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«J'ai
mis ma main comme ça sur sa bouche et j'ai appuyé (?)». L'aveu de Aziz qui
décrivait à la barre la manière avec laquelle il a avait étouffé Salsabile a été l'un des moments les plus douloureux du procès
qui s'est déroulé mercredi dernier au tribunal criminel de première instance
d'Oran. Le témoignage bouleversant de la mère de la victime a été un autre
moment fort de l'audience, qui a tiré les larmes à l'un des policiers ayant vu
le corps de la victime ce funeste dimanche 19 août. Aucune des personnes qui
ont assisté à l'audience n'est sortie indemne.
Récit macabre Quand K. Aziz et C. Mohamed apparaissent, tous les regards convergent vers le box des accusés pour dévisager les assassins de la petite Salsabile avec une aversion ostensible. Car il ne fait aucun doute que la conviction de l'assistance est faite : Aziz et Mohamed sont bel et bien coupables du meurtre et doivent être punis pour leur crime. Il s'en trouve même des jurés qui espèrent être tirés au sort pour prendre part à ce procès si particulier et rendre justice à la petite victime et sa famille. Appelé par le juge, Aziz, 18 ans, l'air hagard dans son survêtement rouge et bleu, s'avance vers la barre des accusés en traînant la jambe droite, résultat, dit-on, d'un passage à tabac dans le centre de détention. Il racontera les détails sordides de son crime en avouant avoir attiré Salsabile dans l'appartement familial où il se trouvait et s'être adonné à des attouchements sexuels superficiels : «Je ne l'ai pas violée (?) Quand elle a dit qu'elle allait tout raconter à ses parents, j'ai mis ma main sur sa bouche, comme cela, et j'ai appuyé», raconte-t-il en mimant le geste. Il prétendra que quand il s'est rendu compte qu'elle ne bougeait plus, il avait cru qu'elle s'était évanouie : «J'ai tenté de la ranimer en jetant un peu d'eau sur son visage? j'ai essayé de la porter jusqu'au réfrigérateur pour la soumettre à l'air glacé mais j'ai vu qu'elle avait fait sur elle?je ne voulais pas la tuer», continue-t-il la voix basse. Il dira avoir mis le corps inanimé dans deux sachets en plastique, et être allé chercher C. Mohamed, vendeur de légumes dans le marché du quartier, pour l'aider à s'en débarrasser : «Il est venu dans sa fourgonnette, j'ai mis le corps à l'arrière et nous sommes allés le jeter un peu plus loin, dans une décharge. On l'a dissimulé sous des déchets et de bouts de bois». A cette dernière phrase, un frisson parcourt la salle et accroît l'oppression qui s'était installée au début de la déposition de l'accusé. Aziz poursuivra son témoignage en racontant être retourné dans l'appartement pour nettoyer les excréments qui se sont échappés de la victime et effacer toute trace compromettante, avant de se joindre aux recherches entreprises par la famille et les voisins. Il avouera même avoir tenté de mettre la police sur une fausse piste en leur déclarant avoir vu l'enfant prendre le bus avec un étranger. Ce qui lui vaudra, on le sait, d'être soupçonné, interrogé et, finalement, arrêté et inculpé après avoir tout avoué : «J'étais sous l'effet de stupéfiants, deux saroukh que j'avais avalés?», dira-t-il encore pour expliquer son comportement. Saroukh est le nom donné dans le milieu de la drogue à Lyrica, médicament analgésique utilisé principalement dans le traitement des douleurs neuropathiques, demandé par les toxicomanes pour son côté anxiolytique. Il sera repris par le représentant du parquet qui lui précisera que les analyses toxicologiques n'ont relevé aucune trace de drogue dans son sang? «Un coup monté», dénonce Mohamed Invité à son tour à la barre, C. Mohamed, 31 ans, rejette toutes les accusations portées contre lui, allant même jusqu'à vouloir nier l'évidence, à savoir ses liens avec Aziz dont plusieurs témoins viendront ultérieurement confirmer l'existence : «Je ne connais pas cette personne (Aziz, Ndr), je n'ai jamais été chez lui et je n'ai jamais participé à ce crime. Il m'a cité injustement pour une raison que j'ignore». Interrogé par la juge sur ses faits et gestes le jour du meurtre (samedi 18 août 2018), il répondra être allé à Sidi Khettab, commune de la wilaya de Relizane. Le juge lui opposera alors le relevé du système de géolocalisation de son opérateur téléphonique qui le situe dans les environs de Haï Chouhada, quartier de résidence de Salsabile et de son assassin. L'accusé hésite plusieurs secondes avant de se rétracter : «Alors, c'est le lendemain que je suis allé à Sidi Khettab. Le samedi, j'ai travaillé à l'Usto et Haï Chouhada mais je n'ai rien fait, je suis innocent». «Mais pourquoi Aziz vous implique-t-il dans ce cas ? Et comment a-t-il décrit les vêtements que vous portiez ce jour-là, que la police a retrouvés derrière le siège de votre véhicule, s'il ne vous connaissait pas ?», insiste le président d'audience. «Je ne sais pas», répond l'accusé. 