, le vol et la prébende... il ne comprend plus
les notions élémentaires de droit, de justice, de démocratie et de désir de
liberté des gens. Il s'accrochera jusqu'à son dernier soupir, tentera de
renverser la situation à son profit, rusera, mentira pour sauver sa peau et ses
indus-privilèges et s'en fout des conséquences catastrophiques éventuelles de
son entêtement et de son inconscience. Le pouvoir n'a pas la vaillance et la
dignité d'un guerrier qui se bat pour une juste cause. Il est rusé et lâche et
ne partira qu'après avoir tenté de se venger de ce peuple qui le divorce
aujourd'hui. Heureusement pour le pays et le peuple, la logique de l'Histoire
est de son côté. Nul pouvoir usurpateur et violent n'a duré plus que la vie
d'une nation et d'un peuple. Le temps travaille pour une nouvelle Algérie
engagée sur la voie de sa libération et son émancipation. Le pouvoir et son
système sont déjà vaincus. Il faudra le temps qu'il faudra, mais ce pouvoir
partira. De Paris à Bruxelles, de Montréal à San-Francisco, de Tunis à
Londres... partout l'Algérie est observée, suivie, admirée enfin et désormais respectée
pour son immense envie de rejoindre la marche du siècle du monde libre.
L'Algérie ne décevra pas ses enfants d'abord, ensuite le reste du monde qui la
regarde.