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Aïn Témouchent: Protéger le site de Siga et encourager les missions archéologiques

par Saïd Mouas

A l'issue des travaux du colloque sur le royaume des Masseassyles qui ont duré du 22 au 24 septembre de ce mois, les participants, venus nombreux de plusieurs pays du bassin méditerranéen, sont sortis avec une série de recommandations (09) visant à baliser le chemin à une politique de protection et de valorisation du potentiel immatériel mieux soutenue au plan scientifique, notamment par la recherche archéologique.

Plus de 26 conférences et 15 tables rondes auront permis aux spécialistes de la question d'apporter des éclairages sur les évènements de l'histoire antique qui ont bouleversé les rapports entre les Etats de l'Afrique du Nord, particulièrement le pays des Masseassyles entre la fin du 3e siècle et le début du 2e siècle. Dans son allocution de clôture, Mr Hachemi Assad, succédant à Mme Ouinez Labiba, wali d'Ain Temouchent, a tenu à mettre en exergue le caractère exceptionnel de ce colloque placé sous le haut patronage du Président de la République avec la collaboration des walis d'Oran et d'Ain Temouchent, lequel colloque a bénéficié des conditions optimums de réussite puisque c'est le grand amphithéâtre de l'APW qui a servi de lieu de rencontre à ce symposium réglé comme sur du papier à musique.

Au-delà des thèmes de conférences proposés à un public nombreux, par un panel d'historiens nationaux et étrangers, il s'est agi de faire le point sur un pan important de notre histoire en matière de recherches pour tout ce qui touche aux royaumes numides. Certains intervenants ont tenté de sortir des sentiers battus faisant la part belle aux sources littéraires en s'orientant vers une exploitation ''nationale'' de notre patrimoine car le gros des informations nous le devons aux auteurs de l'antiquité gréco-romaine notamment Polybe, Tite-Live, Appien, Strabon et Apulée de Madaure.

Il est temps comme le soulignera le Dr Boudjemâa Haïchour de diversifier les sources de la connaissance historique même s'il est vrai que la tâche n'est pas aisée faute de sources directs et de références épigraphiques suffisantes. Pourtant cette période mouvementée de la pré-histoire a inspiré beaucoup de peintres qui ont, entre le 15e et le 18e siècle, produit près de 1000 tableaux artistiques évoquant des scènes et des personnages de la Numidie. La plupart de ces œuvres sont exposées dans de prestigieux musées que nos spécialistes gagneraient à visiter ou, à tout le moins, à contacter pour recevoir des brochures illustrées. Le chercheur universitaire et ancien ministre a évoqué avec beaucoup de brio «les jeux de rivalité au cœur de Siga entre Carthage et Rome et le rôle joué par Syphax pour rapprocher les deux puissances». Si les débats soulevés ont laissé apparaître chez certains une propension aux spéculations historiques et aux probabilités qui tordent le cou à la rigueur scientifique, il n'empêche que quelques universitaires présents se sont singularisés par des analyses sérieuses où le souci d'objectivité le dispute à une large érudition.

A l'image de M'hamed Hassine Fantar, Faouzi Abdllaoui, Anthony-Marc Sanz, Mounir Bouchenaki, Ahmed Ferdjaoui, Amel Soltani et autres. Qui pourrait en effet affirmer que l'union entre Syphax et Sophonisbe a bel et bien eu lieu en 204 av. J.-C., c'est-à-dire avant l'alliance avec Carthage ? Qui a sondé les états d'âme de Sophonisbe à l'endroit et de Syphax et de Massinissa pour conclure que cette relation amoureuse n'a eu aucune influence sur les rapports de force de l'époque ? Ce n'est pas parce que l'histoire est souvent écrite par les vainqueurs pour la glorification que les vaincus peuvent se permettre à posteriori d'en édulcorer les faits. Par conséquent il est clair que subsistent des zones d'ombre à propos de cette période lointaine et la première des recommandations émises par le colloque vise précisément à poursuivre le programme national des fouilles archéologiques notamment au niveau des monuments de la Numidie. Des équipes pluridisciplinaires avec le concours des offices de gestion d'exploitation des biens culturels (OGCE) implantés dans les wilayas. Il est aussi demandé de perpétuer le souvenir de ces héros en érigeant des statues dans les contrées renfermant des traces de la période numide. En outre, le colloque a appelé à une mobilisation de tous les citoyens pour la collecte d'informations ou d'objets en relation avec la Numidie qui sera suivie d'opérations de numérisation des données afin de faciliter le travail des chercheurs.