15 minutes d'agonie On savait que Zahaf Salsabile a été retrouvée dans une décharge publique, enveloppée dans des sacs de plastique. On ignorait qu'elle avait repoussé la mort, lutté contre son assassin pendant près d'un quart d'heure. Le détail est révélé à la barre par le docteur A. Djamel, médecin légiste qui a effectué l'autopsie sur la victime. «Nous avons trouvé des traces et des ecchymoses qui prouvent que la victime s'est débattue avant de rendre l'âme. Elle a longtemps lutté contre la mort», déclare l'expert en affirmant que la cause de la mort est la strangulation, des marques de doigts ayant été constatées sur la gorge de la défunte. Les traces en question auraient-elles pu être laissées post-mortem, comme l'atteste l'accusé qui a expliqué avoir porté la victime à proximité du réfrigérateur pour la ranimer ? «Non. Les traces ont été laissées alors que la victime était vivante, autrement elles ne persisteraient pas», réfute le médecin en confirmant également que la petite fille avait été violée et n'avait pas seulement subi des «attouchements superficiels» comme le jurait l'auteur du crime: «Nous avons trouvé une plaie et des ecchymoses indiquant qu'elle a subi une agression sexuelle brutale», ajoute-t-il encore. Pendant que l'expert raconte les dernières minutes d'effroi et de douleur de Salsabile, la mère ne peut retenir ses larmes tandis que le père se drape dans le silence, s'interdisant toute émotion. Témoignages accablants Alors que la salle est encore sous l'effet des révélations du médecin légiste, le président d'audience appelle Z. Zineb, mère de Aziz. Toute vêtue de noire, la femme, dont l'activité principale est la mendicité, raconte l'enfance très difficile de son fils : «C'était un enfant à problèmes et je n'arrivais pas à le tenir. Alors, je l'ai mis en centre de redressement, mais il s'en est régulièrement évadé. J'ai fait ce que j'ai pu, j'ai même eu recours aux coups mais en vain», relate-t-elle. A propos des relations de son fils avec le coaccusé, elle répondra qu'ils se connaissaient très bien, ce qu'elle voyait d'un très mauvais œil : «Je lui ai interdit de le fréquenter et j'ai même ordonné à Mohamed de ne jamais s'approcher de mon fils. Mais Aziz se réfugiait souvent chez lui et lorsqu'il disparaissait, on était sûr qu'il devait être en sa compagnie», dira-t-elle. Interpellé par le juge sur les propos du témoin, Mohamed s'entête à nier : «Je ne les connais pas». Les relations entre les deux accusés ainsi établies et confirmées ensuite par la petite sœur de Aziz, un autre témoin, capital celui-là, est appelé à la barre. Il s'agit du propriétaire d'un café du quartier qui a vu Aziz mettre un sac de plastique dans la camionnette de Mohamed, en milieu d'après-midi du samedi 18 août, quelques heures après la disparition de Salsabile. Le témoin qui ne s'était pas présenté à l'audience, a été contraint de se présenter : «C'est un témoignage d'une importance majeure», avait auparavant estimé le juge en suspendant l'audience pour ordonner aux forces de police d'aller le chercher. A son corps défendant, le témoin a identifié les deux accusés et confirmé à la barre avoir «vu Aziz porter un sac en plastique et le mettre dans la camionnette de type Chana de Mohamed». Là aussi, interpellé par le président d'audience, Mohamed dira qu'il s'agit d'un faux témoignage. La mère de Salsabile: «Je sentais qu'elle était morte» Tour à tour, le père et la mère de Salsabile raconteront leur cauchemar. Le visage fatigué, mangé par la barbe, Fayçal relatera une nouvelle fois la disparition de sa fille, les démarches qu'il a entreprises et les recherches infructueuses jusqu'à la découverte macabre