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Le mouvement
populaire spontané du 22 février 2019 est salvateur à plus d'un titre. Il
démontre de façon précise que tout ne peut pas s'acheter pour arracher le
silence de la majorité de la population. Le pouvoir s'est de nouveau trompé
dans son aveuglement populiste. Il croyait à tort que la réaction du peuple
dans sa majorité, serait identique à celle de « sa » clientèle domestiquée et
sous tutelle. Celle-ci n'a pas d'autres choix arbitraire, tout en étant
profondément illogique, que celui de soutenir dans et par l'allégeance la plus
scabreuse, la moins subtile, la plus grossière ses différents tuteurs
politiques. Ces derniers lui ont permis depuis des décennies, de capter
férocement des privilèges immenses et immérités, sans souffrance et sans
travail, à son profit et à celui de sa progéniture. Ces stratégies de
reproduction sociale à l'identique se sont opérées de manière immorale et
prédatrice. Elles ont eu un effet dévastateur sur les pratiques quotidiennes
des acteurs de la société, les conduisant inéluctablement à des formes sociales
de désengagement, de contournement, de défiance et de distance sociale à
l'égard des institutions étatiques. Autrement dit, quand l'exemplarité des
pouvoirs est fictionnelle, les gens, loin « d'être des idiots culturels »
(Garfinkel, 2007), s'inscrivent dans le faire semblant. Il consiste à agir à
contre-courant du discours politique superficiel, faux et patriarcal. Le
pouvoir n'a jamais été redevable à l'égard de la société. Il n'a jamais daigné,
du haut de sa tour d'ivoire, lui rendre compte de ses activités invisibles
assurées dans le secret le plus total. Seule la violence de l'argent (Mebtoul, 2018) a émergé comme une norme pratique activée
dans une logique de réseaux puissants en lien avec certains acteurs
institutionnels impliqués dans ce jeu social immoral. Celui-ci est permis et
encouragé par la prégnance d'une culture politique de l'impunité. Le pouvoir a
réussi à la « normaliser » dans les différentes institutions (« pourquoi pas
moi » ?), à lui ôter toute rigueur morale, tout scrupule qui ne font pas partie
de la grammaire politique des responsables. Il a permis à sa clientèle de
passer en force (« zdam ») dans les institutions
politiques, en usant des cadenas, de la violence physique et symbolique pour
interdire toute entrée à quelques opposants de fortune et de conjoncture,
pouvant du jour au lendemain, se prévaloir du statut de « démocrate », effaçant
d'un trait de plume, leurs positions antérieures. D'autant plus que la
fluctuation du droit contribue à renforcer ce régime institutionnel.
La fluctuation du droit Le droit n'est pas une abstraction. Il a un sens sociopolitique déterminant. Le texte juridique est important pour comprendre le fonctionnement du dedans d'une institution donnée. Il permet de mettre exergue le faisceau des relations sociales qui se nouent à l'extérieur de l'institution et qui lui donnent du sens. « Autrement dit, l'action d'une institution se rend observable à travers les textes qu'elle émet ou sur lesquels elle s'appuie pour agir » (Smith,2018). Le texte juridique, selon les actions à déployer, est mobilisé, réactivé, retravaillé de façon sélective et discriminatoire par les acteurs institutionnels pour justifier en permanence leur position, pouvant être privatisé pour en faire un instrument au service des dominants. « C'est pour eux », disent les gens de peu. Le politique et le droit sont deux entités indissociables qui se renforcent mutuellement dans un système social orphelin des contre-pouvoirs autonomes et crédibles. Le texte juridique peut être fabriqué selon les humeurs et les conjonctures politiques. L'exemple le plus significatif est le viol juridique de l'article 8 de la constitution de 1996, permettant l'alternance au pouvoir après deux mandats présidentiels. Dans ces conditions, le rapport construit au droit est de l'ordre de l'incertitude, du flou, de la défiance, se traduisant par la production de la « hogra », ce sentiment