|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Parler au
président est-il devenu cet exercice si périlleux ou très risqué que plus
personne n'ose le tenter ?
Ne pouvant l'écouter lui parler, le peuple n'a-t-il pas le droit de lui parler de vive voix ? Mais comment donc le faire ? Comment s'y prendre ou y parvenir, sans déranger la haute hiérarchie ? Comment plutôt l'approcher, sans avoir rien à se reprocher ? Comment donc se faire écouter par celui en devoir de tendre l'oreille à son peuple et lui prêter attention ? La question reste posée au moment où d'autres « autoproclamés » porte-parole(s) du Président, sans la moindre procuration ni une quelconque permission, ont déjà pris le relais, pour ne pas être pris de vitesse ou au dépourvu ! Aujourd'hui, tout le monde parle au nom du Président. Certains le font pour lui faire plutôt dire ce qu'il n'aurait probablement jamais dit ou aimé dire. En somme : tout juste pour donner cette impression de leur proximité avec la haute cour du pouvoir. Et tout le reste des autoproclamés le fait bien délibérément, systématiquement, indûment, de manière osée ou zélée, façon désinvolte, et sans détenir la moindre délégation ou même obtenir une quelconque autorisation de sa part. Le pauvre ou malheureux peuple les suit, lui, sans grande conviction. Dans leur sinueux cheminement, divers clivages, et ses propres tourments. Dans leur confus raisonnement. Dans le désastre de leur quotidien théâtre. Sans la moindre implication, aussi ! Parfois juste par distraction ou sans faire vraiment attention. A ce qu'ils disent à son sujet ou de lui et de la Nation, les laissant faire et défaire ?à en perdre la raison- une actualité des plus délétères, des plus indigentes ou vraiment désespérante, dont il s'en détourne désormais ou lui tourne carrément le dos. La raison est connue de tous : Le Président est malade et parmi la haute sphère du pouvoir il n'existe aucun porte-parole de la gouvernance du pays. A la sauvette, on s'improvise cet avocat d'une gouvernance qui brille par son absence dans le domaine propre à la communication. A quelques rares exceptions près d'aventuriers, tous très zélés et bien saisonniers, la communication avec le peuple demeure plutôt fermée. Jusqu'à nouvel ordre ! Parler au nom d'une personne qui a déjà perdu cette haute qualité de balancer ?haut et fort comme autrefois- le sens des mots ou encore la parole bien sonore, est ce qu'il y a de plus facile ou banal à faire. Encore faut-il en être mandaté, expressément choisi ou tout à fait désigné et dûment qualifié pour ! Il faut aussi jouir d'un statut extrêmement relevé dans la maitrise du verbe judicieusement emballé et ensuite intelligemment déballé et du sens donné aux phrases publiquement prononcées et symboliquement agencées. A la base, il y a cette érudition d'un véritable orateur des grands évènements et relevées circonstances à impérativement réussir et à bien véhiculer dans ses propos, capable à elle seule de faire ressusciter chez le peuple Algérien cette « flamme de la verve politique » qui conquiert son cœur et le pousse à aussitôt espérer en un avenir bien meilleur au sujet de son statut et avenir de son pays. Non seulement il faut être suffisamment doué pour le faire, mais il faut surtout être en mesure de suivre « la mode » et de le « réaliser à la perfection et dans les deux langues les plus usitées » pour impressionner son monde et le tenir toujours accroché aux mouvements sonore de vos lèvres, comme scotché à la parole de son idole qui lui cause de vive voix. Autres temps, autres mœurs, autre force ! Que ce soit avant sa longue traversée du désert ou bien après son retour aux affaires du pays, il n'aurait jamais accepté d'être suppléé, un tantinet remplacé, ou agir un peu en décalé, sinon qu'on se soit substitué à lui ou que l'on s'autorise et s'autoproclame son avocat personnel ou en privé drogman. Doté d'une maitrise linguistique appréciable mais surtout d'un sens assez aigu dans l'orientation du débat à son seul