
Après la
nuit du doute, voilà que nous tombe sur la tête l'année du doute. Le ciel est
couvert et il n'y a plus d'étoiles pour nous guider au port de 2019. Nous
restons face à nous-mêmes sans boussole.
Sera-t-il
le même? Aurons-nous un autre, un nouveau président de
la République? Sera-t-il jeune?
Vieux? Ancien moudjahid ou chercheur universitaire post-indépendance? On commencera l'année avec une question longue depuis cinq
ans qui semblent vouloir s'allonger, se compliquer, se multiplier comme la
logique philosophique inventée avant l'invention du calendrier. Insupportable
stress comme cadeau de bienvenue à 2019. Si en plus, le baril de pétrole
nutritif poursuit son jeu de yoyo comme en 2018, il nous faudra une dose de
somnifère consistante pour passer la nuit du 31 décembre au 1er janvier
prochain sans insomnie ni cauchemar. Se réveiller en 2020, voilà la belle
affaire ! Zapper 2019 comme 2009 et 2014, années de la discorde et du
déménagement de la République en marge du pays. Pourquoi l'Algérie, terre de
miracles, se priverait-elle d'un miracle supplémentaire en avalant 2019 comme
elle a avalé tant d'années à tant de ses enfants? Le
miracle est possible. Dans deux jours. Et après? Rien
ou presque. Le pays, lui, restera sur place avec sa géographie et son peuple.
Immobile, il contemplera le temps qui s'écoule autour de lui. Derrière lui, le
Sahara toujours aussi aride et si convoité par le Nord. Les jeunes, eux, au
Nord, rêvant de plus de nord à la nage au-delà de la Méditerranée. Le reste du
pays reste au centre, tournant sur lui-même, déboussolé, cherchant désespérément
une issue par le ciel. Prières et prosternations, surveillance du ciel pour savoir: Ramadhan, c'est pour demain ou après-demain? Et la
fin du Ramadhan est-ce pour demain? Le doute comme
exposant d'une équation logarithmique. Comme interrogation cosmique. J'imagine
le même doute sur l'autre calendrier usité par le reste du monde et nous aussi: demain est-ce samedi ou dimanche? Viendra, viendra pas? De qui parle-t-on? Du Messie
qui remettra les pendules à l'heure, les jours à leur place et le peuple chez
lui. Chacun chez soi et tous ensemble. Un slogan peut
être racoleur, démagogique mais offrant l'avantage de défoncer les murs de
séparation construits dans nos têtes par nos mains dans les rues, sur les
plages, au travail, dans les mosquées, dans les cafés, dans les écoles et
universités, enfin, tout ce qui nous réunit et nous sépare, tout ce dont nous
aspirons individuellement et fuyons collectivement en public. Du coup, il va
falloir du courage pour briser ce dont nous rêvons chacun dans son coin et rejetons
en public. Nous mentons à nous-mêmes sur tout et tout le temps. 2019 pointe son
nez et nous le regardons comme une curiosité, un mystère, un espoir, une peur.
Faut savoir souhaiter la bienvenue au visiteur à qui nous manquons et qui nous
manque. L'autre, celui qui rentre chez nous, puis s'assoie, s'installe et ne
quitte plus notre maison finit par nous renvoyer de chez nous, de nous rendre
chiffon, serpillière : «Sobhan Allah Ya L'tif kayin chi nas men s'tahoum igoulou khaf» (Gloire à toi mon Dieu clément, certaines gens
confondent respect et peur), dixit cheikh El Anka sur
des paroles de Mustapha Toumi. Demain donc,
serons-nous chez nous? Regagnerons-nous nos maisons et
foyers avec 2019 comme adresse bien de chez nous?
Retrouver le chemin du temps, du calendrier et de la maison pour ne plus se
perdre. Retrouver nos mères, nos sœurs, nos filles, nos amies et amis,
rencontrer enfin ce pays, lui donner du sens et un avenir. Ne plus douter de
soi, des jours et des années. Ne plus douter de nous-mêmes. Demain c'est
aujourd'hui, dans deux jours.