d'humiliation et d'injustice. La fluctuation du droit ouvre un champ du possible. Il permet de dévoiler des situations « normalisées », ancrées dans la logique du système sociopolitique, octroyant de façon inégale des statuts et des postes valorisés au profit des détenteurs de capital relationnel. La fluctuation du droit redonne une signification pertinente à la prédation et à la médiocrité qui sont l'antithèse de l'honnêteté, du respect de l'Autre, au sens kantien du terme, c'est-à-dire le « respect pour la loi morale » et du travail. Cette inversion des valeurs et des principes, porte profondément la marque du fonctionnement du politique, c'est-à-dire la façon dont une société est instituée (Mouffe, 2016). L'oubli au cœur du politique Le pouvoir oublie, enfermé dans sa bulle, protégé de toute part, par des milliers d'agents à son service, que la jouissance matérielle et symbolique de son autorité, peut à tout moment s'effriter de façon inattendue et imprévisible. Il aura fallu attendre l'épisode monstrueux, honteux et triste du 5ème mandat décidé par certains acteurs politiques, pour que le cri de colère et de rage de la population, puisse enfin se faire entendre dans l'espace public. Celui-ci est enfin, depuis le match de football contre l'Egypte en 2009, un lieu approprié librement et de belle façon par des milliers de personnes. Elles ont surgi comme un collectif uni et solidaire pour dire avec détermination, leur refus du 5ème mandat fabriqué dans les coulisses d'un pouvoir secret. Il n'a pas pensé que la société qui est loin d'être une « cruche vide », puisse se mettre en mouvement pour le remettre en question. Le pouvoir a oublié que la dignité des personnes ne s'achète pas. Le peu d'honneur qu'il lui reste, devrait le conduire à respecter les messages forts et puissants de la majorité de la population. Elle a osé braver la peur pour crier son indignation et sa colère à l'égard d'un système politique mortifère qui a trop duré, n'ayant plus sa raison d'être. La dignité, « el-guema » est un mot fort et puissant. Il aurait fallu écouter les personnes et prendre en considération leurs contraintes et attentes, par un travail permanent de proximité, pour se rendre compte ce que cela signifie pour elles, le mot dignité. Au cours de nos enquêtes, les gens disaient: « Personne ne vient nous voir. Vous êtes les seuls à discuter avec nous ». La dignité dépasse de loin la question du « pain ». Elle se hisse à un autre niveau plus noble, plus riche, plus pertinent, au cœur du rapport social au quotidien : la reconnaissance sociale et politique de la personne. La dignité, c'est le refus obstiné de rester prisonnier du piège politique du mépris, de la mal-vie, de l'ennui, des informations peu crédibles, superficielles, distantes socialement du quotidien des gens. Le pouvoir ne peut pas comprendre cela ! Il a au contraire favorisé les « siens », ceux qui lui renvoient des messages bourrés d'erreurs d'analyse, se contentant de dire constamment et faussement, que tout va pour le mieux. Les mensonges et les allégeances multiples se conjuguent pour opter résolument pour le déni du réel. Vivant en surplomb par rapport à la société, il n'a pas pris la mesure de la blessure morale infligée à la société. Celle-ci n'attendait que le moment opportun pour dire de façon catégorique son opposition à ce type de fonctionnement du politique. « Si le monde social m'est insupportable, c'est parce que je peux m'indigner » (Bourdieu, 2002). Références bibliographiques : Bourdieu Pierre, 2002, « Si le monde social m'est insupportable, c'est parce que je peux m'indigner », Entretien avec Antoine Spire, Paris, Editions l'Aube. Garfinkel Harold., 2007, Recherches en ethnométhodologie, Paris, PUF Mebtoul Mohamed., 2018, ALGERIE : La citoyenneté impossible ? Alger, Koukou. Mouffe Chantal., 2016, L'illusion du consensus, Paris, Albin Michel. Smith Dorothy, 2018, L'ethnographie institutionnelle, Une sociologie pour les gens, Paris, Economica. |
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