profit, il pouvait grâce à ces seules prédispositions acquises à son jeune âge renoncer à tout utile interprète. Longtemps dans sa vie privée ou professionnelle, le verbe était son dada, son jeu préféré, son exercice souhaité et passion adorée, son jardin de prédilection et Eden privé. Un exercice qui le fascinait, et auquel il s'intéressait vraiment. Il était tenté par ce souci de la perfection du discours, à tel point qu'on l'imaginait souvent le répéter en se regardant longtemps pérorer avec gesticulation devant une glace qui lui répercutait, sans un instant hésiter, l'arme de guerre de l'homme politique qui sommeillait en lui ou qu'il lui semblait incarner. Que l'on soit suffisamment doué pour ou que l'on en donne juste cette impression de vraiment l'être, on est plutôt toujours craint sur ce plan-là, pour ne plus être contesté dans sa fonction de bon orateur : celui qui sait si bien transmettre les messages, haranguer les foules, procurer du plaisir à son monde et surtout lui faire croire en l'avenir du pays avec une assez grande dose d'espoir de réaliser l'essentiel des promesses faites aux citoyens. Arme redoutable des hommes politiques, le verbe ?plutôt celui si bien réussi à l'oral qu'à l'écrit- reste aussi percutant que la plus terrible des armes à feu, celle la plus sophistiquée ou encore celle la plus préférée au plan de sa maniabilité et fiabilité ; car, en plus de sa grande capacité à faire et à surtout taire les guerres, il demeure ce vecteur-clef qui négocie la paix durable longtemps souhaitée par les peuples et nations du monde. Et lorsqu'on en dispose de si peu soit-il ou que l'on pense vraiment en détenir un petit quelque chose, on est très souvent porté sur la dure et ardue conquête de ce perchoir de l'exhibitionniste au point de focaliser dessus tout notre avenir, savoir, don et bagages, étant par ailleurs persuadé d'en tirer tôt ou tard un très grand profit, un précieux dividende. Ce fut d'ailleurs dans cette seule voie et unique logique que s'inscrivit tout le long combat du Président. A ces moyens-là, il devait leur adjoindre d'autres aussi, à l'effet de convaincre avec son monde dont il sut en séduire une bonne partie de ses chefs inamovibles et très carriéristes activistes. Bien qu'il eût probablement (sinon effectivement) à détenir à loisir l'arme pourtant redoutable de commander le peuple, il lui fallut également lui associer tout l'art nécessaire de bien le gouverner ; chose dont il ne pouvait malheureusement en disposer avec la même hargne, vigueur, avec une égale valeur, la totale rigueur et surtout le bien-fondé de ses « géniales idées » ou supposées visions futuristes, tout comme pour l'ardeur liée à ses parrains, partenaires et autres disciples. Car, n'est-il plutôt pas plus facile de dire que de faire ? De juste en parler que de travailler dur pour ? N'est-il pas aussi plus aisé de penser une chose que de finalement parvenir à la réaliser ? De concevoir un projet plutôt que de vraiment le matérialiser ? Encore plus logique de réfléchir à une solution adaptée que de trouver aisément et du premier coup celle la mieux appropriée ? Savoir parler à la foule est acte important. Il en constitue sans conteste un atout majeur. Toutefois, bien souvent, cela reste vraiment insuffisant pour convaincre le peuple de notre programme politique et économique. Car, après la parole, il faut oser passer à l'action. Et c'est là où justement se pose l'épineuse question de faire corroborer les dires avec les actes. User de la ruse ne sert finalement qu'à gagner parfois du temps, sans jamais pouvoir bien souvent répondre favorablement aux nombreuses attentes des populations, restées encore clouées à leurs promesses électorales et autres projets de programmes en suspens. Tant que le Bon Dieu lui avait épargné sa santé, c'est ce qu'il avait toujours fait, en plus de ses nombreux voyages d'affaires à l'étranger et réceptions de très hautes personnalités du monde. Souvent, peut-être même bien plus que cela, en de nombreuses occasions et autres circonstances de convenance. Néanmoins, de très sérieux impondérables devaient surgir à ce niveau-là pour complètement changer les données de l'équation, désormais un peu trop compliquée à pouvoir correctement la résoudre, dès lors qu'il avait des difficultés à pouvoir honorer ses discours à la Nation. Envers la population. Parler au peuple : une obligation constitutionnelle. Bien avant même l'entame du quatrième mandat -celui de trop, forcément !