du cadavre dans la décharge publique. «Je ne comprends pas ce qui a motivé cela. Nous n'avons aucun différend avec eux (les accusés, Ndr)». En voyant Houaria, la mère, s'approcher de la barre, le silence complet s'abat sur la salle. La mère qui n'a pas cessé de pleurer tout au long du procès, décrit Salsabile comme une enfant heureuse de vivre, très vive et douée à l'école. «Elle était trop intelligente pour accepter de monter chez un inconnu, je suis sûre qu'elle n'y est pas allée de son propre gré», lancera-t-elle à l'adresse du tribunal. D'une voix chevrotante, elle racontera les recherches vaines et son angoisse croissante à mesure que le temps passait : «Je leur ai dit que ma fille était morte avant même que l'on m'annonce la nouvelle. J'en avais la certitude?», terminera-t-elle provoquant des soupirs et arrachant des larmes à l'assistance. La peine de mort contre les assassins d'enfants Après les débats, le juge suspend l'audience pour permettre à tout un chacun de se remettre de ses émotions. L'audience ne reprendra que deux heures après avec l'ouverture des plaidoiries. Dans son intervention, l'avocat de la partie civile -qui s'est constitué à l'ouverture de l'audience, bénévolement, «par devoir de conscience envers une famille cruellement frappée par le deuil»- appellera le tribunal à sanctionner avec la plus grande sévérité les accusés : «Toutes les preuves matérielles et tous les témoignages ont démontré leur culpabilité. Et nous avons aussi les aveux du principal accusé», argumentera-t-il en substance en exprimant sa révulsion du sort qui a été réservé à Salsabile. «Elle a été violée, tuée et a fini parmi les immondices. Les auteurs ont fait preuve d'un comportement animal abject». Avec méthode, le représentant du ministère public commence par relater les faits depuis la disparition de Salsabile jusqu'à l'inculpation des accusés, Aziz pour meurtre avec préméditation et attentat à la pudeur sur mineur de moins de 16, Mohamed pour complicité de meurtre avec préméditation. Il fait ensuite la lecture de l'ensemble des chefs d'inculpation retenus en s'attachant à définir des termes comme la préméditation ou la complicité avant de s'atteler à énumérer l'ensemble des preuves matérielles accablant les accusés. «Toutes ses preuves (aveux de Aziz, témoignages à charge, rapport du médecin légiste, contradictions de C. Mohamed, relevé du système de géolocalisation?) démontrent la culpabilité des accusés», dira-t-il avant de requérir la peine de mort pour les deux mis en cause. Au terme de son intervention, le magistrat soulignera l'angoisse qui habite désormais les Algériens depuis l'apparition de cette nouvelle tendance criminelle d'enlèvement et d'assassinat d'enfants. «Tous les Algériens attendent votre verdict. Il faut envoyer un message ferme à tous ceux qui veulent s'en prendre aux enfants.» En manque d'arguments pour défendre leur clients, et visiblement mal à l'aise dans ce rôle, les avocats des accusés, désignés dans le cadre de l'assistance judiciaire, ont brièvement tenté de défendre les intérêts de leurs mandants. L'avocate de Aziz a demandé les circonstances atténuantes pour son client «qui était sous l'effet de psychotropes et n'avait pas l'intention de donner la mort», cependant que celui de Mohamed a souligné que la complicité de son client, si complicité il y a, est intervenue après le meurtre. Quand le dernier mot leur sera accordé, Aziz demandera pardon à la famille et, éclatant en sanglots, lancera au juge : «Ma vie est entre vos mains». Quant à Mohamed, il continuera de clamer son innocence. A aucun moment, la mère de Salsabile ne regardera le box des accusés. Soulagement et manifestations de joie A l'énoncé du verdict suprême, après trois heures de délibérations, les parents de Salsabile exprimeront leur soulagement et quitteront la salle d'audience en rendant grâce à Dieu alors que le frère aîné de la victime esquissera des applaudissements avant d'être rappelé à l'ordre par des policiers. Les condamnés, eux, sont restés prostrés, visiblement sonnés par le verdict et imperméables aux réactions de la salle. Dehors, des youyous de joie ont fusé. Malgré l'heure tardive (21h00) des curieux avaient tenu à attendre le verdict. |
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