Le classement du site de Syphax n'a pas changé la donne

Il a fallu attendre 52 ans après l'indépendance pour que le site archéologique abritant le mausolée de la famille de Syphax soit classé par le ministère de la Culture. La procédure relative à cette protection a fait l'objet d'un arrêté publié dans le Journal Officiel du 16 mars 2014, et ce après l'envoi en 2007 d'une demande faite dans ce sens par la direction de la culture de la wilaya d'Ain Temouchent. Il a fallu donc patienter encore sept années pour que la tutelle daigne donner suite aux multiples appels des associations locales à l'instar des «Amis de Béni-Saf» ou de l'office du tourisme de cette même ville côtière connue pour ses magnifiques paysages. Une petite victoire à inscrire à l'actif de ces militants de la défense des sites culturels et historiques qui n'ont eu de cesse de dénoncer les actes de vandalisme et de pillage dont sont victimes les vestiges hérités de la longue période numide qui a marqué l'histoire antique de l'Algérie. L'euphémisme est de mise en pareils cas, surtout que les témoignages sur ces agressions rapportent que des trous et galeries souterraines furent creusés dans le but de dépouiller le site de ces nombreux objets de valeur. Comme l'attestent encore les enquêtes de la Gendarmerie nationale qui a pu récupérer en l'espace de plusieurs décennies des pièces de monnaie et des reliques provenant du site et trouvés chez des citoyens de la région. On imagine l'ampleur des dégâts, sachant que des expéditions clandestines sous le couvert de fouilles archéologiques ont fini par vider le site de ces objets les plus significatifs pour la compréhension de cette lointaine page de l'histoire du pays.

A plusieurs reprises, à la fin des années 70 et au milieu des années 80, des touristes étrangers ont accosté près des rivages bordant le complexe Syphax. Notamment des Allemands et il n'est pas exclu qu'ils aient dans le sillage de ces visites organisées dans le cadre d'un accord, emporté dans leurs bagages diverses pièces datant de l'époque romaine. La curée a atteint les limites de l'absurde dès lors qu'une exposition tenue à la fin des années 80 à l'ancien CIAJ du Bd du 1er-Novembre a révélé l'existence d'une série d'objets prélevés du site Siga-Takembrit alors que la wilaya ne dispose pas de musée. Votre serviteur se souvient avoir aperçu en 1988 une grande amphore qui, de l'aveu même du wali de l'époque qui l'avait ramenée pour orner son bureau, provenait du site de Siga. Une autre, identique, trônait à un moment dans les couloirs de l'enceinte du complexe touristique Syphax, bâti à proximité du site. C'est dire la légèreté avec laquelle les responsables à tous les niveaux géraient ce type de monuments historiques. Certains connaisseurs parlent de réseaux de contrebande qui auraient amassé une fortune grâce à la vente des produits issus des décombres de Siga, l'ancienne capitale du roi Syphax qui, il faut le rappeler, est mort en captivité près de Rome. Jusqu'à une date récente les spécialistes, faute d'éléments historiques valables, pensaient que le tombeau de Syphax se situait précisément à cet endroit.

Difficile en effet, s'agissant d'un passé assez lointain, d'avancer dans la restitution des faits ; chose qui ne fut possible qu'avec les nouvelles découvertes archéologiques et l'avènement de la technologie en matière de datation comme l'utilisation du carbone 14. Quel intérêt présente aujourd'hui le site historique de Siga qui englobe trois zones : Siga (80ha), le Mausolée (20ha) et l'île de Rachgoun (29ha) ? Sur le plan historique il est indéniable que des fouilles restent à entreprendre afin d'apporter de nouveaux éclairages sur le grand Aguellid, Syphax, son rival Massinissa et les soubresauts qui ont agité le royaume numide de Massaessylie. Une époque charnière qui a irrémédiablement orienté le destin de l'Afrique du Nord, puisque le sort de cette dernière s'est joué lors de la deuxième guerre punique (- 218 à - 201) qui opposa Rome à Carthage. Dans un récent article, j'ai relaté cette épopée en soulignant que si Massinisa et Syphax s'étaient unis pour créer l'embryon d'une nation, l'envahisseur romain aurait eu du mal à s'implanter au Maghreb dont la configuration géographique actuelle et les clivages politiques trouvent leurs sources dans les méandres de ce tumultueux passé. Sur un autre plan, culturel et touristique, ce classement permettra de valoriser les atouts balnéaires déjà affirmés. D'où l'importance d'une réelle réhabilitation du site de Siga, situé à 45 kilomètres de Ain Temouchent, comme l'a recommandé le colloque. D'autant qu'il existe des textes législatifs sur la protection du patrimoine culturel (loi n° 98-04 du 15 juin 1998 et décret exécutif du n°03-323 du 05 octobre 2003) qui sont mis à la portée des institutions publiques afin de préserver les sites historiques.