-, le staff le plus restreint du candidat-président, si tenté par cette aventure compliquée de rempiler pour un énième mandat présidentiel sans en mesurer les graves dérives et plutôt incalculables conséquences sur le pays, savait pertinemment qu'il allait être sérieusement confronté à un épineux problème de communication. Le masquer avec des communiqués très soignés et bien rédigés ou des images immobiles et superbement maquillées ne saurait trop durer et ne pouvait donc tout de même remplacer ou à tout le moins juste suppléer ce discours à la Nation si important, vraiment nécessaire, ponctuel ou même très occasionnel et parfois tout à fait improvisé mais très souhaité. La lettre adressée au peuple ?même si elle était exclusivement de lui ou fut de son œuvre la plus authentique- restait tout de même bien muette. A l'image d'une statuette inerte et un peu trop suspecte sur les bords. Elle manquait visiblement de clarté, justement d'âme et surtout fondamentalement de voix ! De jus propre à son immersion ! Le message coinçait déjà à ce niveau de sa perception et autre utile compréhension. Peut-être que le préposé à cet ardu exercice d'expression orale manquait, lui, vraiment de ce génie propre à la belle locution, sport dans lequel l'actuel locataire du palais d'El Mouradia se fit distinguer déjà à l'âge de ses vingt printemps, et dans la langue chère à Voltaire. Le texte rédigé de façon narrative fort remarquable et très poétique par Monsieur Ali Benmohamed, alors professeur de lettres Arabes à l'Université d'Alger, mais aussi militant du parti unique (le FLN), brillamment repris à l'oral par cet ancien Ministre des affaires étrangères sous le règne de feu Houari Boumediene, lors de l'exceptionnelle oraison funèbre de ce dernier ?où son auteur eut à se distinguer- révéla au peuple Algérien cette voix si habile qui savait également s'adresser à son monde dans cette langue Arabe, très poétique, vecteur de la meilleure œuvre de tous les écrits qu'est le Saint Coran. La très forte émotion qui s'en dégageait, combinée à la charpente de l'architecture de la haute portée du texte habilement interprété par une voix assez singulière, ne pouvaient solidairement qu'enfanter d'une oraison funèbre digne de la grandeur du disparu dont la superbe cérémonie fut honorablement célébrée. A coup de refrains soudains et très souverains où il tenait de changer de ton afin de reprendre son souffle et de pouvoir engager la suite sur le même élan, il ne faisait qu'accompagner ce merveilleux texte d'une voix certes nouée mais percutante dont la tristesse des propos mettait le doigt sur cette plaie béante avec laquelle il fallait désormais composer, ouvrant une nouvelle page de l'Histoire de l'Algérie. C'est dire que chez ce futur Président de l'Algérie, le verbe figurait déjà en bonne place de son arsenal de guerre sur lequel ?pensait-on à l'époque- il comptait énormément, très conscient qu'il en détenait là la véritable clef de la conquête du pouvoir, celle qui l'empêchait souvent de retrouver le sommeil ou ce mieux-être longtemps rêvé. Beau parleur, grand roublard, vrai charmeur, subtil combinard, vieux briscard, habile séducteur des foules, il l'aura toujours été. Mieux encore, du premier coup il est capable de vous embobiner. Vous embarquer pour un si long voyage de rêve dont vous n'aviez fort justement jamais été préalablement bien préparé. Celui que vous ne pourrez jamais deviner. Sa force résidait dans ce verbe dont il savait s'en servir et lui donner toute l'étendue de la résonance qui lui