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Le soleil est un harraga, il brûle les frontières à chaque nuit
algérienne...
Miami nous regarde arriver, d'un soleil grand comme un œil ouvert d'étonnement; elle semblait surprise de nous voir chercher si loin le même soleil que l'on chasse par-delà nos persiennes, étranger, mendiant, puni à couiner et presque chien. À Miami, je l'ai vu heureux, célébré à larges fenêtres, radieux comme un sourire, torride et tendre à la fois tel un amant qui nous désire, que l'on dévore. De l'Algérie « terre des origines », la route vers le nouveau monde est longue. Elle se prend comme on traverse le temps, toujours vers le futur, à travers les siècles de l'évolution de l'Homme et de sa mue darwinienne. Et l'on s'adonne sur le chemin à des comparaisons que l'on sait futiles, mais que notre amour aveugle pour une patrie infanticide rendent naïvement possibles. Oued El Hallouf est une charmante petite plage de l'ouest algérien qui tient dans le creux d'une main. Avec les années, elle a perdu ses couleurs de joie, l'éclat de son sable et la clarté de ses eaux. Ceux qui s'y sont baignés savent combien elle a été dénaturée et combien, par la disgrâce des cabanons de parvenus, leur laideur révoltante, briques rouges nues, piliers dévêtus et pneus talismaniques, cette plage autrefois flamboyante, a sombré dans la grossièreté et l'anarchie. Des cases difformes et sans âme ont pris la place des petits cabanons de l'époque coloniale qui l'ornaient comme des oriflammes. Le désordre qui y règne n'est que le reflet du chaos qui habite les têtes de ces nouveaux riches à la fortune douteuse, dont l'exhibitionnisme outrageux a du mal à cacher l'indigence du goût et du savoir-vivre. C'est la folie des grandeurs qui jaillit d'un océan de médiocrité. C'est comme lorsqu'à l'aube de l'indépendance, les arrivistes de l'acte premier de ce mélodrame algérien colonisèrent, la smala sous le bras et les bêtes dans les turbans, villes, villas et « biens vacants ». L'été, cette plage fait l'inventaire de nos incivilités : nuées de sachets bleus, couches culottes enterrées et mégots plus nombreux que les grains de sable. Les détritus fétides et les poubelles débordantes la disputant aux manifestations factices de foi de cailleras en barbe et Qamis qui veulent occuper les derniers lieux où le corps est censé retrouver ses origines. Cette plage autrefois belle et paisible concentre, à elle seule, les causes et les effets de notre déclin collectif. Chaque été, nos plages encaissent, meurtries, nos insolences et notre incapacité à construire autre chose que des lieux hideux, des dépotoirs obscènes et des carcasses de mosquées servant, dans l'ombre, d'écoles de la terreur et de casemates à des monstres en devenir. Les années malheur ne sont plus si lointaines, et leur résurgence toute proche. Ceux qui enfouissent leur passé vivant sont condamnés à le voir renaître ! Passons ! Impossible, donc, pour un Algérien se rendant à Miami, de ne pas user de risibles comparaisons. Au fond, on est juste jaloux de voir les autres réussir, avec moins de capital de départ, là où nous avons lamentablement échoué. Des nations dont l'âge est plus jeune que nos plus jeunes oliviers. Et pourtant ! Lorsqu'on parcourt 2.500 km d'autoroutes, à double, triple ou quadruple voie, du Nord au Sud, sur des tapis déroulés à travers de fabuleux monts boisés, des vallées et des paysages à faire pâlir les jardins bibliques, à traverser des mégapoles pharaoniques, campées, carrées, imposantes, où les rêves des hommes ont bousculé l'art divin, on se sent collectivement responsable de l'échec et presque indigne de notre terre. Le mot indigne peut-être fort, mais notre incompétence l'est tout autant. Les aménagements d'aires de repos, stations d'essence et restaurants, beauté des ouvrages d'art ; tout y est pour transformer la traversée de près de la moitié de la planète, en paisible randonnée de scouts. Rien à voir avec l'autoroute d'Ammar Ghoul où l'on sent l'odeur fétide du scandale à chaque kilomètre péniblement traversé, et où, pour se vider ou se remplir la panse, l'on est contraint de se dévêtir de notre humanité. Le paysage change au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans le sud américain, et les érables archi dominants au nord cèdent, peu à peu, la place aux pins des marais à l'écorce rougeâtre. La chaleur suffocante de la Caroline du Sud annonce les États du Sud et la fin de l'emprise du cercle polaire. Les Palmettos aux coiffes de plumes d'Indiens sont les premiers à saluer les visiteurs de l'État balnéaire de la Floride qui caresse de son extrémité sud, le sable de Cuba et les îles ouest des Caraïbes. Miami, fruit d'une collaboration harmonieuse entre les mains divines et les sueurs des hommes, se dévoile sous nos yeux comme un trésor. Elle s'offre à nous, après 25 heures de route, tel un paradis qui a trébuché du ciel, une dette soldée par les dieux pour nous avoir chassés de l'Éden. Le sable blanc et l'eau turquoise nous font presque oublier que l'on se trouve dans une mégapole futuriste de 500.000 habitants! Un demi-million d'âmes et deux fois plus de touristes, mais les plages demeurent incroyablement propres, belles et paisibles. Les estivants et les femmes à moitié nues se prélassent au soleil, sans les groupes de sauvageons en darbouka, sans les meutes de misogynes et autres frustrés sexuels en mode prédation qui les entourent, collent, insultes ou agressent. Les plages sont gratuites à Miami, et aucun « parkingeur » armé ne vient vous réclamer une rançon. Aucun camé ne vient vous racketter pour un parasol, une chaise, ou un bout de sable. Les gens viennent pour avoir « du Fun » et rien d'autre. Ni bagarre qui éclate, ni combats de sabres, ni gendarmes en godasses et mitrailleuse, ni racailles qui hurlent, ni tomates ni « zit-zitoune ». Les gens semblent voguer paisiblement comme ces embarcations lointaines réduites à l'état de décor qui n'ont pas le droit de pénétrer un espace dédié exclusivement aux Hommes et à leur quiétude. Personne n'importune personne. Tous sont là pour profiter du soleil et des bienfaits de la mer. Un lieu qui invite à la méditation, sans l'aide de la mosquée de la plage, du haut-parleur du muezzin, ou des prières collectives sur le sable. À Miami, sous un soleil majestueux, j'ai senti que Dieu était libre et qu'il était plus grand que celui mis aux arrêts par quelque religion que ce soit. Avec le soleil, il semble partager le rêve américain où tout devient possible, où un Africain peut devenir président, une multinationale trembler face à une sénatrice, et le portrait du bête et méchant Trump n'est accroché nul part! |
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