En
pénétrant à l'intérieur du consulat saoudien à Istanbul pour ne plus ressortir,
Jamal Khashoggi a fait plus mal à la famille régnante
des Al Saoud que toute sa littérature développée
autour du régime dictatorial imposé par le prince héritier. Du jour au
lendemain des révélations stambouliotes, le monde redécouvrait le visage hideux
d'un royaume géré par la main de fer d'un MBS, véritable patron de Ryad. La
chasse aux sorcières, la séquestration du Premier ministre libanais, le racket
des fortunes princières saoudiennes, droits des femmes sous le degré zéro,
incarcération de l'opposition bavarde et molle, puis, particulièrement, la
guerre au Yémen et ses victimes civiles collatérales ont été rappelés par les
médias pour dire tout le bien qu'on pense de la gouvernance de MBS. Pourtant,
ni Paris ni Washington, sans parler des monarchies pétrolières du Golfe, du
Maroc ou de l'Egypte, alliés et acquis fidèles de Ryad, n'ont contesté cette
politique de terreur de Ben Selmane, préférant plutôt
s'appesantir sur l'aspect réformateur du bonhomme. Le business étant au-dessus
de toutes les considérations morales et humanitaires, on continue de faire
affaire et de vendre des armes qui ne sont utilisées que pour essorer davantage
le sang arabe et musulman. Est-ce que la scie qui a découpé le journaliste fait
partie de l'arsenal américain, français ou égyptien ? La question paraît
anecdotique mais renvoie à cette duplicité occidentale qui condamne un chef
d'Etat récalcitrant et absout un roi sanguinaire au portefeuille blindé. Les
explications les plus bancales trouvent grâce aux yeux de ces démocraties et Khashoggi est mort accidentellement, tué par des
francs-tireurs trop zélés. Fin de l'histoire et de l'enquête. MBS n'y est pour
rien et les véritables responsables vont devoir passer à la caisse. Où ? Erdogan, qui a monnayé ses interventions, pense qu'il peut
tirer davantage du scénario si la bande des pieds nickelés est jugée sur ses
terres. Qu'en pense le royaume ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que
non, on verra ce que décidera Trump. L'essentiel,
c'est que les têtes couronnées soient préservées. Mais dans ce concert des
groupies du roi et de son fils, il y a le Canada qui peut juste dire au monde :
« Je vous l'avais bien dit ». En août dernier, un tweet de la ministre
canadienne des Affaires étrangères, s'inquiétant du sort des opposants
incarcérés en Arabie, avait suscité la fureur de Ryad. Et comme réponse à la
bravade des Canadiens, les Saoudiens ont décidé de jouer le remake d'Errissala. Chacun reste chez lui, on n'achète pas chez vous
et on ne vous vend rien, rendez-nous nos ressortissants et notre argent,
reprenez votre ambassadeur. Notre ciel vous est interdit et le vôtre est haram. Les rétorsions avaient pour but d'envoyer un
avertissement à toutes les démocraties occidentales qui osent critiquer le
régime. La leçon est telle qu'aucune capitale européenne n'a levé
le petit doigt pour défendre Justin Trudeau, un adversaire de moins dans le
monde implacable des affaires.