sied. Il savait déjà s'adresser à la foule. Souvent pour l'amadouer. Et comment ? Il pouvait même endormir le peuple ou vraiment l'hypnotiser. Sans doute, parfois bien l'impressionner ! Ce furent d'ailleurs ?entre autres- à cause de ces mêmes qualités qu'on fit appel en coulisse à lui en 1994, sans succès, et ensuite en 1998, pour diriger les plus hautes charges de l'Etat Algérien. Une voix, une âme ! Mais depuis que le rossignol ne chante plus, le parvis du Grand Palais n'affiche plus complet. Ses salons feutrés ne sont plus si fréquemment filtrés. Si régulièrement inspectés. Aussi bien choyés qu'autrefois. La fête connait une inattendue interruption. Plus aucune voix, aucun rythme, aucune rime de vers ne se font entendre à l'horizon. La messe semble être dite, et chacun est rentré chez lui. Un peu déçu ! Seuls quelques rares badauds, en égarés ombres politiques, scrutent encore une scène plutôt inerte et déserte, en quête de quelques prébendes de charognards à engranger sans grand danger. Parfois des échos peu audibles semblent parvenir de très loin pour sérieusement les déranger sans jamais les ébranler. A leurs sortilèges et privilèges, ils s'y accrochent, toutes griffes dehors. Quels qu'en soient la qualité et le style de la rime poétique des vers astucieusement agencés du texte puissant, plutôt foncièrement muet à la base, ils resteront toujours orphelins de cette musicalité qui les met en branle et en évidence, tant que la voix qui les enrobe marque encore son absence. Voilà pourquoi, en particulier chez les tout jeunes auditeurs, chose assez paradoxale, l'exploit réalisé par le tube d'un quelconque chanteur ne doit absolument rien au grand art des autres artistes ayant pourtant énormément travaillé dans sa composition, arrangement, texte de base et autres aspects techniques de l'œuvre. Car, pour eux, l'empreinte de la chanson ne porte que son nom ! Son unique cachet ! Que l'impact de l'écho ou du timbre de sa seule voix ! Ainsi donc se dessinent les limites de l'écrit, fut-il encore un chef-d'œuvre du genre ! Toute voix renvoie à l'expression sonore d'un bruit naturel ou celui provoqué par une quelconque âme. C'est au travers de sa bonne interprétation que l'on découvre l'état d'âme de cet être humain pourvoyeur de sa tonalité. Qu'il s'agisse d'un cri de supplicié ou d'une belle chanson à écouter et longtemps en profiter ! En l'absence de ce très précieux indice, c'est nous-mêmes qui resterons sans voix ! Ne nous y sommes-nous pas déjà ? Parler au nom du président, dans ces conditions, revient tout simplement à nous substituer à l'artiste, à singer le chanteur, à imiter le grand orateur, à copier le styliste, à plutôt faire l'impasse sur le Maitre de l'œuvre. A impérativement nous éloigner du naturel ! Le son est le sens mémorisé le plus rapidement reconnu, comparativement aux autres sens du corps humain. C'est dire que la voix a cette providentielle faculté de surclasser l'écrit, fut-il en excellente trame et toute symbolique poésie ! Le peuple n'a-t-il pas le droit d'écouter le président discourir à la Nation ? Et pourquoi alors l'en priver ? Quel qu'en soit la magie littéraire du refrain, c'est celui à qui échoient l'honneur et le privilège de le mettre en musique qui en devient le véritable auteur aux yeux du public. C'est d'ailleurs lui qui est solennellement acclamé, longtemps applaudi, bien souvent le mieux distingué. Le plus plébiscité ! Face au travail remarquable du chanteur, c'est le compositeur qui s'efface du décor ou quitte définitivement l'estrade ! Face à l'exceptionnel orateur, l'auteur du script n'a aucune place, pas la moindre adresse ! Donner de la voix à un texte ne revient-il pas à lui donner vie ? Et qui peut bien le faire à sa place, lorsque son propre Maitre excelle à l'oral ? Sept ans de silence au niveau de ce haut perchoir marquent une égale durée de son absence du pouvoir. Au final, l'ennui gagne tout le monde. Car l'élément dynamique y est ce maillon fort manquant. (*) - Auteur, Traducteur |
|