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Allons-nous vers un printemps démocratique ou un poisson d'avril démocratique ?

par Othmane Benzaghou

La riche histoire de la nation algérienne est jonchée d'épisodes clés qui ont déterminé d'une manière décisive l'avenir immédiat et moins immédiat du pays et de son peuple. De son rôle pendant les guerres puniques et les ambitions de Syphax et Massinissa, à son rôle pour la chrétienté catholique en prise à la contestation donatique, son rôle dans l'essor de l'islam et dans la conquête de l'Espagne avec l'Amazigh Tarek Ibn Ziad, et on peut comme ça essayer de les énumérer avec force détails pour se rendre compte de ce que l'histoire imbriquée de cette nation a pu engendrer comme bouleversements régionaux, quand ce n'est pas sur d'autres échelles, ce qui nécessiterait des ouvrages entiers, et l'œuvre de plusieurs vies.

L'un des épisodes phares de l'histoire récente de ce pays a été sa révolution, sa lutte de libération, qui a vu le sacrifice de la génération de novembre façonnée par des siècles de résistance. Une génération exceptionnelle qui a tout donné pour que l'Algérie recouvre sa souveraineté. Leur combat et engagement pour la libération du pays de la domination coloniale, d'un système d'asservissement et de désagrégation identitaire, a été une formidable aventure collective, qui a vu une nation entière, riche de sa diversité, que la machine de guerre coloniale a voulu défigurer et charcuter, allant chercher jusque dans l'anthropologie le moyen d'opposer les uns aux autres, avec la doxa institutionnalisée depuis l'empire des Indes, du diviser pour régner.

Nous vivons aujourd'hui, cinquante-six ans après notre indépendance, un autre tournant qui engage le devenir de cette nation. L'exigence d'unité qui a obsédé la génération de novembre, cette génération révolutionnaire menée par une crème sélectionnée pour préparer la révolution par ses aînés au sein de l'OS, par un système de cooptation et d'épreuve, a permis de produire les élites révolutionnaires qui ont arraché notre indépendance. Ces élites révolutionnaires ont déchanté par la prédominance de l'exigence de l'ordre face au désordre que pouvait, à leurs yeux, produire la révolution permanente, enjambant l'ère soviétique comme modèle post-révolutionnaire, oubliant ainsi les principes de liberté qui étaient dans les gènes de la révolution de novembre et refusant tout autre système de désignation que la cooptation implacable et intra-muros du système.

Nous vivons encore les balbutiements de cette vision parcellaire des principes de novembre. Les événements d'octobre 1988 ont permis un bousculement de la pensée unique. Les jeunes d'octobre criaient leur détresse, leur soif de liberté et d'émancipation. Le régime l'a transformée par des provocations intolérables en mouvement pour la faim et a dès le 10 octobre déployé une redoutable arme, l'obscurantisme le plus radical en la figure de quelques gourous qui pouvaient semer les graines de la haine, pour abattre ce péché de liberté par la chape politique de l'opium des peuples et décréter que la démocratie était kofr.

On a, depuis, toléré la liberté d'expression, non comme un moyen de structurer une pensée d'avenir, mais comme simple exutoire qui donne l'illusion que le peuple est incapable d'autres initiatives que de s'apitoyer sur son sort, de crier sa détresse, de s'entre-déchirer, au nom des egos surdimensionnés de figures mises en avant, de régionalisme alimenté et exacerbé, d'idéologies caricaturées entre laïcisme et islamisme, socialisme scientifique et capitalisme glouton, démocratie athénienne et ploutocratie indécente, verticalité absolue et anarchie horizontale, des caricatures de concepts pour pousser les Algériens à être réfractaires à la politique, l'art du consensus, et accepter la prédation, adouber le système de rente par une distribution généralisée et indiscernée, instituer les monopoles privés pour remplacer les monopoles publics et, finalement par ce jeu de manipulation outrancière, trouver du bon dans les emplois et les quelques subsides redistribués par les tenants d'un pouvoir autiste.

Un régime capable de faire d'un opérateur privé qui a bénéficié d'immenses largesses collectives, une victime du même système qui l'a produit, seuls les parrains changent capables de monter un opérateur économique contre un autre, faire un ploutocrate de l'un et de l'autre un capitaine d'industrie qui aurait raison d'avoir une ambition politique pour son pays, elle non ploutocratique malgré une candidature présidentielle d'un proche, tant sa réussite exceptionnelle est un exemple, tant le gigantisme de ses discours peut donner des espoirs dans un pays où le désespoir est tel qu'on est prêt à applaudir ce système de favoritisme pourvu qu'il produise des emplois.

Une dualité d'une facette tellement à l'opposé l'une de l'autre qu'on oublie de se poser la question sur la nature du même système qui les a produites et l'une et l'autre. Nous faisant accepter les règles du clientélisme pourvu que ces futurs chaebols atteignent une taille critique permettant de sortir de cette dépendance aux hydrocarbures. Tout le monde le fait, pourquoi pas nous, et gare à qui croit pouvoir s'émanciper de l'emprise du système seul capable d'identifier l'intérêt national, seul capable d'organiser une si grande dilapidation des ressources pourvu que quelques chaebols puissent montrer la voie à suivre, et pousser les jeunes Algériens à s'adapter à ce système clientéliste qui pourra faire de quelques-uns les heureux gagnants du rêve algérien, à force de docilité, quitte à aller chercher dans d'autres cieux, quand les distributeurs changent, les mêmes types de soutiens politiques, garantissant financements et aides et clamer ensuite l'amour de la mère patrie.

C'est comme ça que nous, pauvres Algériens, devions activer, loin du combat politique, pour l'intérêt économique d'un pays aux mains des grands nationalistes qui ont la maîtrise parfaite de l'intérêt national, capables de politique, et nous résigner, nous pauvre peuple, à une ambition individuelle, économique, pouvant permettre à quelques heureux élus de se transformer en ambition collective par le risque systémique, à force de couveuses, avec l'aide d'individus qui ont squatté dans les profondeurs de l'Etat le destin collectif.

Dans cette équation implacable, nous sommes tenus d'accepter un poisson d'avril démocratique, au nom de la continuité, et dénoncer cette idée saugrenue de liberté, de choix du peuple éclairé. Quelle idée occidentale que de croire que le choix du peuple sur son avenir peut-il être plus judicieux que la dictature éclairée d'une élite administrative et militaire, changeant les théories économiques pondues quelque part dans cette planète étrange, tellement ils ont façonné l'économie de leur pays à leur image, celle de stabilocrates qui scribouillent à la marge de la modernité de ce monde, les règles autorisées et celles totalement faussées par des structures précontraintes, qui font de l'édifice institutionnel un château de cartes qui peut s'écrouler sur n'importe quel séisme populaire.

Ils sont incapables de calculs transparents, de projet structuré et présenté dans un processus d'appel d'offres qui ferait du peuple les maîtres d'ouvrage de l'avenir de ce pays, juste capables par des accidents de l'histoire de se retrouver au bon endroit, au bon moment, quitte à les provoquer ou à négocier au gré à gré les clefs de la baraque.

Il est temps de faire du RDV d'avril 2019, non le 1er avril démocratique, mais un printemps démocratique, shouratique pour ceux qui préfèrent ce vocable, une révolution des œillets, qui rende à ce peuple et sa jeunesse son avenir, conventionnel, et non hypothéqué par un financement non conventionnel qui transmet les dettes aux générations montantes, comme si les sommes faramineuses englouties ne suffisaient pas à démontrer l'échec cuisant d'un système à bout de souffle.

Militant pour une Algérie meilleure.