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Planche de salut

par Mahdi Boukhalfa

La planche à billets, décidée comme ultime recours pour frapper de la monnaie face au désert financier provoqué par la chute des prix de l'or noir, a été actionnée par deux fois, en octobre-novembre 2017 et janvier 2018. Dans l'escarcelle des comptes du Trésor, selon les chiffres de la Banque d'Algérie, 3.585 milliards de dinars. Ce sont là des chiffres officiels communiqués par la Banque centrale algérienne un peu plus de sept mois après le premier «tirage».

Plus direct que les acrobaties comptables affreusement techniques du gouverneur de la Banque d'Algérie, le Premier ministre et chef de la seconde force politique du pays, Ahmed Ouyahia, a tout résumé en affirmant devant ses militants en fin de semaine que le recours au financement non conventionnel est un «choix courageux»?

Ce faisant, le Premier ministre confirme l'option de la planche à billets pour subvenir aux besoins de liquidités des banques, d'abord pour assurer un semblant d'activité économique pour les cinq années à venir, puisque sans la fiscalité pétrolière, le Trésor tournerait au ralenti, ensuite écoper de lourds déficits publics qui menacent de faire chavirer à tout moment l'économie algérienne.

Le naufrage est évité pour le moment, et l'iceberg n'est pas encore en vue. C'est peut-être une bonne chose. Et c'est même rassurant, quand on apprend que le surplus de liquidités bancaires consécutives à l'utilisation de la planche à billets est en train, à en croire le «patron» de la Banque d'Algérie, d'être épongé. Pour au moins une raison évidente qui a toujours fait craindre aux économistes l'apparition des effets pervers de telles extrémités dans le refinancement non classique ou non conventionnel d'une économie : des effets inflationnistes qui agiront comme des goulots d'étranglement et bloqueront ensuite toute possibilité de reprise de la croissance.

En effet, trop de monnaie en circulation conduit non seulement à une inflation difficilement maîtrisable dans une économie qui ne produit pas de biens à échanger sur le marché local ou à exporter, mais également à une rapide baisse du pouvoir d'achat, et fatalement une profonde crise sociale aux lourdes conséquences politiques et économiques.

Certes, le gouvernement tient mordicus à affirmer que le financement non conventionnel, c'est-à-dire l'endettement interne du Trésor, est la meilleure solution -autre que celle qui mène vers les tiroirs-caisses du FMI et donc de l'endettement externe- pour éponger les déficits et créer une masse monétaire suffisante pour poursuivre les projets de développement et payer les fonctionnaires.

En attendant une embellie du marché pétrolier qui, en réalité, rythme les espoirs du gouvernement Ouyahia en dépit des déclarations de circonstances sur la nécessité de sortir de la dépendance aux hydrocarbures, il y a certes comme une légère décrispation sur le front financier. Même si la hantise d'une inflation à deux chiffres reste une donnée tout à fait probable, mais pour le moment repoussée, les grandes tendances inflationnistes restent jusqu'à présent maîtrisées autour d'un taux de 4% globalement, ce qui est encourageant et rassurant.

Pour autant, le recours à la planche à billets ne résout pas le problème de fond de l'économie nationale qui est mortellement consommatrice à travers des importations toujours pas maîtrisées et ne produit pas assez de biens pour provoquer l'effet boule-de-neige qui conduit à l'amorce d'une croissance hors hydrocarbures durable. Et mènerait droit vers une sortie durable d'une crise multiforme qui n'a que trop duré.